Immigration : tour d'horizon des amendements déposés par les députés sur la version sénatoriale du projet de loi

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Illustration amendements sur le projet de loi Immigration - 27/11/2023
par Maxence KagniSoizic BONVARLET, le Lundi 27 novembre 2023 à 14:55, mis à jour le Mardi 28 novembre 2023 à 12:20

Alors que l'examen du projet de loi relatif à l’immigration débute, ce lundi 27 novembre, en commission des lois, les services de l'Assemblée nationale faisaient état, à la mi-journée, d'un peu plus de 1 680 amendements déposés par les députés, tous groupes politiques confondus, sur la version du texte adoptée par le Sénat. Tour d'horizon des amendements qui vont être discutés toute la semaine en commission. 

Étoffé selon les uns, alourdi selon les autres, durci de l'avis général... Lors de son examen au Sénat, le projet de loi "pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration" est passé d'une vingtaine d'articles à un peu moins de cent, avec un équilibre général du texte largement modifié. Dès ce lundi 27 novembre à 16h, c'est à partir de la version du Sénat que la commission des lois de l'Assemblée nationale va travailler. Pour ce faire les députés ont déposé un peu plus de 1 680 amendements. C'est moins que les quelques 7 000 amendements qui avaient été déposés au stade de la commission sur la réforme des retraites. Ce qui ne veut pas dire que les débats seront moins forts et moins clivés. Certains groupes veulent en effet revenir à l'équilibre initial du texte, tandis que d'autres souhaitent le durcir davantage, et que d'autres encore veulent aller dans le sens exactement opposé... Tour d'horizon des amendements qui seront discutés dans les prochains jours. 

Renaissance en pointe pour rétablir l'équilibre initial du projet de loi

Avec un peu moins de 200 amendements, le groupe du parti présidentiel a pour objectif de rétablir, autant que possible, le texte présenté par le gouvernement avant son durcissement au Sénat. Ainsi, sur l'ex-article 3 - devenu 4 bis au Sénat - qui a largement cristallisé les débats jusque-là, le rapporteur général du projet de loi, Florent Boudié, propose un dispositif qui n'est, ni un retour exact à la rédaction initiale du gouvernement, ni le dispositif voté par le Sénat. Il s'agit de l'article qui traite de la régularisation - à titre expérimental et temporaire - de travailleurs sans-papiers dans les "métiers en tension"

L'exposé des motifs de cet amendement résume ainsi son objectif : "Ce dispositif n’instaure ni une procédure discrétionnaire (à la seule main du préfet et insusceptible de recours), ni un droit automatique à la régularisation (dans la mesure où il dispose que le préfet s'oppose à cet octroi dans certaines conditions)". Pour plus de précisions à ce sujet, lire notre article, ici. Une solution qui semble convenir à la plupart des élus de la majorité présidentielle.

Un autre amendement, notamment signé par la présidente de la commission des affaires sociales, Charlotte Parmentier-Lecocq (Renaissance), vise à supprimer le remplacement de l’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale d’urgence (AMU), que le Sénat a centrée sur la prise en charge des situations les plus graves, et sous réserve du paiement d’un droit de timbre. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ainsi que le président de la commission des lois, Sacha Houlié, qui est opposé à cette évolution sur le fond, estiment par ailleurs que la mesure votée par la Chambre haute n'a pas sa place, législativement parlant, dans ce texte. 

Un autre amendement déposé par Stella Dupont (apparentée au groupe Renaissance), vise à supprimer l’alinéa ajouté par les sénateurs qui instaure des quotas en matière de politique migratoire, pour une durée de trois ans. Représentante de l’aile gauche de la majorité, Stella Dupont avait signé, aux côtés de Sacha Houlié, la tribune transpartisane parue dans Libération en septembre dernier réclamant la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les secteurs en tension. Le président de la commission des lois a, en outre, déposé un amendement destiné à supprimer l'ensemble de l'article contenant l'instauration de quotas. Concernant la régularisation des travailleurs sans-papiers, Stella Dupont propose de réintroduire l’article 3, tel que rédigé initialement par le gouvernement. 

Par ailleurs si le Sénat a adopté la mesure du texte qui proscrit la rétention administrative pour les mineurs de moins de 16 ans, un amendement de Caroline Abadie (Renaissance) propose d’aller plus loin et d’interdire le placement en centre de rétention administrative de tous les mineurs, soit également ceux âgés de plus de 16 ans. À noter qu’un amendement déposé par Erwan Balanant (Démocrate), souhaite étendre cette interdiction pour les familles avec mineurs et les femmes enceintes. 

Une tenaille exercée par les groupes Démocrate et Horizons ?

