Un sur deux. Après le budget de la Sécurité sociale, qui doit être définitivement adopté ce mardi 16 décembre, c'est celui de l'Etat qui entre dans une phase décisive. Si le gouvernement espère aboutir à un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, lors de la commission mixte paritaire qui aura lieu en fin de semaine, puis à une adoption le 23 décembre, le pari est loin d'être gagné.
"Ce sera difficile. Peut-être plus encore que ces dernières semaines." Sébastien Lecornu le sait : l'épreuve du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) – quasiment – derrière lui, une autre se dresse devant lui. Le Premier ministre doit désormais s'atteler à la face nord de l'Himalaya budgétaire, celle du projet de loi de finances (PLF) de l'Etat. La méthode utilisée jusqu'à présent, à savoir la recherche du compromis et le refus de recourir au 49.3, peut-elle fonctionner de nouveau ? "La méthode a été la bonne. L'adoption du PLFSS est une étape majeure aussi pour la dynamique qu'elle crée derrière", voulait croire un ministre interrogé par LCP il y a quelques jours. "Construire un compromis en direct, les députés l'ont fait, le gouvernement l'a accompagné, ça crée un précédent", insistait le même.
Mais cela suffira-t-il ? Peu y croient, tant les divergences sont grandes entre les camps qui ont finalement décidé de permettre l'adoption du PLFSS à l'Assemblée nationale, notamment le groupe Socialistes et le groupe de la Droite républicaine (au sein duquel siègent les députés LR) – voire le groupe Ecologiste et social (le détail du scrutin en nouvelle lecture à retrouver ici). "Je ne crois pas à l'effet d'entraînement post-PLFSS ; j'aimerais, mais je n'y crois pas", affirmait, après le vote de la semaine dernière, une députée du groupe Ensemble pour la République, qui regroupe les élus du parti présidentiel. Avant d'ajouter : "Il y a ceux qui vont vouloir se venger et ceux qui vont vouloir être rétribué, alors que le gouvernement a déjà payé."
"On part de tellement loin avec le texte qui revient du Sénat…", expliquait-on ce lundi au sein du groupe Socialistes du Palais-Bourbon, où un cadre ne voyait "absolument aucun" chemin pour "un vote en bonne et due forme comme sur le PLFSS".
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Après l'adoption ce lundi au Sénat d'un PLF largement remanié par la Chambre haute, où la droite est majoritaire (le PS a voté contre), tous les regards se tournent vers la commission mixte paritaire (CMP) qui sera convoquée en fin de semaine pour tenter de trouver un accord entre les deux Chambres du Parlement. Celle-ci se réunira très certainement vendredi, selon nos informations. De quoi laisser du temps, en amont, pour travailler à un compromis, veut croire le gouvernement. "Les sénateurs ont un rôle majeur à jouer, la droite sénatoriale peut être celle qui aura permis un accord", estime le ministre déjà cité. En milieu de semaine dernière, la porte-parole Maud Bregeon affirmait que l'exécutif ferait tout "pour faciliter un compromis lors de la commission mixte paritaire". "Il y a une sorte de décalage horaire entre l'Assemblée nationale et le Sénat, il va falloir faire converger ces deux textes", ajoutait-elle.
Quel sera notamment l'état d'esprit des Républicains ? "Il y aura une CMP, mais il ne pourra y avoir un accord sur un budget qui augmenterait considérablement les impôts et ne réduirait pas significativement la dette", déclarait le sénateur et patron de LR, Bruno Retailleau, jeudi dans Le Figaro, regrettant d'ailleurs le choix des députés de son parti sur le PLFSS. Dans le groupe de la Droite républicaine, présidé par Laurent Wauquiez, l'abstention avait été la consigne et 18 députés (sur 49) avaient même approuvé le texte. L'abstention (suivie par 28 députés) étant une façon de montrer du mécontentement sans pour autant empêcher l'adoption du budget de la Sécu.
Et même si la commission mixte paritaire était conclusive – ce qui est possible, puisque la droite et le bloc central y auront la majorité –, il faudra ensuite faire adopter ce texte de compromis par les deux Chambres, le 23 décembre. Ce qui paraît aujourd'hui plus qu'invraisemblable. "Ses conclusions seront rejetées par l'Assemblée nationale", anticipe déjà un cadre de Renaissance auprès de LCP.
Dans l'hémicycle, l'attitude des socialistes, qui ont permis le vote du budget de la Sécu, sera forcément scrutée. "Je regarde ce que fait ou plutôt défait le Sénat, la droite républicaine du Sénat, et je vous le dis avec netteté (...) je ne vois pas le chemin", indiquait le président des députés PS, Boris Vallaud, la semaine dernière devant l'Association des journalistes parlementaires. "A ce stade, je ne vois même pas ce qui permettrait une abstention", renchérissait le patron du parti, Olivier Faure, vendredi dans Libération. "Le voter nous ferait entrer dans la 'majorité'", expliquait ce dernier. Traditionnellement, seules les formations politiques qui soutiennent le gouvernement votent les budgets. A plus forte raison celui de l'Etat qui fonde la politique de l'exécutif.
Sollicité ce lundi, un cadre socialiste se projette : "On peut imaginer s'abstenir si on obtient des concessions sur certains points durs ; mais nous en sommes loin et cela ne suffira pas."
Sébastien Lecornu veut rééditer l'exploit du PLFSS, mais la marche est haute. Je ne vois pas comment ça passe. Un cadre de renaissance
En effet, pour faire adopter le projet de loi de finances de l'Etat, le soutien de l'ensemble des députés de l'ex-socle commun" (Ensemble pour la République, Les Démocrates, Horizons, Droite républicaine) et du groupe LIOT ne suffira pas ; le gouvernement ayant également besoin de l'abstention des socialistes et des écologistes. Ce qui paraît hors de portée. "Il n'y a aucune raison aujourd'hui de voter autre chose que 'contre' parce que ce qui se passe est inadmissible et conduit notre pays tout droit dans les mains du Rassemblement national", a affirmé dimanche sur France 3 la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, qualifiant le projet de budget "d'injuste et incompréhensible".
"Sébastien Lecornu veut rééditer l'exploit du PLFSS, mais la marche est haute. Je ne vois pas comment ça passe", commentait-on ce lundi chez Renaissance.
Reste qu'à la fin, il faudra un budget. "Il n'y a pas de stratégie 'janvier' pour le gouvernement. Notre volonté est de créer les conditions pour que ça fonctionne d'ici la fin de l'année", plaide le ministre cité plus haut. Mais faute de vote positif à l'Assemblée nationale la semaine prochaine, le gouvernement devra passer par une loi spéciale, ce qui entraînera une reprise des débats en janvier. Qu'est-ce qui aura changé d'ici là ?
L'autre option serait de dégainer l'article 49.3, ce qui est demandé par plusieurs responsables politiques. Problème n°1 : jusqu'à présent, le gouvernement s'y refuse, ne souhaitant pas revenir sur la promesse faite. Problème n°2 : Sébastien Lecornu devrait alors faire face à une motion de censure. "Si le gouvernement utilise [le 49.3] sans compromis préalable, il s'expose à une censure immédiate", a d'ores et déjà mis en garde Olivier Faure. La trêve des confiseurs approche à grands pas, mais le gouvernement est encore loin de pouvoir espérer un budget de l’Etat emballé au pied du sapin.