Uber Files : Mark MacGann plaide pour un "vrai cadre réglementaire" face au lobbying

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par Maxence Kagni, le Jeudi 23 mars 2023 à 13:55, mis à jour le Lundi 10 juillet 2023 à 12:03

Le lanceur d'alerte irlandais a dénoncé, jeudi 23 mars, devant la commission parlementaire relative aux révélations des Uber Files, la liberté d'action des lobbyistes, qui ont un "accès incroyablement facile à des dirigeants politiques". Lui-même ancien lobbyiste d'Uber, il est notamment revenu sur la période au cours de laquelle Emmanuel Macron était ministre de l'Economie.

La commission d'enquête relative aux révélations des Uber Files a auditionné ce jeudi le lanceur d'alerte Mark MacGann. Cet ancien lobbyiste de l'entreprise américaine est à l'origine des révélations du collectif international des journalistes d’investigation (ICIJ) : c'est lui qui a transmis au journal britannique The Guardian les quelque 124.000 documents qui forment les "Uber files".

Dans un français fluide, l'ancien responsable d'Uber pour l'Europe de l'Ouest, l'Afrique et le Moyen-Orient a expliqué comment il a tenté, de 2014 à 2016, de "convaincre les pouvoirs publics de changer les lois" afin de favoriser "l'expansion aggresive d'Uber à travers le monde". Selon lui, une "pression a été exercée sur plus de 1850 élus et fonctionnaires à travers 29 pays". 

"Ce n'était pas illégal, mais cétait peut-être déloyal"

Devant les députés, Mark MacGann a dénoncé une "défaillance systémique" concernant le lobbying en France, comme dans d'autres pays, ce qui permet selon lui un "accès incroyablement facile à des dirigeants politiques de premier plan et une influence disproportionnée sur des gouvernements".

Le lanceur d'alerte a prôné la mise en oeuvre d'un "vrai cadre réglementaire" face à une entreprise comme Uber, qui "faisait sciemment un bras d'honneur aux lois de la République". Revenant sur l'installation de la firme américaine en France, au début des années 2010, le lanceur d'alerte irlandais a affirmé qu'"ici et dans d'autres pays, l'Etat avait tendance à abdiquer son devoir face à la pression d'Uber et de ses amis influents". 

"On a pu avoir, par le biais de Google, de l'Enarchie, des potes, un accès direct à l'hôtel des ministres à Bercy et maintenir cet accès malgré le fait que nous étions, sans le moindre doute, dans l'illégalité totale et permanente en France", a souligné Mark MacGann. "Ce n'était pas illégal, mais cétait peut-être déloyal parce que d'autres start-ups comme Heetch ou Blablacar n'avaient pas le même réseau d'influence."

Emmanuel Macron le "modernisateur"

Mark MacGann a évoqué à plusieurs reprises les relations entre Uber et Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'Economie d'août 2014 à août 2016. Selon un article publié dans Le Monde en juillet 2022, Emmanuel Macron aurait à l'époque conclu un "deal" avec la firme américaine : en contrepartie de l'arrêt d'UberPop, un service de mise en relation entre particuliers plusieurs fois jugé "illégal", le ministre de l'Economie aurait fait "miroiter [à Uber] une simplification drastique des conditions nécessaires pour obtenir une licence de VTC".

Le lanceur d'alerte a commenté cet épisode : "Le ministre de l'Economie m'a fait comprendre que si on arrêtait ce service illégal, il allait obtenir pour nous le type de formation minimale, que nous demandions, dans ses discussions interministérielles."

Lors d'une précédente audition, le journaliste du Monde Adrien Sénécat, avait évoqué "17 échanges significatifs" entre "[Emmanuel Macron] ou des membres de son cabinet et Uber". Or "une seule rencontre [avait] été publiquement relatée dans la presse", avait encore expliqué le journaliste. Jeudi matin, Mark MacGann est revenu sur ces révélations : "En quoi cela sert la démocratie de cacher des rencontres avec des dirigeants d'entreprise ?"

Toutefois, Mark MacGann a semblé prendre la défense d'Emmanuel Macron, qui était selon lui "dans son rôle". Le lanceur d'alerte a même qualifié l'actuel président de la République de "modernisateur" qui évoluait dans un "gouvernement qui était parfois tout le contraire". Refusant le mot "deal" utilisé par Le Monde, l'ancien lobbyiste d'Uber a affirmé qu'"à sa connaissance", "il n'y a pas eu de corruption, rien de néfaste, rien de sournois". "En revanche, il n'y avait pas non plus de transparence", a-t-il précisé.

Relancé à plusieurs reprises sur ce sujet par le président de la commission d'enquête Benjamin Haddad (Renaissance), Mark MacGann a affirmé que les lois Thévenoud (2014), Macron (2015) et Grandguillaume (2016) avaient d'ailleurs été vues comme des reculs par Uber. Finalement, selon le lanceur d'alerte, il y a eu "beaucoup d'argent dépensé pour peu de résultats concrets en matière de textes législatifs, de réglementation".

Directive européenne

Mark MacGann a également expliqué qu'Uber "a piétiné le droit des travailleurs français et européens et continue de le faire aujourd'hui". L'ancien lobbyiste est catégorique : "Ce ne sont pas des emplois, ce ne sont pas des emplois ! Il s'agit de la création de précarité à l'échelle industrielle."

Des millions de chauffeurs et de livreurs de plateformes sont aujourd'hui les dindons de cette farce. Mark MacGann

Le lanceur d'alerte a demandé au gouvernement français de soutenir la directive européenne sur les travailleurs de plateforme, adoptée par le Parlement européen et qui prévoit une "présomption de salariat". Mark MacGann a accusé la France d'être le "fer de lance de ceux qui cherchent à vider de son sens la directive.

"Je suis consterné que ce soit le gouvernement français qui soutienne cette dilution de la présomption de salariat, et qui pilote les autres Etats membres (...). C'était le cas du groupe Renew (le groupe au sein duquel siègent notamment les députés européens du parti d'Emmanuel Macron, ndlr) au Parlement européen", a affirmé l'ancien lobbyiste. Une affirmation aussitôt contestée par Benjamin Haddad, selon lequel "les parlementaires Renew ont soutenu la directive".