Fin de vie : le critère du pronostic vital engagé "à court ou moyen terme" remplacé par "en phase terminale ou avancée"

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Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, le 16 mai 2024.
Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, le 16 mai 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 16 mai 2024 à 20:56, mis à jour le Samedi 18 mai 2024 à 00:53

La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi sur "l’accompagnement des malades et de la fin de vie" a terminé, ce jeudi 16 mai, l'examen de l'article 6 du texte. Pierre angulaire du texte - avec l'article 5 qui définit et autorise l'aide à mourir - l'article 6 établit les conditions pour y accéder. A l'issue d'un débat animé, le critère du pronostic vital engagé "à court ou moyen terme" a été remplacé par la notion d'affection "en phase avancée ou terminale".

Un principe - l'instauration d'une "aide à mourir" - et cinq conditions pour que l'accès à cette possibilité soit strictement encadré. C'est le cœur du projet de loi relatif à "l'accompagnement des malades et de la fin de vie", constitué par les articles 5 et 6 du texte. Après avoir adopté l'article 5 dans la matinée, la commission spéciale chargée de travailler sur le texte avant son examen dans l'hémicycle, a adopté ce jeudi 16 mai en fin de journée l'article 6 qui fixe les cinq critères, absolus et cumulatifs, pour pouvoir accéder à l'aide à mourir

"Être âgé d’au moins 18 ans"

Alors que le fait d'être majeur est le premier critère qui figure dans le projet de loi, Julie Laernoes (Ecologiste) a proposé un amendement d'appel pour que le débat sur l'accès des mineurs à l'aide à mourir puisse avoir lieu. 

Ledit amendement note que le projet de loi "met de côté la singulière problématique des mineurs qui souffrent d’une affection grave et incurable et dont les douleurs sont réfractaires à tous les traitements", et indique que "s’il paraît souhaitable de réserver dans un premier temps le droit d’aide à mourir aux seules personnes majeures, au regard du caractère très sensible qui entoure la question de l’ouverture aux mineurs, il convient pour autant de se poser la question de savoir comment mettre en œuvre à l’avenir des procédures pour les mineurs, comme l’ont fait la Belgique ou les Pays-Bas".

"L'accès à l’aide à mourir suppose une maturité et un discernement pleins et entiers", a opposé à cet amendement la rapporteure de cette partie du projet de loi, Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), justifiant l'exclusion des mineurs de la demande d'accès à mourir pour des raisons éthiques et médicales. La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a pour sa part rappelé la philosophie du projet de loi, régie par le principe de la décision individuelle, qui pourrait entrer en conflit avec la nécessité de recueillir l’accord des parents en cas d'ouverture de ce droit aux moins de 18 ans.

"Cet amendement a le mérite d’être un révélateur sur ce qu’il risque de nous arriver dans les années à venir si nous votons ce texte", a mis en garde Christophe Bentz (Rassemblement national), quand sans soutenir le principe d'un accès des mineurs à l'aide à mourir - au motif que sa réflexion sur le sujet n’était pas encore aboutie -, Danielle Simonnet (La France insoumise) a invité ses collègues à s'interroger : "Doit-on condamner à des souffrances insupportables, un jeune sous prétexte qu’il a moins de 18 ans ?".

"Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France"

Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) a plaidé pour élargir l’accès à l'aide à mourir au-delà de la nationalité française et de la résidence stable et régulière en France, mesure soutenue par l'ensemble des groupes de gauche et contestée par la droite. "Je suis hostile à l'aide active à mourir (...) C'est la raison pour laquelle je suis aussi hostile à ce que l'on puisse l'administrer à des étrangers en situation irrégulière. Que diriez-vous si je m'opposais à l'un, et pas à l'autre ?", a aussi fait valoir Annie Genevard (Les Républicains).

Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance) s'est également opposée à l'élargissement proposé par la gauche, au motif notamment que "la condition de nationalité française ou de résidence stable et régulière est justifiée par la couverture des frais associée à l’aide à mourir".

"Être atteint d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme"

A la difficulté d'appréhender le "moyen terme" qui menace le pronostic vital d'un patient, Stéphane Delautrette (Socialistes) et Anne-Laurence Petel (Renaissance) ont répondu par des amendements visant à substituer à l’expression "pronostic vital engagé à court et moyen terme", celle d'une affection en "phase terminale ou avancée".

