Zéro artificialisation nette des sols : l'Assemblée à la recherche du bon équilibre pour limiter la bétonisation

Actualité
Image
Christophe Béchu, le 22 juin 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
Christophe Béchu, le 22 juin 2023, à l'Assemblée nationale. LCP
par Maxence Kagni, le Jeudi 22 juin 2023 à 14:15, mis à jour le Vendredi 7 juillet 2023 à 16:21

Les députés examinent la proposition de loi "visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols". Lors des débats, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a appelé à trouver un "dispositif opérant" pour limiter "l'artificialisation des sols" tout en répondant aux inquiétudes des élus locaux. 

Concilier le respect des objectifs fixés en matière de climat et de biodiversité en adaptant les modalités fixées pour les atteindre aux enjeux d'aménagement du territoire et de développement économique, c'est le défi posé par la proposition de loi "visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols". En provenance du Sénat, l'examen de ce texte a commencé jeudi 22 juin dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Il prévoit une série de mesures d'adaptation dans le cadre du principe "zéro artificialisation nette des sols", fixé en 2021 par la loi Climat et résilience.

Cette loi prévoit de diviser par deux, d'ici à 2031, la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, en passant à un objectif moyen de 125.000 hectares par an. En 2050, la mise en œuvre du principe de "zéro artificialisation nette" (ZAN) interdira de bétonner des sols, à moins de "renaturer" des surfaces équivalentes. Seulement, la mise en œuvre de ces dispositions entraîne un certain nombre de "difficultés" au niveau local auxquelles les sénateurs ont voulu répondre en élaborant cette proposition de loi, puis en l'adoptant mi-mars. 

Conserver la trajectoire pour atteindre les objectifs

Jeudi, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a défendu le respect des objectifs la loi climat et résilience : "Lutter contre l'artificialisation des sols, c'est lutter contre l'érosion de la biodiversité (...) c'est lutter contre le dérèglement du cycle de l'eau", a déclaré le ministre. Évoquant sa volonté de "privilégier le dialogue et la concertation avec les élus locaux", Christophe Béchu a toutefois souligné la nécessité d'"éviter des dispositions que videraient de substance la trajectoire de sobriété foncière".

La France construit chaque année l'équivalent de 2 ou 3 fois la ville de Paris sur ses espaces naturels. Le rapporteur Bastien Marchive (app. Renaissance)

Le ministre de la Transition écologique s'est dit favorable à deux grands principes contenus dans la proposition de loi sénatoriale : celui de décompter à part les grands projets d'envergure nationale et celui qui vise à laisser aux petites communes rurales une marge de manœuvre pour se développer.

15.000 hectares pour les grands projets

"Certains grands projets de l'Etat, comme le canal Seine-Nord Europe, consomment beaucoup d'espaces à l'échelle d'une région", a ainsi expliqué Christophe Béchu. Les projets d'ampleur nationale ou européenne seront donc décomptés séparément : chaque année, 15.000 hectares leur seront dédiés. L'objectif de diviser par deux l'artificialisation des sols en 2031 demeure inchangé : les 15.000 hectares seront soustraits à l'enveloppe nationale de 125.000 hectares annuels. Les régions se répartiront chaque année les 110.000 hectares restants.

La liste des projets éligibles a été réduite par les députés en commission. Y figurent notamment :

  • les travaux de construction de lignes ferroviaires à grande vitesse,
  • les travaux déclarés d'utilité publique,
  • les opérations intéressant la défense nationale,
  • les "projets industriels d'intérêt national majeur" tels que définis par le projet de loi "Industrie verte".

Un amendement du communiste Sébastien Jumel, adopté en commission, a intégré à la liste les projets de construction de réacteurs nucléaires. Jeudi, à la tribune de l'Assemblée nationale, le député du groupe "Gauche démocrate et républicaine" a proposé d'y ajouter les parkings et les hébergements temporaires nécessaires à la construction de ces centrales.

