Après la démission du Premier ministre, Sébastien Lecornu, lundi 6 octobre, le gouvernement, à peine nommé et déjà démissionnaire, est en charge des affaires courantes. Dans cette situation, les ministres peuvent assurer la continuité de l'Etat et gérer d'éventuelles urgences, mais leurs prérogatives sont limitées.
A peine nommés dimanche 5 octobre, les ministres du plus éphémère gouvernement de la Ve République étaient déjà démissionnaires le lendemain. Ce sont néanmoins bien eux, et non pas l'équipe précédente - même si la plupart des nommés étaient en poste sous François Bayrou -, qui sont chargés d'expédier les affaires courantes en attendant la nomination d'un nouveau gouvernement. A l'exception de Bruno Le Maire qui s'est retiré du ministères des Armées lundi, sa charge étant transférée à Sébastien Lecornu.
Leur entrée en fonction a en effet été actée par la publication d'un décret au Journal officiel dimanche, dans la foulée de l'annonce de la composition du gouvernement par le secrétaire général de l'Elysée, Emmanuel Moulin. Selon Acteurs publics, ils pourront recruter jusqu'à 15 collaborateurs pour les aider dans leurs tâches, la limite actuellement fixée pour les ministres de plein exercice. Cas particulier, Bruno Le Maire s'est retiré du ministères des Armées, sa charge étant transférée à Sébastien Lecornu.
Dans cette phase particulière, les ministres restent à leur poste, mais uniquement pour gérer les affaires courantes et faire face à d'éventuelles urgences. Il s'agit d'assurer le "fonctionnement minimal de l'Etat", au nom de la "continuité", comme le rappelle le Secrétariat général du gouvernement (SGG) dans une note datant de juillet 2024. Cette période ne prendra pas fin dès la nomination d'un nouveau Premier ministre, mais lorsque les nouveaux ministres de plein exercice auront été nommés.
Dans cette période particulière qui s'ouvre, - et qui a duré jusqu'à 67 jours l'année dernière entre la démission de Gabriel Attal et la nomination de l'équipe de Michel Barnier -, les prérogatives du gouvernement sont donc limitées. Aucun texte juridique n'indique précisément ce que peut faire, ou non, un gouvernement démissionnaire. Cette tradition s'est forgée et a pris de l'épaisseur dans la pratique depuis la IIIème République. L'action du gouvernement relève toutefois de deux catégories différentes : les "affaires courantes", une notion jurisprudentielle qui relève de la marche quotidienne de l'Etat et exclut en principe tout acte de nature politique, et les "affaires urgentes", dictées par la nécessité.
De fait, un gouvernement démissionnaire peut tout à fait procéder à certaines nominations, mais à condition qu'elles n'aient pas une portée trop politiques. Les nominations de directeurs d'administration sont ainsi exclues. Parmi les premières conséquences, le processus de nomination de Jean Castex à la SNCF et de Marie-Ange Debon à La Poste, qui étaient sur les rails, a été suspendu. Ces nomination relèvent du président de la République, mais doivent validées par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, puis entérinées en Conseil des ministres.
De manière similaire, le pouvoir réglementaire des ministres est limité. Toutefois, les mesures visant à mettre en application des lois déjà votées, ou à prolonger l'application à l'identique d'un régime qui viendrait à expiration durant la période d'affaires courantes, peuvent être prises par un gouvernement démissionnaire.
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Par ailleurs, face à une urgence - événement climatique, troubles à l'ordre public, attentat, etc. -, le gouvernement est autorisé à agir, et pourrait même, selon le Secrétariat général du gouvernement, décréter l'état d'urgence, si les circonstances l'exigeaient. Par convention, le Conseil des ministres ne se réunit pas en période démissionnaire, mais ce n'est pas une contrainte juridique. Cela s'est d'ailleurs déjà produit en 1981, alors Raymond Barre était encore à Matignon.
Sous la Ve République, jamais un gouvernement démissionnaire n'a présenté ou fait adopter de projet de loi. Et pour cause : tout l'équilibre institutionnel est perturbé. Sans gouvernement en bonne et due forme, le Parlement ne siège pas en séance, ce qui prive l'Assemblée nationale de sa capacité de renverser gouvernement. Pour le Secrétariat général du gouvernement, la nécessité de doter la France d'un budget pourrait néanmoins justifier qu'un gouvernement démissionnaire, si une équipe de plein exercice n'est pas nommée à temps, puisse prendre des "mesures financières urgentes", de type loi spéciale, afin de demander en urgence l'autorisation de percevoir les impôts.
Le SGG envisage également qu'un gouvernement démissionnaire puisse procéder par ordonnances, si un projet de loi de finances n'est pas adopté dans le délai de 70 jours prévu par la Constitution, afin que le pays dispose d'un budget pour l'année suivante. L'application d'un budget par ordonnances serait cependant un cas jamais vu qui divise les spécialistes et qui ne garantirait pas, selon certains, une pleine sécurité juridique.
Enfin, l'activité des ministres démissionnaires élus ou réélus à l'Assemblée nationale après la dissolution de juin 2024 avait fait débat. Alors que la Constitution exclut tout cumul de fonctions ministérielles et parlementaires, 17 "députés-ministres démissionnaires" avaient pris part à l'élection à présidence de l'Assemblée nationale dans la foulée des législatives anticipées et dans l'attente de la nomination d'un nouveau gouvernement. Plusieurs recours déposés par l'opposition avaient été rejetés par le Conseil constitutionnel.
Contrairement à la dissolution, qui interrompt totalement l'activité de l'Assemblée nationale, la chute du gouvernement ne met pas fin à la législature. Les commissions permanentes de l'Assemblée nationale peuvent donc poursuivre, au moins en partie, leurs travaux. Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, doit ainsi être auditionné mercredi par la commission des finances et celle des affaires culturelles au sujet du bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La commission d’enquête sur les dysfonctionnements concernant l'accès à la justice en Outre-mer a continué ses auditions lundi. Et la commission d'enquête sur les "liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations propageant l'idéologie islamiste", créée à l'initiative de Laurent Wauquiez (Droite républicaine) et visant La France insoumise, doit désigner son bureau ce mardi en début d'après-midi.
Dans un rapport parlementaire publié en décembre dernier, les députés Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social) et Stéphane Mazars (Ensemble pour la République) avaient d'ailleurs plaidé pour renforcer le contrôle parlementaire des gouvernement démissionnaires, en conférant davantage de pouvoirs aux commissions permanentes du Palais-Bourbon. Une proposition de loi reprenant une partie de leurs préconisations avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée en avril dernier, mais n'a pas encore été inscrite à l'ordre du jour au Sénat.