L’aile gauche de Renaissance se voit rejointe sur plusieurs amendements par le groupe Démocrate, en particulier pour détricoter la version du texte infléchie par les sénateurs. Les députés du MoDem n’ont pas caché, ces derniers jours, leur intention de participer à ce que le texte retrouve son "équilibre" initial. Le partenaire de Renaissance s’est ainsi joint au dépôt d’amendements de suppression, identiques et transpartisans, afin d’écarter les ajouts du Sénat visant à remplacer l'Aide Médicale d'État (AME) par une Aide Médicale d'Urgence (AMU), ainsi qu'à revenir sur le durcissement des conditions d’octroi d’un premier titre de séjour "étudiant" ou de délivrance d’un titre de séjour "étranger malade".

Faisant valoir que ce titre de séjour "étranger malade" est une "spécificité française", le groupe Horizons - qui représente l'aile droite de la majorité - se dit, au contraire, "convaincu de la nécessité des restrictions apportées par le Sénat". S’inscrivant dans le même esprit que celui retenu par les membres de la Chambre haute, un amendement déposé par le président du groupe, Laurent Marcangeli, vise à "limiter la délivrance d’un titre de séjour ‘étranger malade’ aux seuls cas où l’état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut, de par son caractère vital et immédiat, aurait pour la personne, des conséquences d’une exceptionnelle gravité". Autre amendement de durcissement du texte proposé par le groupe Horizons : la substitution de la possibilité offerte au préfet de refuser la délivrance ou le renouvellement d'une carte de séjour à un étranger ayant commis des faits l’ayant exposé à une condamnation lourde, par une obligation.

Le chef de file des députés du parti d'Edouard Philippe, Laurent Marcangeli, a fait savoir que le texte issu du Palais du Luxembourg convenait globalement bien à son groupe, précisant : "Nous ne souhaitons pas la réintroduction de l'article 3 tel qu'il existait avant le passage au Sénat". "C'est normal, à ce stade, chacun défend ses positions, mais ce qui nous rassemble est largement plus important que ce qui nous sépare", commentait en fin de semaine dernière un député Renaissance. 

La France insoumise critique durement les sénateurs LR

Comme l'ensemble des groupes de gauche, la France insoumise défend de nombreux amendements de suppression des articles du projet de loi. Le groupe LFI se distingue toutefois en tenant des propos virulents à l'égard des sénateurs Les Républicains, dénonçant, par exemple, le "déferlement de haine auquel se sont prêtés les sénateurs LR dans leur stratégie d'amendement" et fustigeant une "panique identitaire". Selon les députés LFI, les parlementaires Les Républicains sont mus par "une logique purement électorale" : "Capter les électeurs du RN." Le groupe La France insoumise qualifié notamment d'"abjecte" la décision du Sénat de supprimer l'aide médicale d'Etat (AME) pour la remplacer par une aide médicale d'urgence (AMU). À l'opposé de cette vision, les députés LFI proposent d'inscrire dans la loi que "les pouvoirs publics français offrent aux étrangers un accueil digne dès leur entrée sur le territoire".

Les membres du groupe LFI souhaitent aussi "mettre en place la possibilité d’avoir un titre de séjour de plein droit pour tout conjoint marié ou pacsé avec un ressortissant français" et "rétablir la carte de séjour de dix ans en tant que titre de séjour de référence pour les étrangers résidant sur le territoire français". Le groupe présidé par Mathilde Panot propose également de régulariser les travailleurs sans-papiers, les étudiants étrangers et les parents d'enfants français. Autre mesure notable : la volonté d'octroyer la "protection subsidiaire en France" aux réfugiés climatiques.

Les députés Les Républicains veulent encore durcir le texte

Le groupe Les Républicains prône une ligne de fermeté sur la question migratoire. Comme le rappelle le président du parti, Eric Ciotti, dans ses amendements, les députés LR souhaitent réformer la Constitution, afin de pouvoir organiser des référendums sur l'immigration, mais envisage aussi d'affirmer, sur certains points précis, la supériorité de la loi française sur le droit européen et sur les traités internationaux.

Un amendement au projet de loi immigration propose ainsi de ne pas appliquer le "droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales" aux décisions "prises en matière de droit des étrangers en France". Plusieurs amendements des Républicains concernant les expulsions comportent dans leurs exposés des motifs la mention "cette disposition est applicable aux ressortissants algériens". Une façon de cibler l'accord de 1968 entre l'Algérie et la France, qui octroie un statut dérogatoire aux Algériens, et alors que Paris et Alger se sont récemment opposés sur la question des laissez-passer consulaires.

