Commission d'enquête sur la TNT : les dirigeants du groupe Canal+ nient tout interventionnisme de Vincent Bolloré dans les programmes

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Maxime Saada nie toute intervention de Vincent Bolloré sur les programmes. LCP
par Maxence Kagni, le Jeudi 29 février 2024 à 19:45, mis à jour le Lundi 11 mars 2024 à 16:06

Auditionnés jeudi 29 février par la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution et le contrôle des fréquences de la TNT, les dirigeants du groupe Canal+ et de la chaîne CNews ont défendu leurs choix stratégiques et éditoriaux, dans une ambiance parfois tendue, niant notamment tout "micromanagement" de Vincent Bolloré.

Les dirigeants du groupe Canal+ ont été auditionnés jeudi 29 février par les membres de la commission d'enquête "sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT)". Maxime Saada, le président du directoire du groupe, ainsi que Serge Nedjar, le directeur général de la chaîne CNews, ou encore les journalistes Laurence Ferrari, Pascal Praud et Sonia Mabrouk, ont répondu aux questions des députés, dans un climat parfois tendu, en particulier avec des élus de gauche. Cyril Hanouna sera pour sa part auditionné le 14 mars, tandis que Vincent Bolloré le sera également prochainement. 

La commission d'enquête a été lancée en novembre 2023 à la demande du groupe La France insoumise et notamment d'Aurélien Saintoul, qui en est désormais le rapporteur. L'élu a regretté publiquement que les dirigeants du groupe Canal+ aient fait le choix de venir en nombre à la convocation qui leur a été adressée : "Il va y avoir une armée mexicaine devant nous", a-t-il ironisé. Des propos relevés par Maxime Saada en ouverture des débats, jeudi matin : "Vos propos ainsi que la convocation de notre groupe pour une journée entière d'auditions (...) quand TF1, Altice, NRJ group ou M6, l'ont été pour deux heures en moyenne interroge sur l'impartialité de vos travaux", a affirmé le président du directoire du groupe Canal+.

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Pas de "micromanagement" de Vincent Bolloré

Lors d'une précédente audition, le PDG de TF1 Rodolphe Belmer avait fait état d'un "micromanagement" de Vincent Bolloré dans les "contenus" quand il dirigeait le groupe Canal+. "Si je considère que quelqu'un veut [choisir les contenus] à ma place, ce n'est plus moi qui suis responsable de la publication et je vais faire autre chose", avait déclaré Rodolphe Belmer, qui a quitté Canal+ en 2015, soit quelques mois la prise de contrôle, en 2014, de Vincent Bolloré sur Vivendi, la maison mère de la chaîne cryptée. 

"Vincent Bolloré fixe un cap stratégique, un cap de rentabilité avec nous et il intervient sur les grandes décisions essentielles", a répondu jeudi matin Maxime Saada, qui a nié toute intervention sur la grille des programmes du milliardaire. "Je n'ai jamais subi aucune pression de Vincent Bolloré", a de son côté affirmé Serge Nedjar, le directeur général de CNews reconnaissant cependant avoir "pratiquement quotidiennement" des échanges téléphoniques avec l'actionnaire majoritaire du groupe Bolloré, notamment pour "parler des audiences".

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La "spontanéité" de Cyril Hanouna

Maxime Saada a également pris la défense de l'animateur star de C8, Cyril Hanouna. Dans une séquence de son émission "Touche pas à mon poste", diffusée le 10 novembre 2022, celui-ci avait qualifié le député LFI - et ancien chroniqueur de l'émission - Louis Boyard de "merde", de "tocard" et d'"abruti". Saisie, l'Arcom a prononcé une amende de 3,5 millions d'euros contre C8. Une sanction jugée "complètement disproportionnée" par le groupe Canal+. 

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Maxime Saada a loué la "nature", la "spontanéité", le "naturel" et le "franc-parler" de Cyril Hanouna : "Il est en direct, il prend un risque, nous prenons un risque, c'est ce qui explique son succès, et c'est un risque que nous assumons pleinement", a-t-il déclaré, ajoutant que ce type d'incidents était "très rare". "On constate donc que les amendes de l'Arcom ne sont pas dissuasives", a commenté en retour le rapporteur Aurélien Saintoul.

