L'Assemblée nationale vote en faveur de la reconnaissance du Haut-Karabagh

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par Ariel Guez, le Jeudi 3 décembre 2020 à 16:31, mis à jour le Jeudi 3 décembre 2020 à 19:05

L'Assemblée nationale a largement adopté jeudi 3 décembre, contre l'avis du gouvernement, une proposition de résolution du groupe Les Républicains plaidant pour la "mise en oeuvre d'un processus de reconnaissance du Haut-Karabagh". Le texte invite aussi l'exécutif "à réexaminer, avec ses partenaires européens, la poursuite du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne".

Après le Sénat, l'Assemblée nationale. Jeudi, les élus du Palais Bourbon ont largement adopté (188 pour, 3 contre, 16 abstentions) une proposition de résolution du groupe Les Républicains "sur la protection du peuple arménien et des communautés chrétiennes d'Europe et d'Orient." Le texte, sans portée législative, affirme notamment "l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit (entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ndlr) garantissant la sécurité durable des populations civiles affectées et la mise en œuvre d’un processus de paix et de reconnaissance du Haut‑Karabagh." Cette résolution, qui permet à l'Assemblée d'exprimer un avis sur une question déterminée, a été adoptée dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire des députés LR. 

La France devient le seul pays dont le Parlement souhaite reconnaître la République autoproclamée

Le Haut-Karabagh, où la population est majoritairement arménienne, est un territoire enclavé en Azerbaïdjan. La province a autoproclamé son indépendance en 1991, mais n'a jamais été reconnue par un membre de la communauté internationale. "Pas même par l'Arménie", a rappelé lors des débats le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, opposé au texte. Après le vote du Sénat en novembre et de l'Assemblée le jeudi 3 décembre, la France est donc devenue le seul pays dont le Parlement souhaite reconnaître la République autoproclamée. 

Le rapporteur du texte, le député de Marseille Guy Tessierc(LR), a défendu lors de la discussion générale sa résolution qui veut répondre à une "réelle tentative d’épuration de la population arménienne" du Haut-Karabagh. "Les Arméniens sont une partie de notre France, ils ne peuvent pas être abandonnés. Nous défendons une cause universelle qui nous dépasse : celle de la justice et des droits humains", a-t-il expliqué.

"Face au silence international assourdissant, nous nous devons d'être aux côtés de l'Arménie. Ce texte est attendu. Et nous sommes persuadés que la reconnaissance du Haut-Karabagh est indispensable au processus de paix", a ajouté la députée Brigitte Kuster lors des explications de vote. 

"Avec ce vote, nous [renonçons] à notre rôle de médiateur" déplore Le Drian

Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a répondu que justement, cette reconnaissance allait compliquer le processus de paix. "Au fond, c'est très simple. Reconnaître le Haut-Karabagh reviendrait à nous exclure nous-même de la co-présidence du groupe de Minsk ! (...) Ce serait renoncer à notre rôle de médiateur et à notre ambition de bâtir une paix durable", a dit le ministre devant les députés. 

Jean-Yves Le Drian a bien compris "la portée symbolique que certains comptent donner à ce texte", reconnaissant lui-même que "les symboles comptent". "Mais ce qui compte plus encore, c'est notre capacité à agir demain", a-t-il poursuivi. "L'urgence est à la stabilisation après le cessez-le-feu du 9 novembre. Cette stabilisation permettra ensuite d'engager une solution globale", a-t-il avancé. 

Après l'intervention du ministre, les députés LaREM avaient le choix : étant plus nombreux dans l'hémicycle, ils auraient pu faire échouer le texte. Ils ont préféré user de leur liberté de vote : un seul député a voté contre. Treize d'entre eux se sont abstenus et 82 ont voté pour la reconnaissance de la République autoproclamée, dont Danièle Cazarian. "Notre vote aujourd'hui est une question d’humanité. Il s’agit d’envoyer un soutien fort aux Arméniens. Soyons l’honneur de la France et les portes-voix de son message universel de paix !" a dit la députée, très applaudie dans l'hémicycle. 

La gauche soutient le peuple arménien, mais ne valide pas complètement la rédaction du texte

Plusieurs réserves ont été exprimées par les députés de gauche sur la rédaction du texte. Si Pierre Dharréville (GDR) et Clémentine Autain (LFI) étaient présents dans l'hémicycle, ils n'ont pas pris part au vote. "Il est écrit que 'notre pays doit jouer son rôle au sein des instances internationales et européennes pour que soient défendues nos valeurs communes basées sur les principes judéo‑chrétien'Oui il faut soutenir les Arméniens, mais nous sommes en désaccord avec cette vision qui défend un choc des civilisations", a expliqué l'élue insoumise de Seine-Saint-Denis. 

Côté socialiste, la majorité du groupe a voté pour. "Il est urgent d'agir", a plaidé la députée du Val-de-Marne Isabelle Santiago. "La France doit demander le retrait des forces armées et le retour aux frontières d'avant", a-t-elle dit. L'élue a refusé de voir la reconnaissance du Haut-Karabagh comme un simple symbole

La reconnaissance de la République autoproclamée est une étape du processus diplomatique essentiel à la paix. Ce n'est pas un symbole, c'est un devoir ! Isabelle Santiago, le 3 décembre 2020.

Enfin, le député François Pupponi (Libertés et Territoires) a lui aussi soutenu ce texte, regrettant que la France "n'ait pas été au rendez-vous de son histoire" ces vingt dernières années. "Je suis convaincu que le vote d'aujourd'hui rendra service à l'Arménie, à l'Artsakh, mais aussi à la France. Ce sera un moyen de plus que vous aurez dans les négociations", a-t-il argumenté. Les députés du groupe Agir Ensemble, dont la voix a été portée par Pierre-Yves Bournazel dans l'hémicycle ont également voté pour. 

Une proposition de résolution qui englobe plusieurs sujets

Plusieurs réserves ont également été exprimées sur le contenu de la résolution, qui invite aussi le gouvernement "à réexaminer avec ses partenaires européens, la poursuite du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne". Le texte souligne par ailleurs "la nécessité de défendre activement les communautés chrétiennes minoritaires menacées en Europe, en Orient et dans le monde." "Chacun de ces sujets pris séparément est un objet de discussions presque infinies", a estimé Michel Fanget (MoDem), regrettant un tel empilement.