L'Assemblée vote une expérimentation augmentant les pouvoirs de la police municipale

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Valery HACHE / AFP
par Maxence KagniRaphaël Marchal, Jason Wiels, le Mercredi 18 novembre 2020 à 15:20, mis à jour le Jeudi 19 novembre 2020 à 14:30

L'article 1er de la proposition de loi "relative à la sécurité globale" prévoit une expérimentation de trois ans qui permettra à certaines polices municipales d'être dotées de pouvoirs nouveaux. Le gouvernement et la majorité n'ont en revanche pas souhaité rendre obligatoire l'armement des policiers municipaux.

Un long marathon législatif a débuté mardi dans l'hémicycle sur la proposition de loi "relative à la sécurité globale" qui fait l'objet de plus de 1000 amendements. Rédigé par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue (La République en marche), le texte est contesté en raison d'une de ses dispositions, contenue dans son article 24 qui vise à prohiber "l’usage malveillant de l’image des policiers nationaux et militaires de la gendarmerie en intervention". 

Mais le texte a un objet plus large : il comprend notamment plusieurs mesures visant à étendre les pouvoirs de certaines polices municipales. Il fixe aussi le cadre juridique permettant la création d'une police municipale à Paris.

200 à 300 communes

Dans son article 1er, adopté mercredi soir par les députés, le texte prévoit une expérimentation de trois ans lors de laquelle certaines polices municipales pourront voir leurs compétences élargies.

Cette expérimentation, qui commencera au plus tard le 30 juin 2021, sera ouverte aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre qui en feront la demande. Ces communes et EPCI doivent employer au moins vingt agents de police municipale ou gardes champêtres et disposer "d'au moins un directeur de police municipale ou un chef de service de police municipale". 

Par amendement, les députés ont ajouté une possibilité : les communes qui emploient au moins 20 agents de police municipale en commun pourront demander à participer à l'expérimentation si elles forment un ensemble de moins de 80.000 habitants. 

L'objectif, a précisé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, est d'inclure "200 à 300 communes" dans l'expérimentation.

Un arrêté conjoint des ministres de l’Intérieur et de la Justice détermine les communes autorisées à mettre en œuvre l’expérimentation au regard des circonstances locales. Article de la proposition de loi

Ugo Bernalicis, député La France Insoumise,  a critiqué ce dispositif, synonyme selon lui de "clientélisme à l'ancienne" puisque ce sont les ministères qui décideront quelles communes participeront à l'expérimentation.

Les députés Les Républicains ont tenté, par le biais de Marc Le Fur, d'abaisser le seuil d'intégration à l'expérimentation à quatre policiers municipaux (au lieu de 20). En vain.

Relevés d'identité

Concrètement, les agents de police municipale sélectionnés pourront constater par procès-verbal certains délits, comme la vente à la sauvette, la conduite sans permis, la conduite sans assurance, l'occupation de halls d'immeuble, la consommation de stupéfiants... Les députés y ont ajouté la constatation des véhicules garés en double-file, en adoptant un amendement des Républicains, ainsi que le port d'armes de catégorie D, tels que des poignards ou des matraques, sur proposition de Pacôme Rupin (LaREM). Les policiers municipaux auront le droit de relever l’identité des auteurs de ces délits.

Ils pourront aussi, "pour les infractions commises sur la voie publique et qu'ils sont habilités à constater", "procéder à la saisie des objets ayant servi à la commission des infractions ou qui en sont le produit". L'article 3, voté jeudi, donne aussi la possibilité à la police municipale et aux gardes champêtres de placer une personne en état d'ivresse en cellule de dégrisement après examen médical, dans un commissariat ou une brigade. 

Les députés ont toutefois écarté plusieurs amendements qui visaient à ajouter la constatation de certains délits à l'expérimentation, tels que les refus d'obtempérer, les violences intrafamiliales, la prostitution à proximité des écoles, l'exhibition sexuelle, les squat dans des locaux privés, les tapages nocturnes, les rodéos urbains ou encore le travail dissimulé.

"Nous nous situons sur une ligne de crête ; nous ne souhaitons pas donner aux policiers municipaux la possibilité de faire des actes d'enquête", a précisé le rapporteur, Jean-Michel Fauvergue. Il s'est dit toutefois, à l'avenir, ouvert à la réflexion concernant les rodéos urbains, qui "pourrissent la vie des Français". "Il faudrait trouver un dispositif qui permette la constatation sans que cela devienne un acte d'enquête", reconnaît pour sa part le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui n'a pas exclu de revenir sur cette mesure lors de l'examen du texte au Sénat.

L'article 1er permettra enfin au "directeur de police municipale ou au chef de service de police municipale dûment habilité", et "avec l’autorisation préalable du procureur de la République", de faire "procéder à l’immobilisation et à la mise en fourrière d'un véhicule". Un amendement adopté mercredi élargit ce pouvoir aux gardes champêtres.

"La plupart des pouvoirs qui sont donnés, c'est la possibilité d'amendes et de forfaitisation qui sont transmises directement par voie informatique et qui seront contrôlées directement par des parquetiers qui sont à Rennes", a résumé Jean-Michel Fauvergue.