Si la rapporteure pour le titre concerné, Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), a soutenu cet amendement, la ministre de la Santé s'y est opposée. "C’est vrai que personne ne borne complètement le moyen terme" a reconnu Catherine Vautrin, indiquant la nécessité de s'appuyer sur la pratique médicale en la matière et indiquant que l'avis de la Haute autorité de santé (HAS), sollicitée sur le sujet, était attendu à la fin de l'année.

Réservant sa parole sur le fond depuis le début des travaux en raison de sa fonction de présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) a pris la parole pour exprimer son opposition aux amendements Socialistes et Renaissance. "En supprimant le court et moyen terme, très clairement, on n’est plus du tout dans la même loi. On est dans une loi qui peut permettre à des personnes dont le pronostic vital serait engagé à long terme, qui peuvent avoir des souffrances physiques réfractaires, de demander l’aide à mourir. Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été présentée", a-t-elle souligné.

Une analyse que le rapporteur général, Olivier Falorni (Démocrate) n'a pas partagé. Comme sa collègue Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), il a dit son soutien aux amendements. A ceux qui se sont alarmés de la disparition des termes "pronostic vital engagé", il a aussi répondu que selon l'exposé des motifs du projet de loi, "la maladie grave et incurable engage par définition le pronostic vital".

Sur la même ligne, Philippe Vigier (Démocrate), a considéré que "le moyen terme n’a pas de sens, le court terme n’a pas de sens, en revanche une maladie avancée ou terminale signifie par les mots que l’on emploie que manifestement, le pronostic vital est là". Contre l'avis du gouvernement et de la présidente de la commission spéciale, les amendements ont finalement été adoptés.

Christophe Bentz (Rassemblement national) a alors accusé ses collègues d’avoir fait "sauter (...) le seul des cinq critères qui était un critère de sécurisation", tandis qu'Annie Genevard (Les Républicains) a exprimé sa "sidération" face à ce qu'elle a qualifié de "décision incroyablement dangereuse".

"Souffrance physique ou psychologique"

Annie Genevard (LR) encore a, en outre, présenté un amendement, afin que dans l'alinéa disposant que la personne qui demande une aide à mourir doit "présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable", les mots "ou psychologiques" soient supprimés. En réponse, Catherine Vautrin a expliqué que le texte ne ciblait "que la souffrance psychologique liée à l’affection en cause". "Ainsi une souffrance psychologique préexistante au diagnostic de la maladie, ne serait pas suffisante pour avoir accès à l’aide à mourir", a-t-elle aussi précisé, subordonnant la souffrance psychologique à la souffrance physique.

Un garde-fou qu'Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) a souhaité graver explicitement dans la loi, en faisant adopter un amendement complétant l'alinéa par les termes de "souffrance physique éventuellement accompagnée d’une souffrance psychologique".

"Manifester sa volonté de façon libre et éclairée"

Ultime critère prévu par le texte : "être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée". Sans succès, des députés des groupes Rassemblement nationalLes Républicains, ainsi que Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, ont tenté d'ajouter que cette volonté devait s'effectuer sans "pression" de l'entourage, afin selon eux de "protéger les personnes vulnérables".

Un débat animé a également eu lieu concernant l'importance des directives anticipées. Plusieurs élus Renaissance, RN et LIOT, les jugeant incompatibles avec cette condition de volonté "libre et éclairé", ont proposé de les exclure explicitement du dispositif. A contrario, Danielle Simonnet (La France insoumise) a souhaité les rendre compatibles avec l'aide à mourir.

"Ce texte est articulé sur la volonté du patient jusqu'au bout. C'est sa capacité à réitérer sa demande à toutes les étapes de la procédure, y compris au moment de l'administration du produit létal", a tranché la ministre de la Santé, jugeant qu'intégrer les directives anticipées affaiblirait le texte. "Il y aura en effet des cas où ce sera trop tard", a reconnu Catherine Vautrin, qui avait en revanche donné un avis de sagesse sur l'amendement d'Annie Vidal (Renaissance). Ce dernier a finalement été rejeté.

Après avoir adopté l'article 6 du projet de loi, les députés de la commission spéciale poursuivent, ce jeudi soir, l'examen du texte en débattant des articles consacrés à l’ensemble de la procédure d’aide à mourir.