PMA pour toutes, procréation post-mortem, accès aux origines... Les propositions du rapport parlementaire sur la bioéthique

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AFP - montage LCP
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par Maxence Kagni, le Lundi 14 janvier 2019 à 11:21, mis à jour le Lundi 26 juillet 2021 à 14:22

La mission d'information sur "la révision de la loi relative à la bioéthique" doit publier mardi son rapport. Dans ce document, que LCP a pu consulter, le rapporteur LaREM Jean-Louis Touraine se prononce pour l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.

La mission d'information sur "la révision de la loi relative à la bioéthique" devrait se prononcer mardi en faveur de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules et aux couples de femmes.

"[Cette ouverture] apparaît comme une nouvelle étape sur le long chemin de l'émancipation des femmes par le renforcement de 'l'autonomie des choix reproductifs'", écrit le député La République en Marche (LaREM) Jean-Louis Touraine dans son rapport, qui doit être soumis au vote de cette mission composée de 36 membres, issus de tous les groupes politiques.

Le document de 300 pages, résultat de l'audition de près de 150 personnes (Manif pour tous, SOS Homophobie, comité consultatif national d'éthique...), formule 60 propositions dont a tenu à se démarquer dès l'introduction le président de la mission, Xavier Breton (Les Républicains).

Tout en expliquant ses "désaccords" avec les préconisations de son collègue de LaREM, le député de l'Ain estime toutefois que le rapport "mérite d'être lu avec attention" car il servira "de toile de fond des débats parlementaires" à venir lors de la révision des lois de bioéthique, qui devrait intervenir au début de l'été.

>> L'essentiel du rapport par Matthieu Desmoulins

 

 

La PMA pour toutes au nom de l'"égalité"

La proposition n°2 du rapport est la plus emblématique : "Ouvrir l'accès de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules."

"L'institution du mariage entre couples de personnes de même sexe, couplé au droit à l'adoption pour les couples homosexuels, a permis de lever certaines barrières", écrit Jean-Louis Touraine, qui estime que c'est au nom de "l'égalité" que la PMA doit être ouverte à tous les couples et aux femmes seules.

Une mesure qui serait prise en charge par la sécurité sociale

Aujourd'hui, note le rapporteur, "le recours aux techniques de procréation est considéré comme une assistance à un état pathologique, en l’occurrence l'infertilité" des couples hétérosexuels. Ce recours est également possible pour "éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité".

Avec l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, ce "critère pathologique" serait donc de fait supprimé, y compris pour les couples hétérosexuels, écrit l'élu LaREM.

Jean-Louis Touraine, qui évoque une "procréation sans sexe pour tous", se prononce en faveur d'une "prise en charge de l'AMP par la sécurité sociale dans les mêmes conditions" que celles accordées aujourd'hui aux couples hétérosexuels infertiles.

Filiation : une déclaration commune anticipée

Les parents qui auraient recours à la PMA seraient considérés comme les parents de l'enfant à condition d'avoir effectué une "déclaration commune anticipée de filiation" devant un notaire. Cette déclaration serait ensuite transmise à l'officier d'état civil au moment de la déclaration de la naissance de l'enfant. Elle figurerait en marge de la copie intégrale de son acte de naissance.

Une solution qui nécessite selon Jean-Louis Touraine une "certaine vigilance quant aux couples de sexes différents ayant eu recours au don, qui pourraient percevoir ce mécanisme comme un recul". En effet, cette contrainte n'existe pas aujourd'hui pour les couples hétérosexuels ayant recours à une PMA. Elle fait également "perdre [à ces] couples la possibilité de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception".

L'accès aux origines bouleversé ?

Ces changements pourraient en entraîner d'autres : puisque les couples de femmes ne pourront pas cacher bien longtemps à leur enfant leur mode de conception, une "hausse du nombre de demandes portant sur l'accès aux origines" est à "prévoir", estime Jean-Louis Touraine.

Ce phénomène risque de s'ajouter au développement, à l'étranger et sur internet, des tests génétiques permettant de retrouver son "géniteur". Autant de changements qui risquent de "remettre en cause le principe d'anonymat" du don de gamètes.

Le temps semble donc venu de permettre une levée de l'anonymat dans des conditions encadrées, à l'initiative des personnes issues de l'AMP, pour leur permettre d'accéder à la totalité de leur histoire.Rapport de la mission d'information

Pour cela, le député propose de "permettre aux personnes conçues à partir d'un don de gamètes ou d'embryon d'accéder à leurs origines" sur simple demande, dès l'âge de 18 ans.

Cet accès serait possible "pour tous les dons effectués après l'entrée en vigueur de la prochaine loi bioéthique". L'accès ne serait en revanche possible, pour les dons effectués avant l'entrée en vigueur de la loi, que "sous réserve du consentement du donneur".

Quelles seraient les données mises à dispositions des demandeurs ? Jean-Louis Touraine souhaite que soient livrées par défaut des données "non-identifiantes", c'est-à-dire des données générales comme la taille et l'âge ne permettant pas de retrouver le nom du donneur.

