Pollution au chlordécone : vers une reconnaissance dans la loi de la responsabilité de l'État ?

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Une bananeraie. © Radio France
Une bananeraie. © Radio France
par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 28 février 2024 à 15:35, mis à jour le Jeudi 29 février 2024 à 12:24

Adoptée en commission le 14 février, une proposition de loi visant à "reconnaître la responsabilité de l’Etat et indemniser les victimes du chlordécone" -  pesticide  utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe entre 1972 et 1993 - sera examinée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale ce jeudi 29 février. Le texte est présenté dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe Socialistes. 

Le Parlement reconnaîtra-t-il ce que la justice française n'a pu reconnaître ? Quelques années après la dénonciation d'un "scandale environnemental" par Emmanuel Macron, et un an après le non-lieu proclamé par le pôle santé du tribunal judiciaire de Paris, reconnaissant toutefois un "scandale sanitaire", une proposition de loi qui sera examinée en première lecture à l'Assemblée nationale, ce jeudi 29 février, pourrait aller à rebours et reconnaître la responsabilité de l’État dans la pollution au chlordécone aux Antilles françaises.

Porté par le député de Guadeloupe Elie Califer (Socialistes), le texte - qui a été adopté en commission des affaires sociales le 14 février - appelle à reconnaître la "responsabilité de la République française" dans la pollution au chlordécone qui a causé des "préjudices sanitaires, écologiques et économiques" (article 1). Une pollution qualifiée de "véritable bombe sanitaire" par le rapporteur lors des débats en commission. 

Plus de 90% de la population guadeloupéenne et martiniquaise exposée

La chlordécone est un insecticide qui, en dépit de sa toxicité avérée dès les années 1960 - notamment confirmée par les travaux d'une mission d'information parlementaire de l'Assemblée en 2019 - a été massivement utilisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe pour lutter contre le charançon, un insecte ravageur.

Bénéficiant d'une dérogation d'exploitation jusqu'en 1993 après son interdiction dans l'Hexagone en 1990, son emploi a entraîné une pollution importante et globale en Guadeloupe et en Martinique : faune, flore, agriculture, cours d'eau, personnes sont concernées. Selon une enquête inédite de Santé publique France en 2018, plus de 90% des populations des deux îles y a ont été exposées.

L'exposition au chlordécone est considérée comme étant liée (voir ici ou ) à une explosion du nombre de cancers (prostate, col de l'utérus) - certains d'entre eux ont d'ailleurs récemment commencé à être reconnus comme maladie professionnelle par les pouvoirs publics, à l'image d'un décret gouvernement paru fin 2021 concernant le cancer de la prostate.

Dépollution des sols et indemnisation des victimes

Au-delà de la reconnaissance de la responsabilité de l’État, le texte assigne deux objectifs à ce dernier : un objectif de "dépollution des terres", érigé comme "priorité nationale", et un objectif d'indemnisation des victimes et des territoires ayant été contaminés par le chlordécone.

En commission, sans s'opposer à la démarche, le groupe Renaissance a déploré la "portée symbolique" du texte. Un argument également brandi par d'autres groupes qui n'en ont pas tous tirés les même conséquences quant à leur vote. Le groupe Les Républicains a indiqué être prêt à soutenir le texte s'il se cantonnait à cette portée, tandis que le groupe Démocrate a fait part de son opposition à un texte jugé "déclaratoire" et "essentiellement symbolique". Le Rassemblement national et La France insoumise ont, quant à eux, décidé de voter le texte. 

En commission, seul un amendement (présenté par le groupe Ecologiste) a été adopté. Sous-amendé par le rapporteur, il prévoit d'élargir le champ de recherche scientifique relatif aux conséquences de la transformation du chlordécone à mesure de sa dégradation dans les sols. La proposition de loi sera examinée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, ce jeudi 29 février, lors de la journée d'initiative parlementaire du groupe Socialistes.