Qu'est-ce qu'un gouvernement démissionnaire chargé des affaires courantes ?

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François Bayrou LCP
François Bayrou à l'Assemblée nationale (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mardi 9 septembre 2025 à 18:00, mis à jour le Mardi 9 septembre 2025 à 18:50

Le Premier ministre sortant, François Bayrou, a remis sa démission au président de la République, ce mardi 9 septembre. Dans l'attente de la nomination d'un nouveau gouvernement, l'équipe sortante sera chargée de l'expédition des affaires courantes, mais ses prérogatives sont limitées. Explications. 

Au lendemain de l'échec de François Bayrou à obtenir la confiance des députés, le Premier ministre a officiellement remis sa démission au président de la République, ce mardi 9 septembre. Dès lundi soir, l'Elysée avait fait savoir par communiqué qu'un nouveau Premier ministre serait nommé dans les "prochains jours" par Emmanuel Macron. Dans l'attente de la nomination d'un successeur à Matignon, le gouvernement est réputé démissionnaire, dès lors que le président de la République a formellement accepté la démission de François Bayrou. Sachant que l'échec du vote de confiance à l'Assemblée nationale signifie de fait la chute du gouvernement. 

Dans cette phase particulière, les ministres restent à leur poste, mais uniquement pour gérer les "affaires courantes" et faire face aux urgences. Il s'agit d'assurer le "fonctionnement minimal de l'Etat", au nom de la "continuité", comme le rappelle le Secrétariat général du gouvernement (SGG) dans une note datant de juillet 2024. Cette période ne prendra pas fin dès lors que le nom du futur Premier ministre sera connu, mais lorsque les nouveaux ministres de plein exercice auront été nommés, ce qui peut demander quelques jours supplémentaires.

Que peut faire un gouvernement démissionnaire ?

Dans cette période, qui a duré 67 jours l'année dernière - entre la démission de Gabriel Attal et la nomination de l'équipe de Michel Barnier -, les prérogatives du gouvernement sont donc limitées. Aucun texte juridique n'indique précisément ce que peut faire, ou non, un gouvernement démissionnaire. Cette tradition s'est forgée et a pris de l'épaisseur dans la pratique depuis la IIIème République. L'action du gouvernement relève toutefois de deux catégories différentes : les "affaires courantes", une notion jurisprudentielle qui relève de la marche quotidienne de l'Etat et exclut en principe tout acte de nature politique, et les "affaires urgentes", dictées par la nécessité.

De fait, un gouvernement démissionnaire peut tout à fait procéder à certaines nominations, mais à condition qu'elles n'aient pas une portée trop politiques. Les nominations de directeurs d'administration sont ainsi exclues. De manière similaire, le pouvoir réglementaire des ministres est limité. Toutefois, les mesures visant à mettre en application des lois déjà votées, ou à prolonger l'application à l'identique d'un régime qui viendrait à expiration durant la période d'affaires courantes, peuvent être prises par un gouvernement démissionnaire.

Face à une urgence - événement climatique, troubles à l'ordre public, attentat, etc. - le gouvernement est donc également autorisé à agir, et pourrait même, selon le Secrétariat général du gouvernement, décréter l'état d'urgence, si les circonstances l'exigeaient. Par convention, le Conseil des ministres ne se réunit pas en période démissionnaire ; mais ce n'est pas une contrainte juridique. Cela s'est d'ailleurs déjà produit en 1981, alors Raymond Barre était encore à Matignon.

Prendre des mesures financières urgentes

Jamais, sous la Vème République, un gouvernement démissionnaire n'a présenté ou fait adopter de projet de loi, et pour cause : tout l'équilibre institutionnel est perturbé. Sans gouvernement en bonne et due forme, le Parlement ne siège pas, ce qui prive l'Assemblée nationale de sa capacité de renverser gouvernement. Pour le Secrétariat général du gouvernement, la nécessité de doter la France d'un budget pourrait néanmoins justifier qu'un gouvernement démissionnaire puisse prendre des "mesures financières urgentes", de type loi spéciale, afin de demander en urgence l'autorisation de percevoir les impôts.

Le SGG prévoit également qu'un gouvernement démissionnaire puisse procéder par ordonnances, si un projet de loi de finances n'est pas adopté dans le délai de 70 jours prévu par la Constitution, afin que le pays dispose d'un budget pour l'année suivante ; un cas jamais vu qui divise toutefois les spécialistes et qui ne garantirait pas une pleine sécurité juridique.

Enfin, l'activité des ministres démissionnaires, élus ou réélus à l'Assemblée nationale après la dissolution de juin 2024, avait fait débat parmi les constitutionnalistes. Alors que la Constitution exclut tout cumul de fonctions ministérielles et parlementaires, 17 "députés-ministres démissionnaires" avaient pris part à l'élection de la présidente de l'Assemblée nationale dans la foulée des législatives anticipées et dans l'attente de la nomination d'un nouveau gouvernement. Plusieurs recours déposés par l'opposition avaient été rejetés par le Conseil constitutionnel.

Quelle activité à l'Assemblée nationale ?

Contrairement à la dissolution, qui interrompt totalement l'activité de l'Assemblée nationale, la chute du gouvernement ne met pas fin à la législature. La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la cybersécurité a d'ailleurs maintenu ses travaux, cette semaine, tout comme la commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale.

En théorie, rien n'empêche non plus les commissions permanentes de l'Assemblée nationale de se réunir. Dans un rapport parlementaire publié en décembre dernier, les députés Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) et Stéphane Mazars (Ensemble pour la République) avaient d'ailleurs plaidé pour renforcer le contrôle parlementaire des gouvernement démissionnaires, en conférant davantage de pouvoirs aux commissions du Palais-Bourbon. Une proposition de loi reprenant une partie de leurs préconisations avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée en avril dernier, mais n'a pas encore été inscrite à l'ordre du jour au Sénat.