Lutte contre les dérives sectaires : le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture

Actualité
Image
Sabrina Agresti-Roubache dans l'hémicycle le 20 mars 2024
Sabrina Agresti-Roubache dans l'hémicycle lors de la deuxième lecture du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, le 20 mars 2024 - LCP.
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 20 mars 2024 à 19:57, mis à jour le Mercredi 20 mars 2024 à 20:45

L'Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, ce mercredi 20 mars, le projet de loi "visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes". Au centre des débats depuis le début du parcours législatif du texte, l'article 4 - qui instaure un délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins -, a été validé. Le projet de loi va maintenant faire son retour au Sénat. 

La nouvelle lecture aura été moins laborieuse que la première. Le 14 février dernier, l'Assemblée nationale avait adopté une première fois le projet de loi "visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes". Mais au cours des débats, le gouvernement avait été mis en minorité par les oppositions (à l'exception du groupe Socialistes) sur l'article 4, qui avait été supprimé. Mesure clé du texte, cet article vise à sanctionner spécifiquement les dérives thérapeutiques à caractère sectaire par la création d'un délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins.

Après s'être laissée surprendre, la majorité présidentielle avait cependant rétabli cet article - retravaillé pour prendre en compte certaines critiques -, lors d'une seconde délibération. Sur fond de désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le projet de loi, la nouvelle rédaction de l'article 4 n'avait, en revanche, pas permis aux députés et aux sénateurs, réunis en commission mixte paritaire (CMP), de se mettre d'accord sur un texte commun. 

Une réécriture qui ne fait toujours pas l'unanimité

En outre, le projet de loi et l'article 4 ne font toujours pas l'unanimité à l'Assemblée. En nouvelle lecture, Hadrien Clouet (La France insoumise) et Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) ont déploré que le texte se borne "essentiellement [à] des mesures répressives" et regretté un manque de moyens octroyés à l'éducation et à la prévention.

Comment a-t-on fait reculer depuis un siècle les sectes ? Par le livre, par la science, par l’intelligence collective, pas par la matraque. Mettez de l’argent dans les écoles, mettez de l’argent dans la littérature scientifique, mettez de l’argent dans la santé publique. Hadrien Clouet (La France insoumise)

"Un mauvais texte demeure mauvais, encore plus s’il est mal réécrit", a quant à lui considéré Philippe Schreck (Rassemblement national), tandis que Xavier Breton (Les Républicains) a fustigé un "empilement de rédactions sur l'article 4", aboutissant à un texte "bricolé" et "de moins en moins lisible".

"Cet article 4 est naturellement encadré et borné à des critères très stricts", a pour sa part fait valoir la rapporteure du texte, Brigitte Liso (Renaissance). "Le traitement proposé doit être présenté comme bénéfique pour la santé, les pressions et manœuvres doivent être réitérées, la personne doit être malade avec des chances de guérison avérées, et enfin, l’intentionnalité devra être appréciée par le juge", a-t-elle aussi souligné.

"La santé est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre les dérives sectaires", a martelé la secrétaire d’Etat Sabrina Agresti-Roubache, vantant l'effort de réécriture de l'article 4 "dans un esprit transpartisan". Un nouvel alinéa avait été introduit en première lecture et à la demande du groupe Socialistes - par ailleurs favorable dès l'origine au texte -, afin que "l’information signalée ou divulguée par le lanceur d’alerte" dans les conditions prévues par la loi du 9 décembre 2016, ne constitue pas une "provocation" au sens de l'article 4.

Lanceurs d'alerte : de la temporalité de la reconnaissance comme tels

"Cette exclusion supposée des lanceurs d'alerte du périmètre des poursuites est illusoire, puisque par définition, un lanceur d'alerte n'en est pas un avant d'être reconnu comme tel, et il a tort avant d'avoir publiquement raison", a estimé Edwige Diaz (Rassemblement national). Jean-François Coulomme (La France insoumise) a également fait valoir qu'avant que la justice ne finisse par leur donner raison, les lanceurs d'alerte étaient d'abord poursuivis par "les lobbys, les groupes de pression, et souvent le gouvernement qui s'y associe".

"Madame Irène Frachon n'aurait à aucun moment été incriminée à cause de cet article 4, Madame Frachon n'a jamais demandé à quelqu'un d'arrêter sa chimiothérapie et de la remplacer par du jus de carotte", a répondu Brigitte Liso (Renaissance), en référence à la pneumologue qui avait mis en évidence les effets secondaires du Mediator, souvent citée en exemple par les opposants à l'article 4 au nom de la sauvegarde des lanceurs d'alerte.

L'article 4 a finalement été adopté par 93 votes "pour", et 73 "contre", "sauvé par l'absentéisme de la gauche", selon les termes de Philippe Schreck (RN). L'ensemble du projet de loi a pour sa part bénéficié d'une plus large avance de voix, avec 104 votes "pour" et 65 "contre". Le texte fera l'objet d'une nouvelle lecture au Sénat le 3 avril. Et si les versions votées dans les deux Chambres du Parlement diffèrent encore, le dernier mot reviendra in fine à l'Assemblée nationale.