"On ne sait pas assez qui détient la dette française"

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Laurent Saint-Martin, rapporteur général du budget, le 19 mars à l'Assemblée nationale (Ludovic MARIN/AFP)
par Jason Wiels, le Lundi 22 juin 2020 à 14:14, mis à jour le Jeudi 8 octobre 2020 à 16:17

Le rapporteur général du Budget Laurent Saint-Martin doit dévoiler début juillet les conclusions d'une mission sur la dette française. Alors que le gouvernement a prévu d'emprunter massivement pour contrer les effets de la crise épidémique, le député LaREM souhaite que le Parlement débatte en toute transparence de ce sujet. Entretien.

Planche de salut ou cadeau empoisonné ? Le recours massif à l'emprunt bon marché par le gouvernement pour juguler les effets du Covid-19 et du confinement sur l'économie va porter l'endettement français à un niveau record. Selon le troisième projet de loi de finances rectificative, la dette publique atteindrait 120,9% de PIB en 2020. C'est 21 points de plus que les projections établies fin 2019, autant dire un gouffre.

"Il ne faut ni s'inquiéter, ni mettre sous le tapis" cette question, plaide Laurent Saint-Martin (LaREM). Le rapporteur général du budget mène actuellement une mission flash sur la dette, au moment où les idées pour gérer ce lourd passif (emprunt de très long terme, dette perpétuelle...) fleurissent dans le débat public. Il nous dévoile ses premières pistes de réflexion avant la publication de son rapport début juillet.

LCP.fr : Le besoin de financement de la France devrait dépasser les 360 milliards d'euros cette année. S'endetter pour surmonter la crise, c'était la seule solution ?

Laurent Saint-Martin : "C'était la meilleure solution ! Augmenter les impôts massivement n'était évidemment pas envisageable pour faire face à une crise d'une gravité exceptionnelle. Cela a demandé d'engager des montants très importants. La France a la chance d'emprunter à de bonnes conditions. Je dis 'chance' mais c'est en fait la bonne gestion du pays qui permet d'aller chercher de l'argent auprès de ceux qui nous prêtent.

On s'est rendu compte, à travers cette crise, que même en augmentant de 20 points de PIB notre endettement, la qualité de la signature française, c'est-à-dire le regard des investisseurs sur notre dette, est restée très bonne. Il y avait même sur certaines émissions de titres bien plus de demande que d'offre. Le rendez-vous avec nos créanciers a donc été fructueux pendant cette crise.

Une dette publique qui pèse 120% du PIB, c'est un chiffre jamais vu en France, très rarement en Europe. Est-ce qu'il faut s'en inquiéter ?

Il ne faut ni s'en inquiéter, ni le mettre sous le tapis. Le taux d'endettement de la France, aujourd'hui, est élevé. Comme nous pouvons nous refinancer à faibles coûts, nous aurions tort de ne pas le faire pour sauver notre économies et nos emplois, aider les publics les plus fragiles et les collectivités territoriales.

Cependant, ce n'est pas un non-sujet. Je ne pars jamais du principe qu'une dette ne se rembourse pas. Or, ce qui compte dans le Budget de l'État, ce sont les taux d'intérêts. Ou, pour le dire autrement, le coût annuel du poids de la dette par rapport aux politiques publiques.

On ne repassera pas notre taux d'endettement à 100% du PIB dans deux ans.

Aujourd'hui, la situation macro-économique nous permet d'avoir des taux d'intérêts faibles. L'action de la Banque centrale européenne est ici majeure, car elle permet comme on dit vulgairement de 'monétiser' l'endettement des pays de la zone euro, dont la France. Par la suite, pour que l'on puisse continuer à avoir des taux intéressants, il faudra démontrer lors de la sortie de crise qu'on sait stabiliser notre endettement et même commencer à le réduire, petit à petit.

On ne repassera pas notre taux d'endettement à 100% du PIB dans deux ans, ça n'arrivera pas. Cela ne doit même pas arriver, car cela voudrait dire qu'on aurait besoin de faire une politique massive d'austérité. Couper les services publics et abandonner les plus fragiles, ce n'est pas la voie à suivre pour notre pays.

En 2019, la charge de la dette a frôlé les 50 milliards d'euros. Faut-il s'attendre à un dérapage dans les prochaines années ?

Depuis trois ans jusqu'à aujourd'hui, le rapport entre le niveau d'endettement et le coût de la dette est très intéressant. La charge décroît même chaque année et cette tendance devrait encore se poursuivre pendant plusieurs années. Maintenant, est-ce qu'il y a un risque un jour de voir les taux remonter ? Oui. Quand ? Nul ne peut vous le dire.

