Réponses aux conséquences de la crise sanitaire : l'Assemblée complète le dispositif

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Réponses aux conséquences de la crise sanitaire : l'Assemblée complète le dispositif
par Maxence KagniVincent Kranen, le Jeudi 14 mai 2020 à 09:13, mis à jour le Vendredi 29 mai 2020 à 15:39

Examiné jeudi et vendredi dans l'hémicycle, le projet de loi relatif "à diverses dispositions liées à la crise sanitaire" est qualifié de "fourre-tout" par l'opposition. Il habilite le gouvernement à légiférer par ordonnances dans les domaines économique, judiciaire, ou encore sur les conséquences du Brexit.

Les députés ont adopté vendredi le projet de loi "relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne".

Le texte, critiqué par l'opposition pour son caractère "fourre-tout", a pour objectif, selon le ministre chargé des Relations avec le Parlement Marc Fesneau de faire face aux "conséquences lourdes, durables, diverses" de la crise du coronavirus.

Le projet de loi, qui vise à permettre au gouvernement de légiférer via de nouvelles ordonnances, doit permettre d'assurer "la continuité des missions de service public" et la "poursuite de l'activité économique".

Le gouvernement pourra ainsi adapter les dispositions relatives à l’activité partielle, mais aussi "la procédure de jugement des crimes". Le texte permettra également de fixer les paramètres de prise en compte des périodes de chômage partiel pour le calcul des retraites, ainsi que de faire face aux conséquences du Brexit.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit le report de l'entrée en vigueur de plusieurs réformes, comme celles du divorce (au 1er janvier 2021) et du code de justice pénale des mineurs (au 31 mars 2021).

Le nombre d'ordonnances réduit

Pour essayer d'apaiser les critiques de l'opposition, la commission spéciale chargée de travailler sur ce texte avait réduit, avec l'appui du gouvernement, le nombre des habilitations à légiférer par ordonnances.

Les parlementaires ont, par exemple, supprimé les ordonnances sur "l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français" et sur "l'accès simplifié des TPE à l'intéressement", afin d'inscrire ces dispositifs directement dans la loi. Les mesures portant de "six à neuf mois la durée maximale d’emploi des travailleurs saisonniers étrangers présents en France à la date du 16 mars 2020" ont connu le même sort.

Les députés ont continué en séance publique ce travail d'inscription "en dur" de certains dispositifs contenus dans plusieurs ordonnances.

Un texte "fourre-tout" ?

Ces précautions n'ont pas été suffisantes pour apaiser l'opposition : "C'est un texte qui entend dessaisir le Parlement de sa principale fonction, celle de faire la loi", a affirmé le député socialiste Jérôme Lambert.

L'élu communiste Sébastien Jumel a, quant à lui, estimé que la majorité, en acceptant "de confier à l'exécutif de choisir à [sa] place", prend le risque de faire "la démonstration que le Parlement ne sert à rien".

Le socialiste Jérôme Lambert a également dénoncé un "véritable fourre-tout" qui, derrière des ordonnances techniques, risque de "cacher la forêt des autres mesures", plus importantes, comme celles relatives au prêt de main-d'oeuvre, au Brexit, ou à l'intéressement dans les TPE.

"Je ne suis pas certain que le dépôt de seize textes, soit autant de projets de loi que de périmètres ministériels, eut été préférable en termes de lisibilité", leur a répondu le ministre chargé des Relations avec le Parlement.

Délais courts

"Certains droits essentiels du Parlement sont bafoués", a dénoncé jeudi le député Les Républicains Pierre-Henri Dumont. Mettant en cause des délais d'examen très courts, l'élu a affirmé que le gouvernement avait "déposé 18 amendements risquant de faire tomber l'ensemble des amendements des députés à une demi-heure de la date limite".

"On ne peut pas travailler sérieusement dans ces conditions", a abondé Caroline Fiat (La France insoumise), tandis que Pierre Dharréville (PCF) a dénoncé les "coups fourrés" de la majorité.

"Oui, les délais d'examen sont courts, mais la situation l'exige", avait préalablement expliqué le rapporteur du texte, Guillaume Kasbarian.

Montrons aux Français que l'Assemblée, elle aussi, sait s'adapter en toutes circonstances.Guillaume Kasbarian

Contrôle parlementaire

Face aux critiques de l'opposition, les députés de la majorité ont également défendu le "contrôle parlementaire accru" inscrit dans le texte par la commission spéciale.

L'article 5 du texte prévoit désormais que le Parlement sera "informé sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le gouvernement dans le cadre des ordonnances prises en application de la présente loi".

Il est précisé que les parlementaires seront "également informés de manière régulière de leur état de préparation".

Sanctuarisation des droits à la retraite des salariés

Au cours des débats, les députés ont notamment adopté un amendement du gouvernement qui va permettre à tous les salariés en activité partielle de bénéficier de droits à la retraite dans le régime général.

