IVG : les députés se prononcent pour l’allongement des délais

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IVG commission des affaires sociales
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 30 septembre 2020 à 17:27, mis à jour le Mercredi 3 février 2021 à 12:55

Une proposition de loi examinée à l'initiative du groupe « Écologie Démocratie Solidarité », et portée par la députée du Val-de-Marne Albane Gaillot, a été adoptée, mercredi, en commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale. Le texte, qui vise à « renforcer le droit à l’avortement », sera débattu dans l’hémicycle le 8 octobre.

Une fois n'est pas coutume, la proposition de loi visant à approfondir le droit à l'IVG a été votée par une coalition transpartisane au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée.

Albane Gaillot avait déposé cette proposition de loi en juillet dernier. Entre-temps, la mission d’information sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse avait rendu ses conclusions, formulant vingt-cinq recommandations, afin de fluidifier le parcours des femmes qui ont recours à l’avortement, et de mettre fin aux barrières auxquelles elles se heurtent. Accompagnées de la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, Marie-Pierre Rixain (LaREM), les co-rapporteures de la mission Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) et Cécile Muschotti (LaREM), avaient indiqué le 16 septembre dernier vouloir déposer une proposition de loi issue de leurs travaux, tout en n’excluant pas de voter un texte qui irait dans le même sens que leurs préconisations si ce dernier était inscrit plus rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée. C’est le cas de la proposition de loi que le groupe « Écologie Démocratie Solidarité » a décidé de porter dans le cadre de sa « niche parlementaire  ». Ce texte répondant à la plupart des points de blocage posés par la mission et convergeant dans les solutions avancées pour y remédier.

« Il ne s’agit pas là d’ouvrir un grand débat bioéthique, mais bien de lever ensemble ces freins pour faire en sorte que l’IVG soit un droit effectif, réel, pour les femmes d’aujourd’hui ». Cécile Muschotti (LaREM)

Si la proposition de loi déposée en juillet comportait à l’origine sept articles, elle a été réduite à deux articles dans le cadre de la niche EDS, notamment pour permettre à la majorité d’enrichir le texte au moyen d’amendements, et donc d'être partie prenante de cette initiative dont l'adoption ne pouvait être assurée que par une adhésion massive du groupe « La République en marche ». Une logique transpartisane présente dès le dépôt de la proposition de loi, puisqu’elle avait été co-signée par Elsa Faucillon (GDR), Clémentine Autain, Caroline Fiat et Danièle Obono (LFI) ou encore les députés LaREM Patrick Vignal et Éric Poulliat.

« Non cette proposition de loi n’est pas celle d’un parti », a déclaré Albane Gaillot dans son propos liminaire, « non cette proposition de loi n’est pas celle d’une faction politique donnée, non cette proposition de loi n’est pas la mienne (…) Cette proposition de loi est bien celle de toutes et tous dans l’intérêt de toutes les femmes ». La députée, comme d’autres, n’a par ailleurs pas manqué de saluer « le travail approfondi » de la délégation aux droits des femmes.

 

Allongement des délais de douze à quatorze semaines pour les IVG chirurgicales

Albane Gaillot s’est appuyée sur des chiffres pour motiver l’article premier du texte, visant à allonger de deux semaines le délai actuel permettant de recourir à l’IVG. Alors que 5% des avortements auraient lieu entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, entre 3000 et 5000 femmes seraient contraintes d’avorter à l’étranger chaque année. Un phénomène qui a des causes plurielles, à commencer par un manque d’offre de soins, de nombreux centres d’orthogénie ayant fermé leurs portes au cours des dernières années, et les praticiens s’avérant de moins en moins nombreux à pratiquer des IVG.

Alors que le planning familial et les associations féministes demandent la mise en place de cette mesure d’allongement des délais depuis plusieurs années, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol s’était heurtée à une fin de non-recevoir, en mai dernier au Sénat, lorsqu’elle avait voulu faire voter cette disposition, arguant des difficultés exacerbées pour les femmes à accéder à une prise en charge rapide en période de crise sanitaire.

