Principes de la République : les députés votent l'encadrement de l'instruction en famille

Actualité
Image
Jean-Michel Blanquer répond aux députés - AFP
par Maxence KagniJason Wiels, Raphaël Marchal, le Jeudi 11 février 2021 à 10:07, mis à jour le Vendredi 12 février 2021 à 10:32

Les députés ont adopté l'article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République. Celui-ci prévoit que l'instruction à domicile sera désormais soumise à un système d'autorisation préalable, contre une simple déclaration jusque-là.

L'Assemblée nationale met en oeuvre l'une des dispositions phares du discours des Mureaux d'Emmanuel Macron. Les députés ont adopté vendredi l'article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui encadre l'instruction en famille (78 voix pour, 25 contre.)

Ce phénomène, "en forte augmentation" selon la majorité, concerne aujourd'hui près de 62.000 enfants. Une fois le texte définitivement adopté, les familles ne pourront plus, comme c'était le cas jusqu'ici, recourir à l'instruction à domicile par une simple déclaration : elles devront en demander l'autorisation, renouvelable chaque année.

Le dispositif, qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2022, a pour objectif de favoriser le retour d'un maximum d'élèves à l'école : "Pour la société toute entière, il est souhaitable que les enfants aillent à l'école, c'est notre conviction profonde", a expliqué jeudi Anne-Christine Lang (La République en marche).

Des motifs de dérogation

L'article 21 du projet de loi fixe donc un principe : "L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés." Les familles pourront y déroger, et donc recourir à l'instruction à domicile, seulement dans "l'intérêt supérieur de l'enfant" et pour des motifs strictement définis. 

Lors de son discours des Mureaux, qui a inspiré la rédaction de l'article 21, Emmanuel Macron avait déclaré vouloir "strictement limiter" l'instruction à domicile aux "impératifs de santé".

Finalement, quatre motifs seront admis :

  • l'état de santé de l'enfant ou son handicap,
  • la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives,
  • l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public,
  • l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

Une cinquième possibilité a été ajoutée par les députés. Un enfant faisant l'objet d'un "retrait soudain et nécessaire" de son école, pour cause de harcèlement ou de phobie scolaire par exemple, pourra être temporairement instruit en famille, sans attendre la réponse à sa demande d'autorisation.

Par ailleurs, toute demande sera considérée comme acceptée si l'administration n'a pas donné de réponse deux mois après celle-ci. En cas de refus, les familles pourront contester la décision devant une "cellule rectorale de recours administratif". Afin de limiter les risques de dérives, la loi crée également dans chaque département des "cellules de prévention de l’évitement scolaire" et chaque enfant soumis à l'instruction en famille se verra attribuer un identifiant national.

Application différenciée pour certaines familles

Anticipant la fronde des députés d'opposition, Jean-Michel Blanquer a nié jeudi vouloir limiter la liberté d'instruction. Au contraire : "C'est quand les libertés ne sont pas précisées qu'elles sont peu garanties", a argué le ministre de l'Éducation nationale.

Les députés ont adopté un amendement du gouvernement qui donne aux familles qui pratiquent déjà l'instruction en famille une autorisation de "plein droit" jusqu'en 2024. Ces dernières n'auront donc pas à renouveler chaque année leur demande d'autorisation, à condition de satisfaire à un contrôle sur l'année scolaire 2021-2022 qui démontre la validité de leur projet. Ce régime dérogatoire prendra fin lors de la rentrée de l'année scolaire 2024-2025.

Tweet URL

Cette proposition gouvernementale a provoqué l'incompréhension des députés du groupe Les Républicains, qui y ont vu un paradoxe avec l'urgence affichée par l'exécutif en la matière. "Soit les familles concernées sont très dangereuses pour la République et radicalisées (...), soit on peut prendre le temps de les contrôler et supprimer l'article 21", a notamment pointé Anne-Laure Blin.

L'Assemblée nationale a également adopté un amendement de la députée LR Annie Genevard (sous-amendé par le gouvernement), qui contraint les personnes effectuant l'instruction en famille à assurer celle-ci "majoritairement en langue française".