Au cours des débats, Christophe Béchu s'est dit favorable à la mise en œuvre d'une "garantie rurale" afin que "les communes puissent bénéficier d'une sorte d'espérance ou de droit au projet". Les députés ont précisé ce dispositif en commission : les communes "peu denses ou très peu denses au sens de l’Insee" et qui seront dotées d'un document d'urbanisme avant le 22 août 2026, disposeront d'une "surface minimale" leur permettant de poursuivre leur développement. Ces hectares pourront être mutualisés avec d'autres communes. La France insoumise a proposé jeudi de moduler cette garantie sur "la base d'indicateurs tels que le taux de logements vacants, le respect de l'environnement ou les normes [relatives à la construction de logements sociaux]".

L'objectif ZAN, "ruralicide" ?

Prenant la parole à la tribune pour le groupe "Les Républicains", Marc Le Fur a prononcé un plaidoyer "contre le principe même du ZAN et contre l'idéologie sous-jacente qui le sous-tend", à savoir "la décroissance". Le député LR a mis en cause un système qui aura pour conséquence d'entraîner une "glaciation de notre territoire" en "interdisant tout développement" au "monde rural", entraînant de ce fait une "perte d'attractivité". 

Selon Marc Le Fur, la principe de "zéro artificialisation nette" est "ruralicide" : "Il ne faudrait pas pleurer demain sur la fermeture des écoles faute d'enfants parce qu'on aura interdit à leur parents de s'installer". L'élu des Côtes-d'Armor ajoutant que les communes rurales disposent d'"espaces" qui doivent permettre leur développement économique : "Nous avons l'une des densités les plus basses des grands pays européens." Autre problème pointé : certaines communes feront face à des "injonctions contradictoires", entre la nécessité de respecter les quotas de construction de logements sociaux et celle de ne pas artificialiser les sols.

Au nom d'un principe jacobin absurde, la même règle va s'appliquer à la Lozère et à l'Ile-de-France. Marc Le Fur (les Républicains)

Le groupe "Rassemblement national", par la voix de Christine Engrand, a cependant mis en cause la sincérité des députés LR, qui ont déposé de nombreux amendements sur le texte. "[En 2021], vous ne trouviez rien à redire, il faut dire que les élections sénatoriales avaient déjà eu lieu", a déclaré la députée RN, sous-entendant que les élections du 24 septembre prochain avaient un impact sur l'engagement des élus de droite. Christine Engrand a, par ailleurs, dénoncé la "frénésie normative" de la majorité, jugeant nécessaire de "recalibrer" le dispositif afin de "peser principalement" sur les territoires qui sont des "mauvais élèves". "Le logement individuel avec jardin, le rêve de nombreux Français, devient maintenant un vrai luxe", a commenté l'élue du groupe présidé par Marine Le Pen. 

"Usine à emmerdements"

D'autres députés ont jugé nécessaire de trouver le bon "équilibre" : "Le ZAN est apparu pour beaucoup comme une usine à emmerdements", a jugé Sébastien Jumel (GDR), tandis que Paul Molac (Liot) a estimé que le principe "ne doit pas se traduire par une application purement mathématique et rigide". L'élu du Morbihan craint, en outre, que la répartition entre régions du quota de 125.000 hectares annuels n'entraîne des tensions entre les territoires.

"Quand on aime son pays, on ne l'ensevelit pas sous le béton", a réagi la député du groupe "Ecologiste" Lisa Belluco, qui a mis en cause la définition des projets d'"ampleur", regrettant, au même titre que sa collègue du groupe "La France insoumise" Catherine Couturier, que des chantiers comme celui de la ligne Lyon-Turin puissent en faire partie. "S'il doit y avoir une artificialisation réduite dans les années à venir, elle doit être planifiée à l'échelle locale, pour bénéficier à des projets locaux", a jugé Lisa Belluco, citant par exemple la construction de pistes cyclables ou la réouverture de "lignes ferroviaires du quotidien".

Les débats se poursuivent ce jeudi et devrait continuer vendredi 23 juin. Christophe Béchu s'est fixé un objectif : "Ne pas quitter l'hémicycle sans accord", c'est-à-dire sans trouver de majorité sur le texte. Le ministre de la Transition écologique espère que le dispositif sera "opérant avant le milieu du mois de juillet avec une commission mixte paritaire [entre députés et sénateurs] conclusive", ce qui ouvrirait la voie à une adoption définitive rapide de la proposition de loi. 

forfait" réservé de 15.000 hectares par an car, sans cela, "c'est l'esprit même de la trajectoire de sobriété que nous finissons par menacer".