"Nous avons plus de 12 millions de salariés au chômage partiel. (...) En votant cet amendement, aucun de nos concitoyens ne sera amené à différer son départ en retraite parce qu'il a dû bénéficier du chômage partiel", a expliqué le secrétaire d'Etat chargé des Retraites, Laurent Pietraszewski. Une nouvelle accueillie très favorablement dans l'hémicycle.

Malgré le climat de consensus sur ce sujet, les députés n'ont pu s'empêcher d'évoquer le projet de loi de réforme des retraites dont l'examen au Parlement a été suspendu par Emmanuel Macron en raison de la crise épidémique.

"Monsieur le ministre, quand je vous ai vu arriver, j'ai eu peur. Je me suis dit 'mince, il est revenu avec le dossier sous le bras, ça ne va pas le faire'", a ainsi taquiné le député communiste Pierre Dharréville avant de saluer la mesure votée jeudi soir. Ce à quoi la députée La République en Marche Cendra Motin a répondu : "Je voudrais juste rajouter que si on avait été au bout de notre réforme des retraites, on n'aurait pas eu besoin de prendre cette mesure, on n'aurait pas eu besoin de voter cet article, parce que dans le régime universel les points auraient été acquis pour tout le monde !"

Pour mémoire, le projet de loi de réforme des retraites n'a franchi que la 1ère lecture de l'Assemblée nationale après son adoption, le 3 mars dernier, à l'issue de l'utilisation de l'article 49.3 par le Premier ministre.

Des procédures judiciaires renvoyées

Un autre amendement du gouvernement a, lui, suscité un vif débat dans l'hémicycle. La Garde des Sceaux Nicole Belloubet a présenté et fait adopter une disposition qui vise à réorienter une partie des procédures judiciaires dont l'audience n'a pu se tenir, ou ne pourra se tenir, du fait de la crise sanitaire.

En accord avec le président du tribunal judiciaire, les procureurs pourront apprécier "à nouveau la suite à donner" à la procédure en cours, selon l'exposé des motifs de l'amendement gouvernemental. Un moyen assumé pour désengorger l’agenda des tribunaux pour les contraventions et délits, ainsi que pour la justice des mineurs, de faits qui ne seraient pas examinés lors d'une audience. L'amendement du gouvernement exclut néanmoins par principe tout "classement sans suite" et demande à ce que le procureur "prenne en considération l’intérêt des victimes".

Un procédé inique pour le député Les Républicains Antoine Savignat, avocat de profession, qui a dénoncé une immixtion du législatif dans le pouvoir judiciaire et espéré une censure du Conseil constitutionnel sur ce point en particulier.

"On va aller dans la Cour d'honneur, on va brûler la Constitution, la Déclaration des droits de l'Homme, et admettre qu'on renie tous les fondements de notre justice ! Le législateur ne doit à aucun moment s’immiscer dans le fonctionnement de la Justice !" Antoine Savignat, député LR

"Nous parlons simplement de redonner du temps à l'audiencement", a répondu la Garde des Sceaux Nicole Belloubet. La ministre de la Justice a rappelé la nécessité de trouver des "solutions temporairement exceptionnelles" pendant cette période. L'amendement a été adopté par les députés.

Contrats courts

Les députés ont adopté vendredi un amendement du gouvernement permettant aux conventions d'entreprises de fixer "un nombre de renouvellements de CDD à un niveau autre que celui prévu par accord de branche étendu ou, à défaut, par la loi".

Le dispositif permettra, selon le ministre chargé des Relations avec le Parlement Marc Fesneau, de "maintenir au niveau de l'entreprise les compétences indispensables à la reprise de l'activité".

Les partenaires sociaux de l'entreprise pourront adapter pour leur entreprise, les règles relatives à la succession de contrats courts sur un même poste de travail, au mode de calcul du délai de carence, ainsi que des cas dans lesquels le délai de carence ne s'applique pas.Exposé des motifs de l'amendement

Cela reviendra, selon le député communiste Pierre Dharréville, à "dégrader la qualité de l'emploi" et entraînera une "précarisation".

L'Assemblée nationale a en revanche rejeté un amendement de la députée La République en Marche Emilie Cariou : il avait pour but de maintenir la primauté des accords de branche sur les accords d'entreprises. En clair, l'élue, dont l'amendement "a été travaillé avec la CFDT", souhaitait réserver le dispositif gouvernemental aux seuls secteurs qui n'ont pas conclu d'accords de branche.

Sa position, soutenue par 24 députés LaREM et par les élus socialistes, a été défendue par Jacques Maire (LaREM) dans l'hémicycle. En vain.

Les députés ont également réduit de trente à quinze mois la durée durant laquelle le gouvernement pourra prendre des ordonnances pour faire face aux conséquences du Brexit.