Paroles de députés confinés : Jacques Maire

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Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Jacques Maire, député La République en Marche des Hauts-de-Seine.
par LCP.fr, le Mercredi 22 avril 2020 à 10:22, mis à jour le Vendredi 29 mai 2020 à 15:42

Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Jacques Maire, député La République en Marche des Hauts-de-Seine. 

Jacques Maire, comment allez-vous ?

Je vais bien. J’ai la chance d’être à Meudon dans une banlieue verte. Je suis confinée chez moi au milieu de la verdure.

Comment exercez-vous votre rôle de député alors que vous êtes confiné ?

Il est important de ne pas oublier les différents éléments du métier de député : la circonscription, le contrôle et l’aspect international dans lequel je suis très impliqué car je suis membre de la commission des affaires étrangères. Concernant la circonscription il y a le sanitaire et l’économique. Si les choses sont peu visibles, je sens monter la vague de difficultés dans les Ehpad et les établissements pour handicapés, car j’en ai beaucoup sur mon territoire. Je fais un point hebdomadaire avec les responsables de ces structures que je fais remonter au préfet, à l’Agence régionale de santé ou aux cabinets ministériels. Par exemple, ils manquaient de masques, mais un collègue député m’a approvisionné et je vais aller leur en distribuer cette semaine. Dans le domaine des services publics j’organise un rendez-vous régulier avec les municipalités pour voir la mobilisation citoyenne. Et j’ai été en contact vendredi dernier avec les associations. L’une d’elles s’est proposée pour accompagner psychologiquement les soignants en cas de burn-out. Je suis aussi en contact avec les commissariats pour savoir si les dispositifs sont adaptés et suffisants.

Et concernant l’activité législative et internationale ?

On délègue nos pouvoirs au président de groupe, mais j’ai fait le forcing pour pousser, la semaine dernière, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, un amendement visant à ce qu’on puisse avoir une vision du remboursement des sinistres par les assurances pendant le confinement. J’ai fait passer cet amendement pour connaître les effets d’aubaine chez les assureurs. Et s’il devait y avoir un surcroît, les PME doivent pouvoir en bénéficier. Sur l’aspect contrôle par les députés de l’action du gouvernement, il n’est pas évident. J’ai les ministres, les secrétaires d’Etat, les membres de la commission des affaires étrangères plutôt en visioconférence. On est davantage dans l’explication que dans le contrôle. Ce n’est pas extrêmement satisfaisant, mais on a pu se pencher sur la question des rapatriés de l’étranger et sur celle des masques. Sur le champ international, il y une assemblée parlementaire du conseil de l’Europe qui a pour mission de vérifier que les conventions européennes des droits de l’Homme soient respectées. En tant que président du groupe ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), je suis dans le comité présidentiel de cette assemblée, qui se réunit toutes les semaines pour faire un suivi du comportement des Etats, pour voir les pays qui profitent du confinement pour faire passer des lois scélérates qui contreviennent aux libertés publiques. A l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe, nous lançons des commissions avec des votes très importants car certaines assemblées en Europe sont totalement suspendues. Il faut faire ce travail de vigilance face au risque de voir apparaître des législations qui seraient irréversibles dans l’atteinte au droit.

Sur quoi portent les interrogations dans votre circonscription ?

La première interrogation concerne les conditions de sortie du déconfinement. Il y a un sujet sur lequel j’ai des difficultés c’est la façon dont on va gérer le déconfinement à l’école. La reprise pose des difficultés même s’il n’y a qu’une minorité de professeurs à l’aise avec l’enseignement en ligne car ils n’ont pas été préparés. A la différence du télétravail vous engagez tous les élèves des classes. Certains élèves n’ont pas d’interactions avec leurs professeurs ce qui montre qu’il faut tirer assez vite la leçon des quinze jours passés avant les vacances. Il faut que les chefs d’établissements et les professeurs motivent les enfants pour ne pas qu’ils soient livrés à eux-mêmes. Les enfants qui décrochent sont les mêmes que ceux qui décrochaient avant le confinement. Si nous n’avançons pas assez vite, je crains une sorte d’année blanche pour un nombre considérable d’élèves. L’autre question qui revient est celle de la généralisation des masques. Les maires sont attentifs à toutes ces questions. Je les interroge et je relaie les informations.

Y a-t-il des réticences à retourner travailler à partir du 11 mai?