« C’est en comparaison aux législations de nos voisins européens, et en l’absence d’un consensus clair sur une définition scientifique qui permettrait de déterminer réellement à quel moment le fœtus devient un enfant à naître, que votre proposition de loi me paraît équilibrée. Il demeure quand même qu’à partir de 24 semaines, le fœtus serait considéré comme viable, et il est important de le garder en mémoire, les 14 semaines doivent absolument rester notre limite », a déclaré la députée « Les Républicains » Marine Brenier. L’allongement de douze à quatorze semaines pourrait d’ores-et-déjà concerner 2000 femmes par an.

 

Suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG

L’article 2 de la proposition de loi propose d’abolir la double-clause de conscience, et d’instaurer une obligation d’informer et de réorienter les patientes en demande d’IVG pour les médecins objecteurs, et ce dès la première visite. Une disposition qui, Cécile Muschotti l’a rappelé, ne touche en rien à la clause de conscience « générale », ouverte à tous les médecins pour tout acte médical. Ces derniers pourront donc continuer à refuser de réaliser des avortements. Mais pour Albane Gaillot, la clause spécifique « contribue à maintenir l’IVG dans un statut d’acte médical à part, (…) comme si le législateur tenait tantôt à culpabiliser les femmes, tantôt à décourager les professionnels de santé ». En mettant fin à cette clause redondante, il s’agit bien pour la rapporteure de « faire évoluer les mentalités ».

Une mesure largement soutenue, notamment dans les rangs de la gauche. Caroline Fiat (LFI) a dénoncé une « clause de conscience stigmatisante qui n’a pas lieu d’être », quand le député communiste Pierre Dharréville a parlé d’« archaïsme ».

Delphine Bagarry (EDS), a quant à elle estimé que la clause de conscience spécifique entretenait « la petite musique de la femme considérée comme frivole, irresponsable ou immature », et évoqué un « anachronisme ». Elle a, par ailleurs, argué qu’il n’existait pas de clause de conscience spécifique dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti concernant la pratique de la sédation profonde.

La mesure a cependant suscité des critiques à droite, Thibault Bazin (LR) ayant défini l’IVG comme « un acte d’une nature particulière », et justifiant l’existence d’une double-clause pour un procédé qui comporte une « spécificité ». Le député issu des rangs du Rassemblement national Sébastien Chenu a, de son côté, déclaré : « je suis attaché à ce droit mais le cadre doit demeurer solide et pas élastique », avant d’évoquer un risque de « banaliser » l’IVG en ôtant la clause de conscience spécifique. Il a terminé son propos en précisant qu’à titre personnel, il ne soutiendrait pas le texte. Le groupe « UDI et Indépendants » s’est également prononcé contre la proposition de loi, tandis que le groupe « Libertés et Territoires » l'a soutenue. 

 

Une adoption au-delà des clivages politiques

Tout en rappelant que chacun ferait son propre choix au sein de son groupe, la députée « Les Républicains » Marine Brenier a indiqué qu’elle voterait la mesure, et même le texte dans son ensemble. Selon elle, la double-clause « stigmatise injustement une femme qui prend déjà une décision très difficile ».

Perrine Goulet, apparentée au groupe MoDem, a également souligné que les membres de sa famille politique voteraient « en leur âme et conscience », mais que la concernant, elle se prononcerait en faveur de la proposition de loi.

Le groupe majoritaire a également validé le texte, notamment par la voix de Guillaume Gouffier-Cha, membre de la délégation aux droits des femmes, qui a constaté des freins persistants à l’IVG, « pour contraindre les femmes, les empêcher, les faire culpabiliser ».

Comme prévu, le texte a été enrichi au moyen d’amendements portés par les co-rapporteures de la mission d’information relative à l’IVG. L’un d’entre eux prévoit la formation des sages-femmes à l’IVG dite « instrumentale ».

Adoptée en commission, la proposition de loi sera examinée le 8 octobre dans l’hémicycle de l'Assemblée. Selon les mots d’Albane Gaillot, le vote de ce texte permettrait de « perpétuer, améliorer et approfondir l’esprit de la loi Veil », qui fête ses 45 ans.