C'est pour cela qu'il faut verrouiller un financement bas pour les emprunts de long terme. Il y a un débat intéressant sur la nature de la dette Covid, afin de savoir si elle doit être de très long terme pour aller chercher les taux d'intérêts actuels sur des durées de 50 ou 60 ans. Est-ce qu'on a des investisseurs en face pour acheter à ce niveau de maturité ? Je n'en suis pas sûr. C'est plutôt une réflexion à pousser au niveau du projet de dette européenne de 750 milliards d'euros, s'il va au bout, ce que j'espère.

Est-ce qu'on sait précisément qui détient la dette française ?

Cela fait partie de mes préconisations, car justement, on ne le sait pas assez. Quand on est un pays souverain, il est important d'avoir des photographies régulières, transmises au Parlement, de qui détient notre endettement.

Il serait aussi intéressant de connaître la part d'investisseurs français et étrangers.

On nous répond souvent que la dette est 'flottante', qu'on ne peut pas y voir clair, que c'est le principe de la circulation des capitaux. Cette réalité ne doit pas nous empêcher d'avoir une idée à un instant T de qui détient quoi, même si la situation bouge le mois d'après. On pourrait vérifier qu'il n'y a pas de tendances inquiétantes, comme des fonds spéculatifs ou vautour, même si cela peut exister.

Il serait aussi intéressant de connaître la part d'investisseurs français et étrangers. On a l'impression que l'investisseur c'est toujours un grand monsieur avec un gros cigare, mais ils sont très différents les uns des autres.

Vu les montants en jeu, peut-on dire que la souveraineté budgétaire du pays est plus que jamais conditionnée par la confiance que nous accordent nos créanciers ?

C'est un fait, mais on ne le découvre pas avec la crise du Covid. Il est toutefois faux de dire que l'on perd notre souveraineté parce que nous avons des créanciers internationaux. Ils ne nous dictent pas les politiques à mener. 

La perte de souveraineté, c'est ce qui est arrivé à la Grèce, quand vos prêteurs vous imposent vos choix – en l'occurrence l'austérité – parce vous n'avez pas su gérer l'argent public. Or, la France est un des pays qui recouvre le mieux l'impôt au monde et qui sait gérer ses finances publiques, même si certains diront qu'elles sont encore trop déficitaires.

En revanche, il faut avoir conscience que certains choix de politiques publiques peuvent avoir un coût supplémentaire – ou primes de risque – si la trajectoire de remboursement n'est pas celle qu'avait anticipée les investisseurs. Si vous ne voulez pas de problème, vous n'empruntez pas. Mais si vous n'empruntez pas, il faut de l'excédent budgétaire ! Comment ? En faisant des choix, par exemple en réduisant la dépense sociale ou en augmentant les impôts. Comme notre pays ne veut ni l'un, ni l'autre, on emprunte.

Quid de la possibilité de contracter une dette Covid perpétuelle, qui consisterait à ne payer que les intérêts et pas les capitaux empruntés pendant la crise, en attendant que l'inflation efface l'ardoise ?

Ce n'est pas une idée idiote en soi, c'est même un mécanisme qui a existé dans le passé. Aujourd'hui, il y aurait probablement des investisseurs qui y souscriraient... mais à quel coût ? C'est toujours là même question. Comme ces derniers ne reverraient jamais leur capital, il faudrait leur payer des intérêts qui compensent cette situation.

L'intérêt d'une dette perpétuelle est, selon moi, nul.

Budgétairement, on aurait donc chaque année un poids supplémentaire ! L'intérêt est selon moi nul, d'autant plus qu'on n'a pas de problème de refinancement. Ces milliards d'euros, je préfère les utiliser à autre chose comme mieux payer les soignants ou les professeurs.

Le gouvernement promet de ne pas toucher aux impôts. Le prochain budget préservera donc les réformes fiscales du quinquennat (suppression de l'ISF, fin de la taxe d'habitation, prélèvement unique sur les dividendes...) ?

Je ne suis ni le gouvernement, ni madame Irma. Je souhaite en tout cas une stabilité fiscale. Nous avons déjà fortement baissé les prélèvements obligatoires sur les ménages comme sur les entreprises et il nous faut aller jusqu'au bout de nos promesses, comme sur la suppression définitive de la taxe d'habitation ou la baisse de l'impôt sur les sociétés. On peut aussi aller plus loin sur les impôts de production.

Globalement, il n'y a aucune raison de changer de trajectoire ; elle est attractive et propice à la relance. Augmenter les impôts serait non seulement une bêtise, mais les montants seraient totalement déconnectés : on ne solde pas 20 points de PIB d'endettement par une hausse d'impôts sur les ménages. L'enjeu est plutôt dans une croissance forte et puissante."