Usage des armes par la police : la mort de Nahel relance le débat sur la loi de 2017

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par Maxence Kagni, le Vendredi 30 juin 2023 à 14:57, mis à jour le Lundi 3 juillet 2023 à 11:02

La mort de Nahel, tué mardi à Nanterre par le tir d'un policier, a relancé le débat sur la loi du 28 février 2017 "relative à la sécurité publique", qui a modifié les règles d'usage de leur arme de service par les policiers. Les députés de La France insoumise veulent abroger cette loi qu'ils qualifient de "permis de tuer", ce que réfute l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve. 

Faut-il modifier les règles d'usage de leur arme de service par les policiers ? Le débat sur le sujet, qui n'est pas nouveau, a repris de la vigueur après la mort de Nahel, âgé de 17 ans, tué mardi 27 juin à Nanterre, par le tir d'un policier lors d'un contrôle routier. Ces derniers jours, plusieurs députés issus des rangs de la Nupes, en particulier de La France insoumise, ont demandé l'abrogation de l'article de la loi relative à la sécurité publique du 28 février 2017 qui a aligné les règles d'utilisation des armes par les policiers sur celles des gendarmes.

Même si le procureur de Nanterre a affirmé jeudi que "le parquet considère que les conditions légales d'usage de l'arme [par le policier] ne sont pas réunies", la présidente des députés de La France insoumise à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot, a annoncé sur Twitter la volonté de son groupe de changer la législation et le dépôt d'une proposition de loi en ce sens. "En 2022, 13 personnes ont été tuées pour refus d'obtempérer, contre 4 en 2021. (...) Les policiers ont tué quatre fois plus de personnes pour refus d'obtempérer en 5 ans que lors des 20 dernières années", peut-on lire dans l'exposé des motif du texte par lequel les députés LFI veulent "abroger l'article L.435-1 du Code de la sécurité publique" qu'ils qualifient "de permis de tuer".

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Une "réponse à la demande" des policiers

La loi du 28 février 2017, adoptée dans les derniers mois du quinquennat de François Hollande, avait pour but de "prévoir des dispositions permettant aux forces de l'ordre d'être juridiquement plus assurées lorsqu'elles ont à faire usage de leurs armes". Lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Bruno Le Roux, avait parlé d'une loi qui était "une réponse à la demande légitime de protection exprimée par les fonctionnaires de police".

Quelques mois plus tôt, des véhicules de police avaient été visés par des cocktails Molotov à Viry-Châtillon, blessant des policiers. A l'époque, la France avait également été la cible d'une vague d'attentats terroristes (Charlie Hebdo, Bataclan, Nice) et trois semaines avant la prise de parole de Bruno Le Roux dans l'hémicycle, des militaires de l'opération Sentinelle avaient été attaqués au Louvre par un homme armé d'une machette.

Lorsqu'ils ouvraient le feu, les policiers étaient auparavant simplement soumis aux règles inscrites dans le Code pénal. "Je conteste l'idée que le principe de légitime défense permet à lui seul de couvrir l'intégralité des situations dans lesquelles se trouvent les forces de l'ordre, c'est même tout le contraire", argumentait en 2017 le député socialiste Jean-Yves Le Bouillonnec.

La loi du 28 février 2017 a donc harmonisé les règles d'usage des armes des policiers avec celles des gendarmes. L'article L.435-1 du Code de la sécurité intérieure indique désormais que les agents de la police nationale peuvent tirer sur une voiture "en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée" si plusieurs conditions cumulatives sont remplies : 

  • les policiers ne peuvent immobiliser le véhicule "autrement que par l'usage des armes",
  • les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt,
  • "les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à la vie [des policiers] ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".

Plusieurs députés de gauche avaient alors critiqué la disposition, Cécile Duflot déplorant une "surenchère sécuritaire permanente". Son collègue Pouria Amirshahi avait mis en cause un texte qui "tente de répondre d’une mauvaise façon au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens".

Votre projet de loi, en renforçant les possibilités de tir à vue, risque par là même de causer des morts supplémentaires. Pouria Amirshahi (Socialiste), le 7 février 2017.

Un texte jugé "ambigu"

Selon le journal Le Monde, la promulgation de cette loi a eu pour conséquence directe de faire augmenter le nombre de tirs sur véhicules en mouvement, avec un pic en 2017. Par ailleurs, les chercheurs Sébastien Roché, Paul le Derff et Simon Varaine, qui ont travaillé sur le sujet, indiquent que les tirs mortels de policiers sur des véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq entre la période précédant le vote de la loi et la période lui succédant. "Il apparaît que la loi de 2017 a eu pour effet de plus fréquentes atteintes à la vie des citoyens par la police", estiment-ils, dans une étude publiée par la revue Esprit.

"Pour nous, il est urgent de revenir sur la loi du 28 février 2017", a plaidé l'élue écologiste Sabrina Sebaihi, lors de la séance des questions au gouvernement du mardi 27 février. La député des Hauts-de-Seine juge le texte trop "ambigu dans sa formulation" : "Il permet aux policiers une lecture très discutable quant à l'usage du feu." Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lui a répondu en soulignant que "dans de très nombreux cas, des policiers et des gendarmes sont morts de refus d'obtempérer". Le ministre affirmant, en outre, que "depuis la loi de 2017, il y a eu moins de tirs, il y a eu moins de cas mortels, qu'avant 2017". 

Mercredi, la députée écologiste Sophie Taillé-Polian a mis en avant sur Twitter une proposition de loi qu'elle a déposée en décembre 2022. Le texte proposait notamment de "favoriser les tirs au niveau des roues", mais aussi de permettre l'usage d'une arme à feu si les personnes en fuite ont déjà perpétré des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique des personnes. 

"Ce n'est pas la loi 'permis de tuer'", a réagi jeudi Bernard Cazeneuve auprès de l'AFP. L'ancien Premier ministre socialiste a porté le texte en tant que ministre de l'Intérieur puis lors de son court passage à Matignon. "C'est un texte qui dit : 'Vous ne pouvez tirer que lorsque vous êtes en situation de légitime défense'." Néanmoins, Bernard Cazeneuve ne se dit pas opposé à une évaluation de la loi : "Regardons ce qui dans ce texte peut éventuellement poser problème", a-t-il indiqué, assurant n'être "jamais défavorable à ce qu'on révise un texte de loi, si c'est nécessaire".

Si on trouve un alinéa qui permet de légitimer ce qui a pu se passer à Nanterre, vous me dites quel alinéa. Bernard Cazeneuve, à l'AFP.

Une position qui semble rejoindre celle de Yaël Braun-Pivet. Invitée mercredi soir de Ça vous regarde, la présidente de l'Assemblée nationale a elle aussi évoqué l'hypothèse d'une évaluation de la loi et de ses conséquences réelles ou supposées  : "Je pense que c'est utile, moi je crois beaucoup en l'évaluation de la loi d'une façon générale", a déclaré Yaël Braun-Pivet, tout en appelant à "ne pas jeter l'opprobre" sur l'ensemble des forces de l'ordre.

projet de loi à partir du mardi 4 juillet à 21h30. Le texte sera ensuite débattu dans l'hémicycle à partir du mercredi 12 juillet.