Lutte contre le harcèlement : une cellule spécialisée a été créée à l’Assemblée

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Le bureau de l’Assemblée nationale a acté le 15 janvier la mise en place de la cellule contre le harcèlement.
Le bureau de l’Assemblée nationale a acté le 15 janvier la mise en place de la cellule contre le harcèlement.
par Jason Wiels, le Jeudi 6 février 2020 à 15:30, mis à jour le Jeudi 25 mars 2021 à 16:06

Une cellule de lutte contre le harcèlement moral et sexuel est mise en place depuis le 1er février au Palais Bourbon. Le dispositif comprend un numéro de téléphone et une plateforme destinés à apporter un soutien psychologique et juridique aux victimes. Les collaborateurs des députés saluent une avancée mais veulent juger sur pièces.

Le Palais Bourbon est une ruche où députés, collaborateurs, fonctionnaires et contractuels passent nombre de jours (et de nuits) à travailler dans des conditions parfois tendues, qui peuvent conduire à des dérives. Après une réflexion au sein d'un groupe de travail dédié, deux rapports et alors qu'une plainte a été déposée contre un député il y a quelques mois, la présidence de l'Assemblée nationale a dévoilé un nouveau dispositif destiné à apporter une réponse durable au harcèlement qu'il soit moral ou sexuel.

"L’Assemblée se devait d’être à la hauteur de cet enjeu", explique le président de l'institution, Richard Ferrand. Pilotée par l'entreprise parisienne Équilibres, une cellule de lutte contre le harcèlement va ainsi être créée à partir du 1er février :

Accessible 24h/24, constituée d’experts indépendants et garants de la confidentialité des échanges, la cellule de lutte contre le harcèlement à l’Assemblée nationale est destinée à répondre aux sollicitations de tous. Chacun pourra s’informer, effectuer un signalement ou se faire accompagner dès que cela est nécessaire.Richard Ferrand, dossier de présentation

"Une avancée" à confirmer

Le prestataire, qui a remporté le marché pour un an, a présenté fin janvier son dispositif aux sept organisations syndicales représentants les quelque 2200 collaborateurs de l'institution (1000 à Paris et 1200 en circonscription).

En pratique, les victimes de harcèlement pourront dialoguer à tout moment (sur Internet ou par téléphone) avec un psychologue ou un juriste. Le cas échéant, un dossier sera constitué et pourra être transmis à la déontologue de l'Assemblée nationale, officiellement désignée depuis 2013 comme l’instance-référente dans les cas de harcèlement.

"Cette présentation était rassurante, mais on attend la mise en place pour juger de l'application", explique Brayen Soorama, secrétaire de la section CFDT. Du côté de Chair collaboratrice, qui a longtemps tiré la sonnette d'alarme sur le sujet, on salue également une première pierre tout en soulignant d'emblée les limites du dispositif : "Cela fait quatre ans qu'on plaide pour une cellule, mais son pouvoir se limite au maximum à déléguer les cas les plus problématiques à la déontologue", prévient Mathilde Julié Viot, membre du collectif.

Absence de sanction

En pratique, les représentants de collaborateurs regrettent qu'il n'existe pas de mécanisme d'enquête et de sanction en interne en cas de harcèlement, contrairement au Sénat et au Parlement européen. "Il manque une sorte de 'conseil de discipline', qui pourrait être composé à parts égales entre députés, fonctionnaires et collaborateurs", imagine Brayen Soorama.

En juin 2019, Michel Larive (LFI) et Jacqueline Maquet (LaREM), auteurs d'un rapport sur les conditions de travail des petites mains du Parlement, avaient imaginé un tel système à travers le Bureau de l'Assemblée nationale "afin de garantir l’irréprochabilité de l’Assemblée nationale, indépendamment des éventuelles poursuites pénales dont il pourrait faire l’objet".

Une proposition à laquelle la présidence de l'Assemblée nationale n'a pas donné suite. "Pourtant, l'Assemblée est déjà capable de sanctionner les députés pour manquement à la déontologie, pourquoi ne pas le faire en cas de harcèlement ?", interroge Mathilde Julié Viot.

"L'Assemblée est incompétente pour prendre des sanctions car elle n'est pas l'employeur des parlementaires, explique le cabinet de Richard Ferrand. On privilégie le droit commun plutôt que des accommodements en interne, qui pourraient donner l'impression de régler les problèmes entre nous."

La présidence met également en avant "l'anonymat total de la procédure", qui peut servir de "préalable à la judiciarisation" des cas les plus graves.

L'autre demande à laquelle tienne beaucoup l'intersyndicale est le manque de formation au management des élus au Palais Bourbon. Dans une étude publiée en décembre 2019, la Fondation Jean Jaurès relevait d'ailleurs de vraies carences :

La sensibilisation et la formation, en particulier des parlementaires, restent extrêmement faibles alors même que la méconnaissance des définitions juridiques et l’incompréhension du fait que le harcèlement ne dépend pas nécessairement d’une intentionnalité de l’auteur sont patentes, même deux ans après #MeToo.Étude sur le harcèlement dans les assemblées parlementaires, Fondation Jean Jaurès

Selon la présidence de l'Assemblée, la nouvelle cellule doit justement permettre de prévenir autant que guérir, en apportant des réponses à toutes les questions, du type "est-ce que je harcèle un collaborateur en lui envoyant un mail à 1h du matin ?".

Sur les 577 élus au Palais Bourbon, les trois quarts exercent leur premier mandat depuis le début de la législature, et sont de fait propulsés dès leur élection à la tête d'une petite entreprise. Mais difficile de s'improviser employeur du jour au lendemain : "En un an, une députée de la majorité a épuisé 16 collaborateurs", déplore un responsable syndical.