La France est insuffisamment préparée à la menace des drones, selon un rapport

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Un drone reaper arme de bombes GBU-12 dans la base aérienne de Niamey (Niger) - Avril 2021.
Un drone reaper arme de bombes GBU-12 dans la base aérienne de Niamey (Niger) - Avril 2021 (Fred Marie / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP).
par Raphaël Marchal, le Mercredi 7 juillet 2021 à 15:55, mis à jour le Mercredi 7 juillet 2021 à 17:40

La France n'est à l'heure actuelle pas suffisamment prête pour pouvoir affronter une attaque coordonnée de drones sur son territoire, ont indiqué mercredi 7 juillet Jean Lassalle (Libertés et territoires) et Stéphane Baudu (MoDem), qui présentaient leur rapport d'information sur la "guerre des drones". Ils préconisent de renforcer les capacités de lutte anti-drone, notamment en vue de l'organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques de 2024.

Les drones représentent une menace de plus en plus importante pour les forces françaises comme pour les civils et, à ce stade, la France est insuffisamment préparée pour y faire face. Telle est la principale conclusion de la mission d'information sur la "guerre des drones", dont le rapport préparé par Stéphane Baudu (MoDem) et Jean Lassalle (Libertés et territoires) a été présenté mercredi 7 juillet devant les députés de la commission de la défense nationale.

Comme l'a observé Stéphane Baudu, l'utilisation de drones civils piégés est pour le moment surtout observée au Levant ; mais il faut se "préparer à des évolutions en la matière". 2020 a d'ailleurs été une "année de rupture", marquée notamment par l'usage d'essaims de drones peu perfectionnés par l'Azerbaïdjan dans le cadre du conflit dans le Haut-Karabakh. Et la France, qui a accusé un retard à l'allumage, "n'est pas pleinement armée pour faire face à cette menace croissante, tant d'un point de vue technologique que doctrinal". Pour les co-rapporteurs, il est donc urgent d'agir, aussi bien pour protéger les troupes sur les théâtres d'opération qu'en matière de lutte anti-drone sur le territoire.

Les Jeux olympiques dans le viseur

En l'occurrence, concernant la lutte anti-drone, le principal défi approche à grands pas : deux grands événements sont en effet organisés en France d'ici à trois ans. À savoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et surtout les Jeux olympiques en 2024 qui concentreront plusieurs épreuves simultanées sur différents sites. Or, le détournement d'un drone de loisir, valant quelques centaines d'euros, par l'ajout d'une charge explosive ou d'une grenade, est un scénario à prendre en considération.

Et en la matière, "beaucoup reste à construire", a prévenu Stéphane Baudu. Il faut définir une doctrine et surtout s'équiper en moyens de défense. La France ne part pas non plus de nulle part. "Le temps des balbutiements est derrière nous", s'est félicité l'élu. Ainsi, la gendarmerie, qui fait "référence", a notamment commencé à s'équiper, ciblant les drones chinois DJI, principal acteur du drone de loisir en France. Pour ce faire, les militaires ont acquis des valises "aéroscopes", qui permettent de repérer des appareils à plusieurs dizaines de kilomètres, ainsi que des fusils et pistolets brouilleurs. Pas en reste, la police a également acquis des kits de lutte anti-drone.

Pour autant, les capacités de la France sont "limitées tant en quantités qu'en qualité", tempère le député MoDem. À tel point qu'à l'heure actuelle, les forces ne seraient pas en mesure d'empêcher une attaque multisites coordonnée. Les deux rapporteurs plaident par conséquent pour acquérir davantage de moyens de lutte pour la police et la gendarmerie nationales, comme pour les armées.

Une feuille de route

Cette conclusion est similaire dans le domaine de la défense, les drones représentant un risque accru pour les troupes au sol. Là encore, les rapporteurs soulignent que les armées ont décidé de rattraper leur retard initial, et saluent l'adoption, début 2021, d'une feuille de route dans le domaine de la lutte anti-drones, qui prévoit l'adoption de systèmes dédiés et une réflexion sur de nouvelles technologies : laser, armes électromagnétiques...

Le jour même de la présentation du rapport des députés, l'armée française a d'ailleurs procédé à la démonstration de la destruction en vol d'un mini drone au moyen d'un laser, en présence de la ministre des Armées, Florence Parly. L'utilisation de ce système expérimental, qui doit être opérationnel en 2024, s'est déroulée à Biscarrosse (Landes). Selon le ministère, cette démonstration est la première du genre revendiquée par un pays européen.

La recherche de systèmes similaires est largement encouragée par les auteurs du rapport : si la France semble accélérer pour rattraper son retard à l'allumage, les élus conseillent désormais d'anticiper les futures évolutions du secteur pour développer en amont des technologies de défense. Ils pointent surtout l'émergence et la probable explosion des drones sous-marins, pouvant être utilisés comme des munitions, et actuellement développés par la Russie et les États-Unis.

Afin de repenser une "architecture de défense" anti-drone, les députés préconisent de mener une réflexion sur l'organisation des moyens - civils et militaires -, et de réfléchir à la mise en œuvre d'un schéma de défense opérationnelle, interministériel, placé sous l'égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

La souveraineté en question

L'un des autres axes majeurs du rapport concerne non plus les moyens de défense, mais l'attaque et la collecte de renseignements. Constatant une course aux armements dans le secteur, les rapporteurs soulignent, là encore, le réveil tardif de la France. L'armement des drones est en effet effectif depuis septembre 2019, ce qui a constitué un "véritable tournant opérationnel", a constaté Jean Lassalle.

Dans les années à venir, les deux élus prévoient le déploiement de "plusieurs milliers de drones" (armés ou de renseignement) et préconisent, par conséquent, une montée en puissance de "l'environnement" des aéronefs sans pilotes. À  savoir, le développement des infrastructures, l'exploitation des données collectées et par dessus-tout, les ressources humaines : former et fidéliser les équipages capables de piloter les drones devra être l'une des priorités.

Par ailleurs, la question de la souveraineté technologique a également été soulevée. Le drone Reaper, utilisé par l'armée française au Sahel avec un succès incontestable, dépend toutefois de personnels américains qui sont seuls habilités à le faire décoller et atterrir. . Une donnée "insupportable", s'est agacé Jean Lassalle.

Le déploiement avec trois ans de retard des drones tactiques Patroller, développés par le Français Safran, a provoqué une "perte de chance" sur les opérations extérieures, notamment au Sahel, regrettent également les élus. Ils proposent en outre de poser la question de l'armement de ces drones de taille intermédiaire, afin de pouvoir effectuer des tirs d'opportunité.

Enfin, les députés ont également rappelé le déploiement de l'eurodrone à moyen terme. Enjeu de souveraineté européenne, il doit progressivement remplacer le Reaper, à compter de 2028 au sein de l'armée française. Source de conflits entre les différents commanditaires européens (Espagne, Allemagne), il ne doit pas être un "eurodrone pour se faire plaisir", a alerté Stéphane Baudu. Sous-entendu : au-delà du symbole, il doit pouvoir servir au moins aussi bien les armées européennes, tout en permettant un renforcement de la souveraineté de l'UE.