L'Assemblée a adopté la réforme de la justice pénale des mineurs

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Eric Dupond-Moretti, le 10 décembre 2020
par Maxence KagniRaphaël Marchal, le Vendredi 11 décembre 2020 à 20:14, mis à jour le Vendredi 12 février 2021 à 13:43

Les députés ont adopté ce vendredi 11 décembre le projet de loi portant réforme de la justice pénale des mineurs en séance publique, par 41 voix contre 8. Le texte instaure notamment un seuil de responsabilité pénale à 13 ans et raccourcit la procédure, tout en la simplifiant. Il s'agit de la ratification d'une ordonnance gouvernementale. La réforme doit entrer en vigueur au 31 mars 2021.

"La justice pénale des mineurs dispose enfin d'un code de procédure clarifié, lisible, à vocation éducative ; une justice plus rapide et plus juste", s'est félicité le ministre de la Justice après l'adoption du projet de loi "ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs" par les députés. Le texte a été adopté par 41 voix contre 8, avec le soutien des élus "Les Républicains" et des socialistes, malgré quelques réserves exprimées.

"Le choix d'une ordonnance est une erreur fondamentale, car elle ne permet pas un travail d'analyse article après article" et "ne facilite pas le travail des parlementaires", a regretté la députée socialiste Cécile Untermaier, juste avant l'adoption du projet de loi. Le député Les Républicains Antoine Savignat, qui n’était pas favorable à une telle réforme il y a deux ans, s'est finalement dit convaincu. Les élus communistes et insoumis se sont au contraire opposés au texte. Ugo Bernalicis (La France insoumise) a en outre regretté qu'un vote solennel ne soit pas organisé sur le projet de loi, adopté dans un hémicycle clairsemé.

Le texte acte la réforme de l'ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs, devenue illisible au fil de la quarantaine de modifications qu'elle a subies. "Cette réforme est le fruit de plus de dix ans de consultations", avait fait valoir Éric Dupond-Moretti hier, en ouverture des débats de la séance publique.

"Modification en profondeur"

En 2018, le gouvernement a décidé de modifier l'ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs. La réforme, portée par la ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubet, a été réalisée par voie d'ordonnance l'année suivante. C'est cette réforme que le Parlement doit désormais ratifier. 

L'objectif alors défendu par la garde des Sceaux était de "simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants". Car l'ordonnance de 1945 a déjà été amendée une quarantaine de fois depuis sa mise en œuvre : cette succession de réformes "sans cohérence" a fini par rendre le texte fondateur de la justice des mineurs "illisible", a expliqué Éric Dupond-Moretti.

Le gouvernement veut rendre une cohérence à l'ensemble : "Le texte que je vous présente consacre tous les principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945 : la primauté de l'éducatif, l'atténuation de la peine, la spécialisation des acteurs", a justifié le garde des Sceaux.

Mais le recours aux ordonnances est vivement critiqué par l'opposition : "Cela peut s'entendre pour une codification à droit constant, mais ce n'est pas le cas [ici]", a estimé la députée communiste Elsa Faucillon. L'élue critique une "modification en profondeur de la procédure pénale applicable aux mineurs".

Des délais raccourcis

L'ordonnance vise notamment à rendre la justice pénale des mineurs plus réactive, en réformant la procédure. Ainsi, une première audience portant sur la culpabilité du mineur concerné devra nécessairement avoir lieu dans un délai maximal de trois mois après les faits. Une période de mise à l'épreuve éducative sera ouverte à compter de cette première étape.

Une seconde audience prévoyant le prononcé de la sanction devra être organisée dans un délai compris entre six et neuf mois. Une audience unique regroupant ces deux procédures pourra également être mise en œuvre, sous conditions, concernant les mineurs déjà connus des services judiciaires. Des conditions jugées insuffisamment restrictives par Elsa Faucillon, qui a fait part de sa crainte de voir cette "comparution immédiate appliquée aux enfants" trop souvent utilisée.

S'il a jugé que le texte aurait pu être "plus ambitieux" sur certains points, le député Les Républicains Antoine Savignat s'est félicité de ce "premier pas" concernant la procédure et la mise en place de ces délais raccourcis. L'élu a salué de "véritables avancées" en la matière.

Présomption de non discernement

Le projet de loi prévoit aussi de créer une présomption de non discernement pour les mineurs de moins de 13 ans.

Ainsi qu’y invite la Convention internationale des droits de l’enfant, [cette présomption] est établie, ainsi qu’une présomption de discernement des mineurs âgés d’au moins treize ans. Exposé des motifs du projet de loi

Cela signifie que si le juge souhaite engager des poursuites pénales contre un mineur de moins de treize ans, il devra motiver sa décision. Cette réforme a été qualifiée de "progrès" par Jean-Félix Acquaviva (Libertés et territoires).