J’ai beaucoup d’activités commerçantes ou tertiaires dans ma circonscription et il y a un appétit très fort à repartir avec un certain désarroi sur la façon dont cela va se passer. C’est aussi vrai dans le BTP et l’industrie. On a un cahier de bonnes pratiques. Il y a aussi une vraie frustration à ce que les marchés ne soient pas ouverts, cela crée des tensions dans les grandes surfaces car les règles de distanciation sociale y sont en fait moins respectées que sur les marchés. Il y a des demandes collectives des maires pour rouvrir les marchés à partir du 11 mai. A propos du soutien économique, il y a le sujet très spécifique des entreprises qui ne rentrent pas dans les cases. Il y a des entreprises qui vont assez bien, qui ont des perspectives d’activité, mais qui n’arrivent pas à émarger aux prêts garantis de l’Etat. Il faut leur donner des petits coups de pouce. Le député est un accélérateur de réexamen du dossier et c’est assez bien perçu par tous. Ensuite les entrepreneurs n’ont pas de masques, de gants et de matériel, alors comment planifier une réouverture et arrêter le chômage partiel quand les conditions ne sont pas remplies ? Les gens ont envie de reprendre, mais ils ne sont pas à l’aise. ll y a une vraie difficulté pour les coiffeurs et les dentistes qui vont avoir un rythme réduit, car ils devront se désinfecter et s’équiper à chaque client ou patient. Leur productivité va baisser. Certains pensent que leur chiffre d’affaires sera divisé par deux et s’interrogent sur leur modèle économique. Il faut trouver un dispositif de soutien durable. On a traité les sujets d’interruption d’activité, mais pas les sujets de reprise partielle en mode dégradé. Dans ma circonscription j’ai le champion du bridge en ligne qui emploie entre 100 et 200 personnes. Son chiffre d’affaires a augmenté de 150%, mais sa difficulté est la disparition de son écosystème. La fédération de bridge est en train de tomber en faillite et le secteur s’effondre, alors il utilise son chiffre d’affaires supplémentaire à soutenir la filière.

Le patron du Medef a demandé un effort supplémentaire aux salariés avant de se rétracter. Qu’en pensez-vous ?

Sur le plan théorique, cette proposition ne peut être que provocatrice. Je suis persuadé que les gens verront que leur entreprise est abimée et qu’il y aura un bon dialogue social, pour se dire comment on s’en sort, pour avoir plus de flexibilité sur les horaires, ou continuer le chômage partiel. Il faut que ce dialogue soit franc, social, décentralisé, pour que chacun se retrouve autour de la table, dans l’entreprise pour continuer. Si les chefs d’entreprises sont face à un grand front social ils pourraient abandonner. J’ai peur d’un désengagement des patrons comme des salariés, qu’une forme de retrait s’opère pour les gens au chômage partiel. Le dialogue social sera véritablement une des conditions de la reprise.

Etes-vous favorable au tracking ?

Je n’ai pas d’opinion tranchée. Si ça peut marcher il faut l’utiliser, temporairement. Si les collègues trouvent un équilibre je suivrai. Par principe, je suis partisan que l’on vote des résolutions et je suis favorable à ce que l’on puisse en voter en commission. Cela donne du poids et, si l’Assemblée adopte une résolution, cela change la tenue du débat et cela joue sur les décisions qui sont prises par l’exécutif, même si c’est non contraignant.

Comment envisagez-vous le monde d’après ?

Je structure une réflexion. On s’est réparti le travail au sein des commissions et du groupe parlementaire. Je pilote les réflexions internationales sur l’avenir du politique dans le monde d’après. Est-ce que, oui ou non, la crise va favoriser le durcissement des Etats, comme en Pologne, en Hongrie ou en Turquie ? Est-ce un mouvement général ou pas ? Autre réflexion, à propos de l’impact du coronavirus sur les crises internationales. On remarque que c’est un sujet de détente au Yémen ou en Ukraine, mais du tout au Sahel. Enfin quelles conséquences sur les organisations internationales ? L’Organisation mondiale de la santé apparait fragilisée, mais pas le G20. Je mène ces travaux avec les collègues intéressés du groupe LaREM et de la commission des affaires étrangères. Nous remettrons une contribution d’ici une quinzaine de jours. Pour le reste, le calendrier législatif a volé en éclat. Il faudra des dépenses supplémentaires pour les services publics mis sous tension et pour les entreprises globalement en difficulté, alors que les ressources seront moindres sur le plan fiscal. Il y aura un appétit à retrouver, un peu de sérénité aussi, mais avec des tensions exacerbées. Plus de tensions, moins d’argent et plus de besoin, cela redéfinit tout l’agenda. Je ne vois pas comment on pourrait dire on continue comme d’habitude, sauf s’il y a une très forte résilience. Tous les sujets qui ne sont pas immédiatement obligatoires seront à regarder à deux fois, comme la réforme des retraites. En tant que rapporteur je suis très attaché à cette réforme, mais je ne vois pas l’atterrissage qui nous permettrait de continuer. Je ne pense pas qu’on puisse, un an avant l’élection présidentielle, se lancer dans une deuxième lecture de cette réforme. Les fins de mandat sont difficiles, j’en ai fait l’expérience quand je travaillais au cabinet de Pierre Bérégovoy.

Propos recueillis par Brigitte Boucher