Projet de loi immigration : des marges de manœuvres réduites pour le gouvernement

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Elisabeth Borne, le 12 décembre 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
Elisabeth Borne, le 12 décembre 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
par Maxence KagniElsa Mondin-Gava, le Vendredi 15 décembre 2023 à 14:40, mis à jour le Samedi 16 décembre 2023 à 09:40

A trois jours de la commission mixte paritaire prévue lundi 18 décembre sur le projet de loi "pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration", Elisabeth Borne multiplie les discussions pour essayer de trouver une voie de compromis entre la coalition présidentielle et la droite. La Première ministre doit composer avec de multiples lignes rouges pour aboutir à un accord avec Les Républicains sans diviser sa majorité. 

Entre négociations et rapports de force, entre exigences des uns et lignes rouges des autres, le gouvernement continue de chercher une voie de passage pour son projet de loi sur l'immigration. Après le rejet du texte sans examen par l'Assemblée nationale, lundi 11 décembre, la Première ministre Élisabeth Borne multiplie les rencontres pour trouver un accord avec la droite tout en préservant l'unité de la majorité présidentielle. Avec un objectif : parvenir à une commission mixte paritaire conclusive lundi 18 décembre et à un vote définitif du texte par le Sénat et l'Assemblée nationale, dès le lendemain. 

LCP vous présente les différentes données d'une équation qui, à bien des égards, paraît - si ce n'est insoluble - complexe à résoudre.

Les Républicains en position de force

Les Républicains veulent pousser leur avantage. Le soutien de la droite sénatoriale qui, avec le centre, détient la majorité au Palais du Luxembourg, est nécessaire pour obtenir une commission mixte paritaire conclusive. "Nous avons vraiment mis le Sénat en position de force", a d'ailleurs estimé mardi le président du groupe LR de l'Assemblée, Olivier Marleix, lors de sa conférence de presse hebdomadaire au Palais-Bourbon. Dans un deuxième temps - si la CMP parvient à un accord - le gouvernement aura aussi besoin des voix des députés LR pour faire adopter le texte. 

Lors de la séance des questions au gouvernement, mardi 12 décembre, le président du parti, Eric Ciotti, a appelé le gouvernement à "soutenir" le texte issu du Sénat, "le seul" que les députés LR "soutiendront". Eric Ciotti faisait partie de la délégation de parlementaires Les Républicains reçue mercredi et jeudi à Matignon par Elisabeth Borne. "Avec Olivier Marleix et Bruno Retailleau, nous avons ce matin confirmé à la Première ministre, notre volonté de voir le texte du Sénat adopté en commission mixte paritaire", a-t-il commenté sur X (ex-Twitter).

Les Républicains ont refusé l'idée de ne voter que sur les dispositions de fermeté du texte initial : "Il faut tenir les deux bouts pour être efficaces. Nous n’accepterons pas une petite loi saucissonnée, qui aurait pour seul objectif de contourner les divisions de la majorité présidentielle", a prévenu sur X le président des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Les Républicains veulent notamment revenir à la version sénatoriale sur la question de la régularisation de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui offre un pouvoir discrétionnaire aux préfets. Il ne veulent donc pas de l'amendement de "compromis" du rapporteur général Florent Boudié, adopté en commission des lois. 

Mardi, sur LCP, la députée Les Républicains Emilie Bonnivard a présenté les autres "lignes rouges" de son groupe : le durcissement des conditions du regroupement familial, le durcissement des conditions d'accès à l'aide sociale, la réintroduction du délit de séjour irrégulier, ainsi que la transformation de l'Aide médicale d'Etat (AME) en Aide médicale d'urgence (AMU). Sur ce dernier point, les députés LR semblent prêts à lâcher du lest. Invitée vendredi de l'émission Parlement Hebdo, Annie Genevard (Les Républicains) a reconnu que les dispositions relatives à l'AME risquaient d'être qualifiées de "cavalier législatif", c'est-à-dire qu'elles pourraient être jugées inconstitutionnelles, car sans lien direct avec le texte. Les Républicains semblent donc prêt à accepter un retrait de la disposition au profit de l'examen d'une loi spécifique au début de l'année 2024.

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Autre point qui fera l'objet d'âpres discussions : la majorité sénatoriale avait choisi de conditionner le bénéfice du droit du sol à une manifestation de volonté entre ses 16 et 18 ans. 

La coalition présidentielle à rude épreuve 

Confrontée aux exigences des Républicains et à la volonté du gouvernement de convoquer une commission mixte paritaire pour tenter de sortir de l'impasse au plus vite, la coalition présidentielle d'Emmanuel Macron, se retrouve en difficulté, à la recherche d'une position d'équilibre. "Il est clair aujourd'hui qu'une majorité ne peut être trouvée qu'entre Renaissance et les Républicains", a reconnu jeudi le président de la commission des lois de l'Assemblée, Sacha Houlié, interrogé sur France 2. Le député Renaissance, figure de l'aile gauche de la majorité présidentielle, a également concédé que si la CMP était conclusive, le texte serait plus à droite que la version adoptée par la commission des lois du Palais-Bourbon. 

Invité jeudi de Sud Radio, le président du groupe Renaissance de l'Assemblée, Sylvain Maillard, a cependant fixé certaines lignes rouges sur lesquelles les députés du parti présidentiel n'entendent pas céder en commission mixte paritaire : la majorité est défavorable aux restrictions du droit du sol et à la transformation de l'Aide médicale d'Etat (AME) en Aide médicale d'urgence (AMU). Les députés Renaissance souhaitent également conserver l'interdiction de placer en centre de rétention les mineurs de moins de seize ans et refusent de soumettre à une condition de résidence de cinq ans la possibilité de bénéficier de prestations sociales non contributives.