Les députés communistes ont proposé de renforcer le dispositif en rendant "irréfragable" la présomption de non discernement : selon eux, le juge ne devrait en aucun cas pouvoir poursuivre pénalement un mineur de moins de treize ans.

A contrario, plusieurs députés Les Républicains ont jugé néfaste la présomption de non discernement : dans un amendement, Éric Ciotti estime ainsi que "les réseaux pourraient détourner cette disposition et utiliser les mineurs de 13 ans à des fins criminelles".

Les députés Les Républicains, ainsi que Marine Le Pen (Rassemblement national), ont également souhaité modifier le texte afin d'y introduire un abaissement de la majorité pénale à 16 ans, justifiant cette évolution par la gravité croissante des actes commis par des mineurs délinquants. Proposition écartée par l'Assemblée.

Quelques modifications

Lors de l'examen du texte en séance publique, les élus ont procédé à quelques ajustements. Ils ont notamment consacré "l'intérêt supérieur de l'enfant" au sein de l'article préliminaire du nouveau code, dans le respect de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Les élus ont en outre décidé de garantir la spécialisation pour tous les acteurs de la justice des mineurs, dont le juge des libertés et de la détention. Ce dernier intervient pour le placement du mineur en détention avant qu’il ne soit jugé sur la culpabilité. L'une des modifications majeures portées sur le texte de l'ordonnance concerne également les magistrats : il s'agit de satisfaire à l'exigence "d'impartialité" du juge des enfants.

Aujourd'hui, le juge des enfants peut décider de placer en détention provisoire un mineur : dans ce cas, il est "contraint à une analyse et une appréciation du dossier en amont de l'audience". Cela contrevient à "l'exigence constitutionnelle d'impartialité", selon Alexandra Louis (La République en marche). Son amendement prévoit donc que le placement en détention provisoire sera décidé par le juge des libertés et de la détention (JLD) avant l'audience de culpabilité ou "quand il s'agit de révoquer un contrôle judiciaire".

Dans la nuit de jeudi à vendredi, les députés ont également davantage encadré l'organisation des centres éducatifs fermés. Des modifications qui ont donné lieu à de nombreuses joutes oratoires entre le ministre de la Justice et l'aile gauche de l'hémicycle.

La question des moyens

"Cette réforme de la justice pénale des mineurs ne peut être mise en place sans lui en accorder davantage de moyens", a expliqué jeudi le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Le ministre a défendu l'action du gouvernement : "Au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, cette réforme a été anticipée depuis 2018 avec 252 emplois nouveaux créés jusqu'en 2022." 86 éducateurs ont été recrutés "dans le cadre des budgets alloués à la justice de proximité", a ajouté le ministre.

Dans nos juridictions, 72 magistrats ont ainsi été affectés au 1er septembre 2020 et le déploiement de 100 greffiers a permis un renfort immédiat. Éric Dupond-Moretti

Les députés d'opposition ont unanimement partagé cette analyse concernant le besoin de moyens supplémentaires. Ils n'ont toutefois pas partagé l'optimisme du garde des Sceaux concernant les premiers recrutements. "Les mesures éducatives ne seront pas appliquées, faute de moyens", a déploré Elsa Faucillon.

"La justice des mineurs est devenue inaudible à cause du manque de moyens et d'outils adaptés", a estimé pour sa part Antoine Savignat (Les Républicains). Il a notamment fait part de ses craintes quant à la période transitoire qui va s'ouvrir à compter de l'application de la réforme, et qui va "être synonyme de surcroît d'activité tant pour résorber le stock que pour respecter les nouveaux délais."

"Intérêt supérieur"

Le fait que la réforme porte uniquement sur le volet pénal a par ailleurs été critiqué. La député communiste Marie-George Buffet a regretté que celle-ci ne consiste pas en la création d'un code de l'enfance regroupant dispositions pénales et civiles, qui aurait "réaffirmé dans le droit l'intérêt supérieur des enfants". Même tonalité du côté du groupe de La France insoumise et de la députée socialiste Cécile Untermaier, co-autrice d'un rapport d'information sur la justice des mineurs.

Lors de l'examen en commission, le rapporteur, Jean Terlier (La République en marche), avait rappelé que cette réforme constituait une première pierre nécessaire.

L'entrée en vigueur de l'ordonnance est prévue le 31 mars 2021, après un report de six mois dû au coronavirus.