L'avortement présenté comme une "cause de mortalité" sur Cnews

L'audition a permis aux dirigeants et journalistes interrogés de revenir sur la diffusion dimanche 25 février sur la chaîne CNews d'une séquence dans laquelle l'IVG était présentée comme "la première cause de mortalité dans le monde". Une "présentation horrible, ignoble", a dénoncé le président de la commission d'enquête, Quentin Bataillon (Renaissance).

Le directeur général de CNews Serge Nedjar a reconnu une "erreur inacceptable", "impardonnable" : "C'est intolérable, c'est un véritable traumatisme." L'émission en question, "En quête d'esprit", est enregistrée : selon Serge Nedjar, c'est une mauvaise version de celle-ci qui a été diffusée et non sa "version 2", amendée et expurgée des passages problématiques. La direction de CNews mène une enquête : "On ne se voile pas la face, on est véritablement en train d'investiguer pour voir s'il n'y a pas eu [une] erreur [ou] un peu plus."

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La décision du Conseil d'Etat critiquée

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a, dans une décision rendue publique le 13 février, demandé à l'Arcom de "prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques". Une décision vue par beaucoup comme visant spécifiquement CNews : "Tout le monde a bien compris que (...) celui qui est précisément ciblé, c'est CNews", a commenté la journaliste Laurence Ferrari.

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"On entend un peu partout les possibilités de ficher les journalistes quant à leurs votes, accointances politiques ou autres, cela me paraît un peu difficile et effrayant", a réagi jeudi Serge Nedjar. "Je constate que le travail va être extrêmement ardu pour l'Arcom et je leur souhaite bonne chance", a ironisé le directeur général de CNews. "La France serait sans doute la seule démocratie au monde à commencer à ficher les journalistes, les éditorialistes", a de son côté commenté Maxime Saada.

Le directeur de l'information de CNews, Thomas Bauder, a quant à lui affirmé que son objectif était d'"avoir une forme de pluralisme des points de vue", tout en rappelant que certaines personnalités politiques et partis politiques, comme Les écologistes, "boycottent CNews". La journaliste Sonia Mabrouk a pris la défense de sa chaîne, estimant que "la rédaction de CNews est la rédaction la plus diverse qu'il m'ait été donné de connaître", "diverse par ses opinions, par son parcours, par ses origines". 

A chaque fois qu'on fait une erreur parce qu'on ne modère pas un propos sur un plateau, on s'en veut et ça arrive, hélas. Pascal Praud

Renouvellement des fréquences

Autant de prise de positions remises en cause par la députée écologiste Sophie Taillé-Polian, qui a évoqué un passage de Christophe Deloire dans "L'Heure des pros", le 14 février. Le secrétaire général de Reporters sans frontières est à l'origine de la décision du Conseil d’Etat sur le pluralisme des opinions à la télévision. Selon Le Monde, Christophe Deloire a été "dans l’incapacité de défendre la moindre argumentation" sur le plateau de CNews.

"C'est difficile de considérer qu'on respecte le pluralisme quand on considère que ses invités sont des punching-balls", a commenté Sophie Taillé-Polian. "M. Deloire est venu sur le plateau, on lui a posé toutes les questions possibles, il n'a pas su y répondre", a répondu Pascal Praud, l'animateur de l'émission.

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"Vous, votre conception du pluralisme passe par l'interdiction des chaînes et des rédactions puisque vous êtes à l'initiative d'une pétition visant à interdire CNews", a de son côté déploré Thomas Bauder, le directeur de l'information de CNews. Sophie Taillé-Polian est à l'origine d'une pétition demandant le non-renouvellement des fréquences attribuées à CNews et C8.

D'ici à 2025, les autorisations de diffusion sur la TNT de 15 des 30 chaînes qui y sont présentes arriveront à échéance. Les chaînes du groupe Canal+ (dont Canal+, C8, CNews, CStar) sont concernées par cette procédure de renouvellement. Maxime Saada a annoncé jeudi matin la volonté de son groupe de solliciter le renouvellement de leurs fréquences : "La TNT est un élément essentiel à la distribution de Canal+ (...) On ne peut pas se priver de ce moyen de diffusion."