Une instruction dévoyée à des fins religieuses ?

Les débats ont aussi été l'occasion d'interroger l'ampleur de ces dérives, combattues par le projet de loi. "Le sujet, c'est les petites filles qu'on envoie dans les hangars pour être endoctrinées dès l'âge de trois ans", a expliqué Jean-Michel Blanquer.

Le ministre de l'Education nationale a notamment mentionné l'existence de "deux écoles coraniques clandestines" démantelées en Seine-Saint-Denis, où "la moitié des enfants sont officiellement scolarisés selon l'instruction en famille", sans préciser le nombre exact d'élèves concernés. "En vérité, vous ne savez pas combien d'élèves sont concernés", l'a tancé Charles de Courson (Libertés et Territoires), l'accusant de mettre en avant toujours les mêmes exemples. 

"Loin des caricatures"

Comme lui, une cinquantaine de députés, de droite comme de gauche, ont déposé un amendement de suppression de l'article 21. "Dans l'ensemble, l'instruction en famille est une pratique positive, plus de 90% des inspections dans les familles donnent lieu à des avis favorables", a noté Benoit Potterie (Agir ensemble). L'élu UDI et indépendants Grégory Labille a défendu les enfants instruits à domicile, "souvent pleins de vie, très loin des caricatures d'êtres asociaux qu'on peut dresser d'eux".

Tweet URL

"Ces familles ne sont pas des familles de personnes radicalisées", a ajouté Philippe Meyer (Les Républicains), tandis que sa collègue Anne-Laure Blin a estimé que "l'Etat n'a pas à remplacer nos familles pour les modalités d'instruction, c'est un principe constitutionnel fondamental".

Pour Jean-Louis Bricout (PS), l'article 21 crée même un "amalgame entre l'instruction à domicile et le séparatisme". Selon lui, le dispositif revient à utiliser "un marteau pour écraser une mouche" puisque "moins de 5.000 enfants sont scolarisés à domicile pour des motifs religieux, soit moins de 10% des élèves concernés par l'instruction en famille".

La question des critères retenus pour délivrer la future autorisation a aussi inquiété les opposants au nouveau dispositif, Jean-Christophe Lagarde (UDI et Indépendants) dénonçant de futures "discriminations a priori".

"Attaché à l'école publique"

Enfin les débats ont mis en lumière les carences de l'école publique. "C'est bien de vouloir restreindre l'instruction en famille, ce serait beaucoup mieux de le faire en donnant les moyens de rendre l'école publique désirable", a jugé Sabine Rubin (La France insoumise).

Dans une longue intervention, lors de laquelle il a convoqué ses souvenirs d'enfance, André Chassaigne (PCF) a lui aussi évoqué "les insuffisances de l'école républicaine". Malgré son attachement "viscéral" à l'école publique, le président des députés communistes a jugé que l'article 21 constituait "une erreur""On se crée des douleurs, des clivages, des polémiques qui ne sont pas nécessaires aujourd'hui." "Si l'école doit être obligatoire, alors elle doit être parfaite, or vous savez qu'elle ne l'est pas", a commenté Agnès Thill (UDI et indépendants).

Tweet URL

Olivier Faure (Socialistes) a lui aussi jugé l'école républicaine "imparfaite" : "C'est aussi l'endroit de la violence, du harcèlement", a déclaré le premier secrétaire du PS, évoquant aussi les élèves qui "ne sont pas adaptés au rythme de l'école". "Le vrai sujet est celui du contrôle a posteriori de l'instruction à domicile, que vous n'assurez pas aujourd'hui", a ajouté Olivier Faure. 

"Le vrai problème, c'est le fait que le contrôle de l'instruction en famille est insuffisant, on parle d'un taux de 70%", a lui aussi affirmé Charles de Courson, avant de demander un "renforcement des moyens". "Nous allons étoffer les équipes qui s'occupent du contrôle de l'instruction en famille", a promis Jean-Michel Blanquer, qui n'a toutefois pas jugé opportun d'"imposer des contrôles identiques sur l'ensemble du territoire nationale", comme le demandaient les députés LR.