L'Assemblée adopte une loi interdisant les discriminations "fondées sur l'accent"

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Maina Sage, le 26 novembre 2020.
par Maxence Kagni, le Jeudi 26 novembre 2020 à 10:32, mis à jour le Jeudi 26 novembre 2020 à 13:13

Une proposition de loi, soutenue par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, reconnaît les discriminations fondées sur l'accent dans le code pénal, dans le code du travail ainsi que dans la fonction publique. Elle a été adoptée en première lecture dans le cadre de la journée réservée aux propositions du groupe Agir ensemble. 

Le texte doit, selon son rapporteur Christophe Euzet (Agir ensemble), "ouvrir un débat et poser un premier jalon". L'Assemblée nationale a largement adopté jeudi la proposition de loi "visant à promouvoir la France des accents et à lutter contre les discriminations fondées sur l’accent" (98 pour, 3 contre).

Le texte introduit l'accent comme critère de discrimination dans le code du travail et dans le code pénal. Il interdit également toute discrimination fondée sur l'accent dans la fonction publique.

"Il s'agit de lutter contre la discrimination essentiellement à l'embauche et non pas, comme j'ai pu le lire ça et là, d'interdire l'humour", a expliqué jeudi l'auteur de la proposition de loi Christophe Euzet.

J'ai le sentiment que les politiques de lutte contre la discrimination raciale n'ont jamais interdit la diffusion du film "Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu". Christophe Euzet 

Discrimination dans les médias

La discussion dans l'hémicycle a permis à plusieurs députés de faire part de leur expérience personnelle et des discriminations qu'ils ont pu subir dans leur jeunesse. "Je suis une fille de rapatriés d'Algérie et je peux vous dire que j'ai été très moquée à l'école", a ainsi expliqué Patricia Mirallès (La République en marche). 

Sa collègue Michèle Peyron a fait part de la même expérience, quand, en 1971, elle est "montée" de "son petit village de Camargue à Champigny-sur-Marne en région parisienne". 

"Dans certains médias, si vous avez un accent qui n'est pas l'accent standard de proche Parisien, vous ne serez jamais présentateur", a ajouté le député Libertés et Territoires Paul Molac.

La députée Agir ensemble de Polynésie Française Maina Sage a rappelé avoir mené en 2019 une étude pour soutenir les producteurs audiovisuels issus des territoires d'Outre-mer : "[Ils nous ont dit que] lorsqu'ils proposaient des films à des chaînes nationales on leur demandait ouvertement de lisser les images, de supprimer les accents, de sous-titrer alors que tout était compréhensible en Français."

"Cessons de nous positionner en victimes"

Quelques députés se sont opposés au texte. C'est le cas d'Emmanuelle Ménard : "J'aime beaucoup les accents et je soutiens leur promotion", a dans un premier temps expliqué la députée non inscrite de l'Hérault. L'élue a cependant remis en cause "l'opportunité" d'examiner un tel texte "en pleine crise sanitaire", pendant "une crise économique majeure" et alors que la France "fait face à toute une série d'attentats terroristes". 

Emmanuelle Ménard a surtout critiqué l'esprit de la proposition de loi, qui "se contente d'agir de façon coercitive" et "met sur le même plan la discrimination en fonction d'un handicap et une discrimination par l'accent" : "Cessons de nous positionner toujours en victimes."

On a Premier ministre qui a un accent, Jean-Michel Aphatie dans les médias en a un, dans les chanteurs on a Francis Cabrel. Emmanuelle Ménard

"Il y a aussi beaucoup de journalistes qui sont barrés dans leur carrière", a rétorqué le député apparenté MoDem des Pyrénées-Atlantiques Vincent Bru. Ce dernier regrette que certaines personnes soient cantonnés à des rôles de critiques culinaires, de présentateurs météo ou de journalistes sportifs spécialisés dans le rugby.

Lassalle ne veut pas "la charité"

"Je ne veux pas demander la charité, je ne veux pas demander à être protégé", a pour sa part affirmé Jean Lassalle (Libertés et Territoires). L'élu des Pyrénées-Atlantiques, qui a pourtant reconnu avoir "souffert" des discriminations liées à son accent, n'a pas soutenu le texte.

Il a en revanche demandé la mise en application de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires (la France a signé cette charte en 1999 sans la ratifier).

"Dans les faits, les personnes qui souffrent ont également besoin d'être protégées", lui a répondu Maina Sage. La députée de Polynésie Française a dénoncé une "forme de racisme classique, presque rentrée dans les moeurs".

"La République doit protéger"

Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a reconnu qu'il était parfois difficile de prouver une discrimination. Mais le Garde des sceaux, qui a soutenu le texte, estime que "la République se doit de protéger les uns et les autres".

Avant de conclure : "Ce n'est sans doute pas une révolution mais, sur le terrain du principe, il me semble important que personne ne soit discriminé à raison de son accent."