L'Assemblée rejette deux textes LR sur l'expulsion des étrangers délinquants ou représentant une menace pour l'ordre public

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par Maxence Kagni, le Jeudi 1 décembre 2022 à 09:49, mis à jour le Vendredi 2 décembre 2022 à 09:05

A l'occasion de leur journée d'initiative parlementaire, les députés du groupe Les Républicains ont présenté deux propositions de loi visant à faciliter l'expulsion de certains étrangers. La première était destinée à "assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public", la seconde avait pour objet la "création d’une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants". Toutes les deux, critiquées par les groupes de la majorité et ceux de la Nupes, ont été rejetées. 

"Retrouver une capacité d'expulser, c'est défendre notre cohésion nationale mise à mal", a affirmé le président des députés Les Républicains, jeudi 1er décembre, dans l'hémicycle, faisant ainsi la synthèse de deux propositions de lois présentées par son groupe à l'occasion de sa journée d'initiative parlementaire. 

La première visait à "assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public", tandis que la seconde portait "création d’une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants". Les deux textes, qui n'avaient pas été adoptés lors de leur passage en commission, le 23 novembre dernier, ont subi le même sort en séance publique : l'Assemblée nationale a adopté des amendements de suppression de l'article unique de la première proposition de loi (120 pour, 61 contre) et de l'article 1 de la seconde proposition de loi (82 pour, 41 contre).

Supprimer des "protections"

La premier texte, dont le rapporteur était le député LR de Mayotte Mansour Kamardine, avait pour but de supprimer plusieurs dispositions prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceséda) qui protègent plus fortement certaines catégories de personnes d'une expulsion, même si elles menacent l'ordre public.

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, l'expulsion "fait l’objet d’un aménagement en 2003 visant à mieux protéger les étrangers ayant des attaches plus fortes en France" : "Seule une décision de justice 'spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’étranger' ou une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins 5 ans, permettent respectivement au juge et à l’autorité administrative d’éloigner un étranger 'protégé'."

Les députés Les Républicains proposaient donc de ne plus donner le bénéfice de cette protection qu'à trois catégories de personne : 

  • Les étrangers père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, sous certaines conditions,
  • les étrangers qui résident habituellement en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de 13 ans,
  • les étrangers résidant actuellement en France si leur état de santé le justifie.

Cela aurait eu pour conséquence de supprimer la protection prévue pour : 

  • Les étrangers mariés avec un conjoint français depuis plus de 3 ans,
  • les étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de 10 ans, 
  • les titulaires d'une rente d'accident du travail ou d'invalidité de plus de 20%.

"Notre texte ne stigmatise pas les étrangers", s'est défendu Mansour Kamardine évoquant, par ailleurs, "le lien statistique entre la présence d'étrangers sur notre sol et l'insécurité". 

Une cour de sûreté de la République

La deuxième proposition de loi, présentée à la tribune de l'Assemblée par le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, visait à créer une juridiction spécialisée dans l’expulsion des étrangers délinquants nommée "cour de sûreté de la République". Le but poursuivi par le groupe Les Républicains était de créer "une nouvelle organisation des pouvoirs publics, plus efficace, plus diligente" afin de "permettre à l’État de faire face à la menace terroriste et d’exercer effectivement les moyens d’autorité dont il dispose au titre de la police administrative".

"Nous voulons lever les obstacles innombrables, procéduraux, qui aujourd'hui brisent l'élan et la volonté de la Nation française pour faire respecter ses droits", a justifié Eric Ciotti.

Un projet de loi sur l'immigration en préparation  

"S'il serait faux de réduire la délinquance aux seuls étrangers, il convient de rappeler que la part des étrangers dans la délinquance enregistrée a progressé au cours des dernières années", a indiqué la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure. Représentant le gouvernement lors de l'examen du premier texte, elle a affirmé que l'exécutif souhaitait "revoir le régime de protection" des étrangers menacés d'expulsion. Néanmoins, elle a souligné que la question mérite "d'être traitée dans sa globalité" à travers "un travail parlementaire approfondi".   

Concrètement, le gouvernement souhaite attendre la présentation du projet de loi sur l'immigration, actuellement en cours de préparation et qui sera présenté en Conseil des ministres "au tout début de l'année 2023", pour avancer ses propres solutions. Dominique Faure a également rappelé qu'un débat sur l'immigration aura lieu à l'Assemblée nationale, mardi 6 décembre, afin de préparer cette échéance.

"Au fond, c'est un petit peu la primaire des Républicains", a ironisé dans l'après-midi le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Le Garde des Sceaux a critiqué la proposition de loi défendue par Eric Ciotti, qui crée une juridication dont la dénomination lui semble "très mal choisie", "inadaptée, anachronique, pour ne pas dire plus encore". Selon Eric Dupond-Moretti, le nom de la cour de sûreté de la République se rapprocherait trop de celui de la cour de sûreté de l'Etat, une juridiction spécialisée chargée de réprimer les crimes et délits politiques pendant la guerre d'Algérie. 

Les groupes de la majorité n'ont pas non plus soutenu les textes des Républicains. Ainsi, Mathilde Desjonquères (Démocrate) a critiqué la première proposition de loi, jugée "pas suffisamment proportionnée et respectueuse des textes européens", tandis que Didier Lemaire (Horizons) a dénoncé la seconde, estimant qu'elle "pos[ait] question d'un point de vue constitutionnel et conventionnel".

La Nupes très critique, le RN déroule son programme

A gauche, les propositions de loi des Républicains ont été vivement contestées : "Vous avez besoin, dans un contexte propre à votre famille politique, d'envoyer un message quitte à vous assoir sur quelques principes fondamentaux du droit", a dénoncé Hervé Saulignac (Socialistes). 

De son côté, Aurélien Taché (Ecologiste) a critiqué le parti Les Républicains, devenu selon lui "l'antichambre du Rassemblement national". Le député reconnaît qu'un pourcentage élevé d'étrangers figure parmi les personnes condamnées mais précise : "Vous oubliez de dire qu'il s'agit dans plus de 90% des cas d'infractions qui sont des faux en écriture, du travail dissimulé, bref, des infractions liées à leur statut et à la clandestinité que vous essayez sciemment d'organiser."

Soumya Bourouhaha (Gauche démocrate et républicaine) a, quant à elle, dénoncé un texte qui "stigmatise les personnes qui ont une mélanine trop élevée", tandis qu'Andrée Taurinya (La France insoumise) a évoqué "l'odeur nauséabonde" de la proposition défendue par Mansour Kamardine. Jérémie Iordanoff (Ecologiste) a, pour sa part, critiqué le texte présenté par Eric Ciotti, évoquant "l'odeur âcre d'une droite réactionnaire, xénophobe, populiste".

L'examen des deux textes a, en revanche, été l'occasion pour le Rassemblement national d'exposer son programme sur le sujet : "Oui, il y a un lien entre immigration et insécurité, cela fait longtemps que cela saute aux yeux des Français et du RN", a ainsi déclaré Laurent Jacobelli, qui a défendu la volonté de sa famille politique de proposer un référendum "permettant de graver dans la constitution l'obligation pour un étranger de respecter nos lois sous peine d'expulsion".