Lutte contre les violences conjugales : vers la création d'une ordonnance de protection "immédiate"

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Emilie Chandler (Renaissance) dans l'hémicycle le 5 mars 2024
Emilie Chandler (Renaissance) dans l'hémicycle lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'ordonnance de protection, le 5 mars 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 6 mars 2024 à 00:30, mis à jour le Mercredi 6 mars 2024 à 09:47

La proposition de loi "visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l'ordonnance provisoire de protection immédiate" a été adoptée par les députés à l'unanimité, en première lecture, dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 mars. A l'initiative d'Emilie Chandler (Renaissance), le texte vise à rendre plus opérant cet outil de lutte contre les violences intrafamiliales et ainsi permettre aux victimes d'y avoir davantage recours. 

"L’Etat protecteur est celui qui accompagne le départ, qui préserve les enfants, et qui offre la possibilité de quitter le domicile sans risquer les coups de son conjoint, ces coups qui seront les coups de trop". C'est ainsi qu'Emilie Chandler (Renaissance) a défini l'ambition de sa proposition de loi "visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l'ordonnance provisoire de protection immédiate". Après être revenue sur le Congrès de la veille ayant approuvé l'inscription de l'IVG dans la Constitution et s'être réjouie que les parlementaires soient pour ce faire parvenus à "dépasser les clivages partisans", la députée a appelé de ses vœux le même consensus en matière de lutte contre les violences intrafamiliales et conjugales.

"C'est un véritable fléau auquel jamais nous ne devons nous résigner", a aussi martelé Emilie Chandler, avant de détailler ses mesures pour "aller plus loin" en matière de mise en œuvre de l'ordonnance de protection.

Co-auteure d'un rapport publié en mai dernier sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, la députée s'était à cette occasion déjà penchée sur ce dispositif introduit par la loi du 9 juillet 2010, visant à protéger la victime de violences exercées par son conjoint ou ex-conjoint via des mesures d’éloignement, d'interdiction de contact ou de paraître.

Elle avait alors constaté que si le nombre de demandes d’ordonnances de protection avait été multiplié par 3,6 entre 2011 et 2021, leur proportion restait beaucoup plus faible qu'en Espagne, pays précurseur en la matière. Le rapport mettait notamment en cause des délais de délivrance particulièrement longs pouvant s'avérer dissuasifs, et préconisait que l'ordonnance de protection puisse être obtenue dans les 24 heures suivant sa demande.

Accélérer la prise en charge de victimes confrontées à l'urgence

L'ordonnance de protection est à l'heure actuelle délivrée dans un délai de six jours à compter de la saisine du juge aux affaires familiales. Une période de carence qui peut s'avérer cruciale pour la victime risquant d'être confrontée à un danger immédiat, tel qu'un passage à l'acte violent.

Nouveau dispositif prévu par la proposition de loi, l'ordonnance provisoire tiendrait ainsi lieu de "demande accessoire à la demande préalable d’ordonnance de protection", et serait donc délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de 24 heures, dans l’attente de la décision au fond concernant une ordonnance de protection, dont le rendu dans un délai maximal de six jours serait maintenu.

"Ce nouveau dispositif de protection est irréalisable dans l'état actuel de notre tissu judiciaire", a considéré Pascale Martin (La France insoumise). "Les tribunaux sont toujours en manque d'effectifs, malgré les belles promesses, et complètement surchargés", a fait valoir la députée, avant de reprocher au texte de "[ne pas] s'inscrire dans une politique publique plus large de prévention, d'accompagnement des victimes".

Emmanuelle Anthoine (Les Républicains) a, pour sa part, vanté dans l'ordonnance de protection une "arme préventive efficace", tout en s'avérant un dispositif "insuffisant pour répondre pleinement à l'urgence des situations de violences conjugales". "C'est ce que fait salutairement cette proposition de loi", s'est aussi félicitée la députée.

Doubler la durée initiale de l'ordonnance de protection

La proposition de loi vise, par ailleurs, à "porter de six à douze mois la durée initiale des mesures prononcées au titre de l’ordonnance de protection". Aujourd'hui, l'ordonnance de protection, dont la durée est fixée à six mois, est renouvelable uniquement en cas de changement de situation familiale, tel qu'un divorce ou une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale. Il s'agit donc ainsi de couvrir le cas particulier des couples non-mariés sans enfant. Cette durée de douze mois permettrait à la personne bénéficiaire de l'ordonnance de protection de disposer de plus de temps pour s'organiser, notamment pour déménager, et ainsi s'éloigner durablement d'un ex-conjoint violent.

"Quelle semaine pour les droits des femmes !", s'est exclamé le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, se félicitant au travers du texte examiné d'une "nouvelle avancée majeure et novatrice". Rappelant que "3586 ordonnances de protection [avaient été] délivrées en 2022 contre 1392 en 2017", le garde des Sceaux a estimé nécessaire de "faire évoluer le dispositif" afin de redoubler son efficacité, avant de l'inscrire dans un volontarisme plus global visant à "mettre un terme à la situation endémique des violences conjugales".

Dans la continuité de l'élan rassembleur de la veille, et à quelques jours du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, les députés ont adopté juste avant minuit la proposition de loi à l'unanimité. Après cette première lecture à l'Assemblée nationale, le texte doit maintenant poursuivre son parcours législatif au Sénat. 

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