Mais le dispositif risque, selon la député MoDem Laurence Vichnievsky, d'engorger les parquets, car les policiers municipaux pourront leur transmettre directement leurs procès-verbaux. 

De plus, explique la députée, "les polices municipales pourront verbaliser des délits pour lesquels les procureurs, souvent, demanderont un complément d'enquête". Ugo Bernalicis (LFI), pour sa part, craint des "réorganisations internes" qui reviendront pour la police nationale à  "se décharger sur la police municipale".

Armement

Lors de son audition par la commission des lois, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'était opposé à l'idée des Républicains, qui souhaitent rendre obligatoire l'armement des polices municipales : "Nous n'imposerons pas les polices municipales armées aux collectivités locales", a réaffirmé mercredi le ministre.

En 2018, les rapporteurs, Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, avaient proposé d'"acter le principe que, de base, une police municipale est armée sauf si le maire prend une décision motivée allant dans le sens contraire". Mercredi, Jean-Michel Fauvergue a reconnu avoir changé d'avis : "Les maires décideront de faire ou de ne pas faire."

La position de la majorité et du gouvernement a été critiquée par le député des Alpes-Maritimes Eric Pauget (Les Républicains) : "Je peux vous dire qu'à Nice, si la police municipale n'avait pas été armée, formée, entraînée et n'était pas intervenue, le carnage aurait été bien plus grand."

"On va vers plus de policiers municipaux armés, c'est une certitude", a pour sa part expliqué le député socialiste Hervé Saulignac, qui s'inquiète d'un manque de formation "en termes de maniement des armes" pour ces agents.

La ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a toutefois rappelé qu'avant d'être armés les policiers municipaux suivaient une "formation obligatoire" et devaient présenter un "certificat médical". De plus, "chaque policier municipal qui est armé doit tirer l'équivalent de 50 cartouches par an".

L'accès aux fichiers de police en question

De nombreux députés ont, par ailleurs, insisté sur la nécessité d'offrir aux policiers municipaux un accès direct à certains fichiers de police, tels que le fichier national des immatriculations (FNI), le fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ou encore le fichier des personnes recherchées (FPR). S'il a reconnu l'importance de cette disposition, Jean-Michel Fauvergue a précisé qu'elle nécessitait pas, pour certains fichiers, d'évolution législative, mais réglementaire.

Gérald Darmanin s'est engagé à la publication d'un décret allant dans cette direction, "d'ici à la fin du premier semestre 2021". Le ministre de l'Intérieur a reconnu que l'action des policiers municipaux pourrait bénéficier d'un accès au fichier des contraventions, des radars automatiques et d'un accès partiel et "proportionné" au fichier des objets et véhicules volés (Foves) et au FPR. Il s'est toutefois opposé à ce que les policiers municipaux aient accès aux "fiches S", qui sont contenues au sein du FPR. Rappelant que ces "fiches S" consistent en un suivi de personnes suspectées de visées terroristes, Gérald Darmanin a estimé que cette mesure serait "contre-productive", ces informations étant confidentielles et ayant pour finalité de faire avancer les enquêtes policières.

Paris aura bientôt sa police

Les députés ont adopté jeudi matin à une large majorité (à l'exception de La France insoumise) l'article 4, qui crée un cadre légal pour doter la capitale d'une police municipale : "Paris est une des deux dernières grandes villes [avec Brest, NDLR] à ne pas avoir de police municipale. Or les Parisiens l'attendent pour lutter contre les incivilités et la petite délinquance", a défendu Pacôme Rupin (LaREM).

Cette ouverture permettra à la maire de Paris Anne Hidalgo, qui l'avait promis dans son programme de réélection, de former et recruter ses propres policiers à partir du printemps, après validation des élus au Conseil de Paris.

Jean-Christophe Lagarde (UDI), favorable à la mesure, a toutefois partagé ses craintes sur "l'effet aspirateur" de la futur police municipale parisienne. L'élu de Drancy craint que la capitale n'attire à elle les candidats en "les payant plus chers", au détriment de la banlieue. "Il y a un mercato qui n'est pas très sain", a reconnu Gérald Darmanin sur le recrutement des policiers municipaux, pour lesquels la libre administration des collectivités empêche la mise en place d'un barème unique. Le ministre a toutefois promis qu'il veillerait à ce qu'il n'y ait pas de "concurrence indue" entre les collectivités.

À noter l'adoption contre l'avis du rapporteur et du gouvernement d'un amendement porté par les députés parisiens de la majorité sur l'obligation de mise à niveau des futurs policiers municipaux"Il y a aujourd'hui près de 5 000 agents de surveillance de la voie publique (ASVP) qui vont être transformés du jour au lendemain en policiers municipaux alors que certains n'ont pas les compétences pour le devenir", a argué Pacôme Rupin. Sans avoi gain de cause, le ministre a demandé de laisser de la "souplesse" à la mairie de Paris, indiquant que tous les ASVP n'avaient pas vocation à devenir policiers municipaux.