Orpea : "Une machine à broyer les salariés", témoigne un ancien cadre infirmier

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Assemblée nationale, 22/02/2022
par Maxence Kagni, le Mardi 22 février 2022 à 17:51, mis à jour le Mercredi 23 février 2022 à 09:47

Les députés de la commission des affaires sociales continuent leurs auditions, après les révélations du livre Les Fossoyeurs, qui met en cause les Ehpad Orpea. Un ancien cadre infirmier et un ancien directeur d'établissement du groupe ont témoigné de leur impuissance face aux méthodes du groupe.

Ce sont deux anciens salariés profondément marqués par une "machine à broyer". Mardi 22 février, les députés de la commission des affaires sociales ont auditionné l'ancien directeur d'Ehpad Camille Colnat et le cadre infirmier Laurent Garcia. Ils sont venus témoigner de leur expérience au sein des établissements Orpea pour lesquels ils ont travaillé, et dont les pratiques ont récemment été dénoncées par le livre "Les Fossoyeurs" du journaliste Victor Castanet.

Les deux hommes ont voulu raconter la difficulté et la violence de leurs conditions de travail. "J'ai tenu huit mois, j'ai perdu huit kilos", a déclaré devant les députés Laurent Garcia, plusieurs fois au bord des larmes lors de son récit. Ce cadre infirmier, qui a travaillé dans l'Ehpad Orpea "Les Bords de Seine" à Neuilly, a été l'une des sources principales du journaliste Victor Castanet. "C'est une machine à broyer les salariés, je vous jure", a-t-il notamment expliqué, ajoutant avoir décidé, à l'issue de cette expérience, d'"arrêter de bosser pendant quelques temps parce que je pensais que j'étais nul".

"Le matin, au 1er étage il y avait 33 résidents, dont quelques résidents VIP, et j'avais une soignante de 7h à 9h30 du matin pour les aider à se lever, à prendre leur petit-déjeuner", a-t-il indiqué devant la commission, si bien que "la plupart" des résidents "ne déjeunaient pas". "J'ai retrouvé un jour une résidente nue sous la douche, la soignante avait tellement de travail qu'elle l'avait oubliée", a expliqué Laurent Garcia. Le cadre infirmier évoque également l'absence de "visites de préadmission" au sein de l'Ehpad Bords de Seine : selon lui, les médecins coordonateurs n'y ont "aucun rôle" et "ne peuvent pas dire 'non' à une entrée" au sein de l'établissement.

Le "cauchemar" du taux d'occupation

L'ancien directeur de la résidence Orpea Sainte-Anne d'Heimsbrunn, Camille Colnat, a de son côté dénoncé un "système" qui a pour but de "rendre les directeurs incapables de réfléchir par eux-mêmes, pour qu'ils deviennent les exécutants d'une politique". Il affirme avoir pris la décision de démissionner "avant d'être abîmé par un conflit permanent et insoluble entre mes valeurs, les objectifs et les méthodes imposés, [avec] une obligation contractuelle de performance et d'excellence, mais dénuée des moyens requis".

"Le directeur doit augmenter chaque année le bénéfice net d'exploitation de la résidence de 4 à 9% en seuil plateau", a décrit Camille Colnat. Ainsi, en cas d'absence de soignants, "il est demandé de réduire le temps de présence des remplaçants" : "Cela permet de substantielles économies." L'ancien directeur a révélé l'existence d'un "flop 10 mensuel" national pour les établissements ne maîtrisant pas suffisamment leurs coûts. Lorsqu'il est arrivé dans son Ehpad en 2019, Camille Colnat a constaté que certains ascenseurs étaient vieux "de plus de 35 ans", que les "lits médicaux" n'étaient "pas aux normes" ou encore qu'il y avait des "ruptures régulières du réseau d'eau chaude". Pendant la crise du Covid, "Orpea avait investi dans des machines pour désinfecter les chambres". Seulement, "ce que les familles ignoraient, c'est que c'était une machine pour trois établissements, à se partager entre Nancy, Heimsbrunn et Schiltigheim", a encore expliqué Camille Colnat.

Le directeur d'Ehpad a également évoqué le "cauchemar" du taux d'occupation (T.O.), qui doit être renseigné "chaque matin avant 10 heures" : il faut "prévoir pour la quinzaine de jours à venir le nombre de résidents susceptibles de mourir et, à l'issue, il faut justifier des éventuels écarts de prévision". Une pratique dénoncée aussi par Laurent Garcia, qui affirme qu'elle a également court chez Korian, mais de manière hebdomadaire. 

Le cadre infirmier évoque aussi les rares contrôles des agences régionales de santé (ARS) : "Ca fait quinze ans que je fais ce métier, je n'en ai eu qu'un seul", a-t-il expliqué. Camille Colnat a quant à lui demandé davantage de contrôles inopinés, regrettant qu'actuellement ceux-ci soient "prévisibles".

"Une petite somme repartait pour Orpea"

"Pendant ma période d'essai, on m'avait bien expliqué que la CGT n'était pas la bienvenue au sein de ce groupe", a aussi affirmé Camille Colnat. L'ancien directeur de l'Ehpad Sainte-Anne a également accusé Orpea de pratiquer les "marges arrières" sur plusieurs dépenses, comme la gestion du linge ou l'achat de protections. Il a même donné un exemple : alors qu'il souhaitait installer une machine à café dans son établissement, le directeur a expliqué que le prestataire qui lui était imposé avait demandé d'enlever "toutes les [autres] machines, même celles des équipes pour que les équipes puissent payer [elles aussi leurs] cafés". Tout en lui précisant également que sur "les cafés payés, (...) il y avait une petite somme qui repartait pour Orpea".

Camille Colnat est revenu sur les différentes auditions qui ont eu lieu devant la commission des affaires sociales : les députés ont récemment entendu les dirigeants d'Orpea, qui ont qualifié d'"allégations" les révélations de Victor Castanet, et ceux de Korian, qui ont tenu à dissocier leur entreprise des pratiques évoquées dans Les Fossoyeurs. Selon lui, "ce qu'on entend [lors de ces auditions] est révoltant, ce qu'ont pu dire ces personnes est l'inverse de ce qu'elles mettent en œuvre".