Lutte contre la haine sur Internet : l'Assemblée adopte définitivement la proposition de loi

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Lutte contre la haine sur Internet : l'Assemblée adopte définitivement la proposition de loi
par Maxence Kagni, le Mercredi 13 mai 2020 à 15:52, mis à jour le Lundi 26 juin 2023 à 16:49

Le texte, porté par la députée La République en Marche Laetitia Avia, vise à obliger les plateformes et les moteurs de recherche à retirer en 24 heures les contenus "manifestement" haineux et illicites, sous peine de fortes amendes. L'opposition dénonce les effets pervers potentiels de cette loi qualifiée de "liberticide" par La France insoumise.

Les députés ont adopté définitivement la controversée proposition de loi "visant à lutter contre les contenus haineux sur internet", plus connue sous le surnom de "loi Avia".

Ce texte vise, selon la ministre de la Justice Nicole Belloubet, à "responsabiliser les acteurs des plateformes". Ceux-ci, estime la Garde des Sceaux, ne "peuvent s'exonérer de toute responsabilité en arguant du caractère incontrôlable de l'outil qu'ils ont eux-mêmes créé".

Concrètement, les plateformes comme Facebook, Twitter ou encore Youtube devront retirer tout contenu "haineux" dans un délai de 24 heures à compter de leur notification.

Les contenus visés par cette loi sont, notamment, ceux qui font l'apologie de crimes ou de délits, la négation de crimes contre l'humanité ou encore les injures à caractère discriminatoire. "Il s'agit de mettre fin à l'impunité que nous constatons sur les réseaux sociaux", a expliqué la rapporteure LaREM du texte, Laetitia Avia.

"Manifestement illicites"

Cette obligation de retrait ne concernera que les contenus "manifestement illicites", qui "constituent de manière évidente une infraction", a précisé Nicole Belloubet.

Le non-respect de ces nouvelles obligations pourra être sanctionné d'une amende pouvant aller jusqu'à 250.000 euros pour les personnes physiques et jusqu'à 1.250.000 euros pour les personnes morales.

Soutenu par les groupes La République en Marche, MoDem, mais aussi par la majorité des élus UDI, Agir et indépendants, le texte a également été défendu par la socialiste George Pau-Langevin.

La liberté d'expression n'est pas infinie dans notre droit [car] dès 1881, la loi l'a réglementée en interdisant les propos injurieux, racistes, diffamatoires ou provoquant à la haine.George Pau-Langevin

"Censure quasi immédiate"

"C'est une loi liberticide qui va réduire la liberté d'expression", a pour sa part dénoncé le député La France Insoumise Alexis Corbière. L'élu de Seine-Saint-Denis refuse de "donner la possibilité à des grands opérateurs d'organiser une censure quasi immédiate sur la base d'un signalement extrêmement vague".

Alexis Corbière évoque aussi un risque de "surcensure" de la part de géants du numérique craignant une sanction financière : "Ils bloqueront de façon quasi systématique sur la base d'algorithmes."

Constance Le Grip (Les Républicains) a, pour sa part, dénoncé la "précipitation" du gouvernement et de la majorité dans une "affaire très délicate". L'élue évoque, elle aussi, des "menaces sur la liberté d'expression" et un "danger" de voir les plateformes opérer une "censure préventive".

Les contenus situés dans la zone grise, ceux qui requièrent une interprétation, peuvent poser problème.Constance Le Grip

"Véritable épouvante"

"Le retrait de tout post doit être notifié à son auteur qui reçoit une information complète [avec] la date et l'heure de la signalisation, le motif du retrait et la sanction encourue", leur a répondu la députée MoDem Isabelle Florennes.

"Les plateformes retirent déjà, aujourd'hui, les contenus mais elles le font au regard de leurs conditions générales d'utilisation, de leurs priorités", a ajouté la rapporteure du texte, Laetitia Avia. Répondant elle aussi à certaines critiques visant le texte, Nicole Belloubet a rappelé que l'autorité judiciaire pourra être saisie "en cas de retrait abusif causant une atteinte à la liberté d'expression et de communication".

Une précision qui n'a pas rassuré la députée Frédérique Dumas (Libertés et Territoires), selon qui "la place du juge doit être en amont, pas en aval".

Marine Le Pen a également dénoncé "une véritable épouvante" qui organise, estime-t-elle, "la disparition du rôle du juge dans la protection de la liberté d'expression".

Retrait en une heure

Des dispositions introduites par le gouvernement dans une précédente lecture imposent un retrait, en une heure, des contenus pédopornographiques ou faisant l'apologie du terrorisme. Plusieurs groupes ont critiqué le dispositif prévu par la loi.

Frédérique Dumas (Libertés et Territoires) a regretté qu'avec cette loi "la seule police, sans le recours du juge", pourra désigner les contenus visés par l'obligation de retrait en une heure. Ce dispositif a aussi été dénoncé par Alexis Corbière (La France insoumise).

Le PKK est considéré comme une organisation terroriste, pourtant, elle a mené un combat glorieux, dont nous nous félicitons tous, notamment contre Daech.Alexis Corbière

"Un tel dispositif est juridiquement très fragile, instable" a, quant à elle, estimé Constance Le Grip (Les Républicains).

Le texte modifié à la marge

Les députés ont, par ailleurs, adopté deux séries d'amendements identiques, qui modifient à la marge le proposition de loi.

La première série précise que les contenus retirés devront être temporairement conservés par les opérateurs "à la seule fin de les mettre à la disposition de l'autorité judiciaire". Les modalités du dispositif seront précisés par un décret en conseil d'Etat.

La seconde série d'amendements identiques "réserve aux seules associations reconnues d’utilité publique la possibilité de notifier un contenu haineux lorsqu’elles en sont saisies par un mineur".

Cédric O répond à Mediapart

Par ailleurs, la rapporteure du texte Laetitia Avia a reçu le soutien public du gouvernement. Dans un article publié Mediapart, la députée La République en Marche de Paris est accusée par d'anciens assistants parlementaires de les avoir "humiliés à répétition au travail" ainsi que d'avoir tenu "des propos à connotation sexiste, homophobe et raciste".

Laetitia Avia, qui conteste ces accusations et qui a annoncé avoir l'intention de porter plainte pour diffamation, a été soutenue mercredi par Cédric O, le secrétaire d'Etat chargé du Numérique : "Laisser penser qu'elle puisse être raciste ou homophobe est un non-sens absolu."