Mais si le donneur et la personne née de l'AMP en sont d'accord, alors des données identifiantes pourraient être communiquées. "Ceci ouvrirait la voie à une rencontre (...) ou à la délivrance d'informations relatives à sa vie personnelle", note Jean-Louis Touraine, à condition que le donneur ait donné son consentement préalable.

Une pénurie de dons de sperme ?

L'ouverture de la PMA à un plus grand nombre de bénéficiaires potentiels, assortie à ces conditions facilitées d'accès aux origines, risquent également d'entraîner "des tensions sur les flux et stocks de gamètes disponibles", reconnaît Jean-Louis Touraine. Il prône, dans un premier temps, de mettre en oeuvre des "campagnes d'incitation au don" de sperme.

Concernant les ovocytes, la situation est différente puisque "la stimulation ovarienne" est "éprouvante pour les femmes" : le rapport propose de rendre légale l'autoconservation ovocytaire, c'est-à-dire la conservation par une femme de ses ovocytes pour une utilisation ultérieure.

Jean-Louis Touraine, qui n'élude pas les risques de pressions professionnelles vis-à-vis de femmes qui pourraient être poussées à reporter leur grossesse, propose également d'"étendre à des centres privés l'habilitation à l'autoconservation que délivre l'Agence de biomédecine".

Procréation post mortem

Autre conséquence rendue possible, selon le rapporteur, par cette ouverture de la PMA à toutes les femmes : la "légitimation" de la procréation post mortem.

Il est clair qu'on ne peut à la fois, d'un côté, permettre à des femmes seules d'accomplir un projet de maternité solo et, d'un autre côté, interdire à une femme frappée par un accident de la vie de poursuivre un projet parental mûrement réfléchi.Rapport de la mission d'information

Il s'agit par exemple de permettre à une femme qui vient de perdre son conjoint d'utiliser pour elle-même des embryons plutôt que, comme cela est prévu aujourd'hui, les détruire ou les abandonner au profit de la recherche ou d'un autre couple. En somme, cette femme utiliserait les gamètes de son conjoint décédé au lieu de s'engager dans une procédure de PMA avec don d'un tiers en tant que femme seule.

Jean-Louis Touraine se prononce en faveur de la levée de l'interdiction de la procréation post-mortem "aussi bien par transfert de spermatozoïdes conservés que d'embryons". En cela il va plus loin que le comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui souhaitait réserver cette possibilité aux "couples (auparavant) engagés dans une procédure d'assistance médicale à la procréation ayant donné lieu à la cryoconservation d'embryons dits 'surnuméraires'".

La procréation post mortem devra faire l'objet d'un consentement réalisé par "acte notarié". Elle devra aussi respecter deux délais :

  • Un délai de "réflexion postérieurement à la disparition du conjoint" qui devra permettre d'empêcher les décisions trop hâtives, prises sous le coup de la tristesse et du deuil.
  • Un délai qui devra la naissance d'un enfant trop longtemps après le décès de son père.

Pas de légalisation de la GPA

Le rapporteur se prononce, conformément à l'avis récent du comité consultatif national d'éthique (CCNE), contre la légalisation de la gestation pour autrui (GPA) en France.

En revanche, Jean-Louis Touraine plaide pour une reconnaissance du lien de filiation entre les parents "d'intention" et leurs enfants nés d'une GPA à l'étranger, à condition que celle-ci ait été pratiquée de façon légale dans le pays d'origine. Le député propose "une reconnaissance de l'état civil d'un enfant" issu de GPA dans les mêmes conditions que celles "retenu[e]s pour les adoptions internationales".

En 2017, "environ 400 couples ou célibataires français auraient eu un enfant issu d'une GPA pratiquée à l'étranger" tandis que "plus de 2.500 enfants résidant en France seraient nés par GPA".

Diagnostic prénatal

Le rapport comporte de nombreuses autres propositions : l'allongement de la durée de culture de l'embryon sur lequel sont effectuées des recherches, la "levée de l'interdit portant sur la création d'embryons transgéniques afin de favoriser la recherche scientifique"...

Jean-Louis Touraine propose également d'étendre les dépistages néonataux à "quelques maladies supplémentaires" ou encore de développer pour "un nombre défini et relativement limité de gènes de maladies" les dépistages "préconceptionnels", c'est-à-dire la détection chez les deux membres du couple de gènes dont la transmission à des enfants futurs provoquerait des maladies graves.

Le rapporteur souhaite également encadrer l'extension des tests ADN qui permettent par exemple de "détecter une trisomie 21 avec une précision jamais égalée jusqu'ici". Or "les résultats de ces tests sont disponibles avant le délai légal d'interruption volontaire de grossesse (IVG) fixé à 12 semaines" ce qui "pourrait inciter" une femme enceinte à pratiquer une IVG une fois qu'elle aurait eu connaissance d'une anomalie génétique.

Le rapport propose enfin de fixer à cinq ans le délai de réexamen de la loi relative à la bioéthique (contre sept ans aujourd'hui) et de créer une délégation parlementaire chargée des questions de bioéthiques.