Les représentants de la majorité au sein de la CMP ne pourront pas céder trop de terrain à la droite, sous peine de perdre le soutien de l'aile gauche de Renaissance, mais aussi des députés MoDem. Mardi, lors de la conférence de presse hebdomadaire du groupe Démocrate du Palais-Bourbon, Erwan Balanant (MoDem) a regretté l'adoption de la motion de rejet par l'Assemblée : "On se retrouve avec un texte sénatorial qu'on a, nous, qualifié de provocation.

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En commission des lois, lors de l'examen des dispositions relatives aux travailleurs sans-papiers, le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, s'était au contraire montré, comme déjà quelques jours plus tôt, globalement satisfait de la version sénatoriale, notamment sur ce sujet. "Le texte issu du Sénat, tel que souhaité par le dangereux extrémiste qu'est le président [du groupe Union centrsite] Hervé Marseille, nous convenait parfaitement", avait-il ironisé.   

Le risque de perdre le soutien de Liot

Si le texte issu de la CMP penche trop à droite, l'exécutif pourrait donc perdre le soutien d'une partie de sa majorité. Il pourrait aussi perdre le soutien des députés du groupe indépendant Liot. Ces derniers voulaient débattre du projet de loi et ont donc refusé de voter la motion de rejet préalable qui a été adoptée lundi. Jusque-là, les députés du groupe Libertés, indépendants, Outre-Mer et territoires, étaient prêts à voter le texte si celui-ci conservait l'"équilibre" trouvé au sein de la commission des lois de l'Assemblée. 

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Le Rassemblement national intransigeant

Le groupe Rassemblement national, qui a voté la motion de rejet, ne veut quant à lui rien céder de ses positions sur l'immigration. Les députés RN, Marine Le Pen en tête, voteront contre le texte si celui-ci conserve les mesures relatives aux régularisations, a indiqué à l'AFP le secrétaire général du groupe, Renaud Labaye. Le député Rassemblement national, Yoann Gillet, qui fait partie des 14 parlementaires de la commission mixte paritaire a pour mission de "de faire sauter les mesures pro-immigration".

La gauche hors-jeu ?

Opposée à la philosophie générale du projet de loi et minoritaire à l'Assemblée comme au Sénat, la gauche - à l'origine de la motion de rejet adoptée lundi - n'a pas suffisamment de poids pour peser véritablement sur l'issue de la commission mixte paritaire. "Cette commission vire à la mascarade. La Première ministre, au mépris des institutions, reçoit à Matignon les chefs de partis de droite, même non membres de la CMP", a regretté jeudi sur X la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie (Socialiste), qui participera à la commission mixte paritaire de lundi prochain. En toute logique, si la CMP parvient à un accord, les groupes de gauche devraient voter contre.

Une CMP et un éventuel vote aux résultats incertains

L'ensemble des lignes rouges fixées par les différents groupes condamnent le gouvernement, la coalition présidentielle et la droite à d'âpres négociations : "J'ai la conviction qu'on peut trouver un accord. Il y a encore beaucoup de travail mais les choses s'engagent positivement", a expliqué vendredi matin sur FranceInfo le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement Franck Riester. Le gouvernement estime toutefois qu'il ne "peut pas y avoir un accord à tout prix, à n’importe quel prix. "La Première ministre veut l’unité de la majorité. C’est difficile mais c’est une priorité", a-t-il précisé. 

Si on a tous des lignes rouges, qu'on reste chacun de son côté, et qu'on ne fait pas des pas les uns envers les autres, il n'y a pas d'accord. Franck Riester sur FranceInfo

Jeudi soir, lors d'une rencontre avec les parlementaires de la majorité, Elisabeth Borne a évoqué les quelques pistes qui pourraient être retenues par l'exécutif pour parvenir à un accord avec la droite. La disposition sénatoriale visant à conditionner le versement des allocations non contributives (dont les allocations familiales) à une présence stable et régulière en France serait adoucie : l'idée serait de trouver un juste milieu entre la durée prévue par la législation actuelle (six mois) et celle souhaitée par Les Républicains (cinq ans).

Sur la question des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, l'article sénatorial serait restauré à une différence près : les étrangers n'auraient pas besoin de passer par leur employeur pour formuler une demande de régularisation. Une autre mesure du Sénat serait retenue : la déchéance de nationalité pour les binationaux, nés à l'étranger, coupables d'homicides ou tentatives d'homicides sur des personnes dépositaires de l'autorité publique. Le délit de séjour irrégulier pourrait, par ailleurs, être rétabli. L'idée de remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence dans la loi immigration serait, au contraire, abandonnée. 

Un député, présent lors de l'échange avec la Première ministre, affirme que les dispositions sur la déchéance de nationalité et les allocations familiales sont des "éléments qui ont du mal à passer" dans la majorité. "Pas sûr qu'il y ait un accord à l'issue de la CMP", a reconnu vendredi matin Franck Riester. En cas d'échec, l'Elysée a laissé entendre ces derniers jours que le texte pourrait être abandonné.

En revanche, si députés et sénateurs se mettent d'accord lors de la commission mixte paritaire qui aura lieu lundi 18 décembre, deux options seront possibles : 

  • Recourir au 49.3 pour faire adopter le texte sans vote, à l'Assemblée, ce qui exposera le gouvernement au risque d'une motion de censure. Mais vendredi, Emmanuel Macron a écarté cette option, appelant à un "compromis intelligent".
     
  • Soumettre l'accord au vote des députés et des sénateurs, avec un résultat, à ce stade, incertain à l'Assemblée nationale. En cas de CMP conclusive, l'ordre du jour du Parlement prévoit d'ores et déjà un scrutin dans chacune des deux Chambres dès mardi 19 décembre.