Les députés LR souhaitent aussi que les demandes d'asile soient réalisées "au sein de notre réseau diplomatique" et non plus "sur le sol français". Ils reprennent également une proposition de loi d'Eric Ciotti, rejetée en novembre 2022, qui crée une cour de sûreté de la République permettant d'expulser plus rapidement les étrangers délinquants. Fabien Di Filippo propose, en outre, d'expulser les étrangers inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et souhaite rendre obligatoire les examens osseux "en cas de doute sur la minorité d'un mineur non accompagné", tandis qu'Eric Pauget souhaite interdire l’accès à la nationalité française des enfants nés en France de parents étrangers en situation irrégulière et défend un amendement qui crée un délit de radicalisation permettant l'expulsion.

Dans La Tribune dimanche, du 26 novembre, dix-sept députés Les Républicains (sur 62),  parmi lesquels Julien Dive, Virginie Duby-Muller ou Philippe Juvin, se disent cependant prêts à voter le projet de loi immigration "si prévaut l'esprit du projet du Sénat" à l'issue de son examen à l'Assemblée.

Le Rassemblement national souhaite aller plus loin que la version du Sénat

Marqueur de sa politique, le Rassemblement national se prépare à réitérer ses propositions liées à l'immigration à la faveur de l’examen du projet de loi. Nombre des amendements déposés par les députés du groupe présidé par Marine Le Pen veulent ainsi aller plus loin dans le durcissement du texte que la version du Sénat. Parmi ceux-ci, un amendement prévoyant qu’un étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (OQTF), dispose désormais d'un délai de départ de quinze jours, au lieu de trente actuellement. 

Plusieurs amendements visent également à durcir les conditions du rapprochement familial, dont celui proposé par Antoine Villedieu, qui vise à conditionner l'accès à ce droit à l'absence de condamnation pour un crime ou un délit puni de plus de deux ans d'emprisonnement, de la personne résidant sur le territoire français et sollicitant la venue de membres de sa famille. Un autre amendement, dont le premier signataire est Yoann Gillet, vise à supprimer le droit du sol.

Les amendements "Unicef" du PS

Le groupe Socialistes propose, au contraire, de nombreux amendements visant à supprimer les ajouts du Sénat. Les députés du groupe présidé par Boris Vallaud ont, par exemple, déposé des amendements "suggérés par l'Unicef" ou encore France Terre d'asile, comme celui qui vise à lever les dérogations à la protection des parents d’enfants français contre l’expulsion. Les députés socialistes veulent, en outre, "proscrire tout examen de tests osseux aux fins de détermination de l’âge des jeunes" et envisagent de "créer un nouveau délit, afin de mettre un terme à des pratiques inacceptables concernant la vente de rendez-vous en préfecture pour les étrangers". Autres mesures proposées : créer un délit d’entrave au droit d’asile et interdire le placement en rétention des mineurs de dix-huit ans.  

Le groupe Socialistes souhaite également interdire la différenciation des frais d'inscription à l'université en fonction de la nationalité des étudiants et propose de "délivrer à tout étudiant étranger qui vient d'être diplômé ou à tout chercheur étranger ayant fini ses recherches un titre de séjour d'un an pour lui laisser le temps de chercher un emploi ou de créer une entreprise". Enfin, les députés socialistes sont signataires de l'amendement transpartisan visant à rétablir l'article 3 sur la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. Mais, comme annoncé, il défendent un amendement qui va encore plus loin en proposant qu'une carte de séjour pluriannuelle soit "acquise de droit par l'étranger pouvant justifier d'un CDI depuis au moins six mois".

Les Ecologistes, groupe le plus pourvoyeur d’amendements à gauche

Le groupe Écologiste, qui a déposé environ 250 amendements - à peu près le même nombre que Les Républicains à droite -, a été particulièrement prolixe quant à la problématique du regroupement familial. Un amendement dont la première signataire est Sandrine Rousseau propose ainsi de rétablir à douze mois - soit la durée en vigueur jusqu’en 2006 -, la durée de séjour permettant de demander le regroupement familial, plutôt que d’allonger, comme l’ont souhaité les sénateurs, la condition de séjour exigée de 18 à 24 mois.

Un autre amendement proposé par la présidente du groupe, Cyrielle Chatelain, vise à permettre le regroupement des couples homosexuels sur la base d’un pacte civil, quand le mariage homosexuel est interdit dans le pays d’origine. Pour les pays où un tel pacte civil n’existerait pas, l’amendement propose d’élargir l’éligibilité au regroupement familial aux couples qui ont mené une vie commune avant le départ en France. Les Ecologistes proposent en outre par amendement l’organisation d’une Convention citoyenne "sur les migrations et l’accueil digne". Enfin, Julien Bayou, co-signataire de la tribune transpartisane parue en septembre dernier, propose un amendement qui vise à "la régularisation des travailleuses et travailleurs sans papiers", qualifiée dans son exposé des motifs de "régularisation de droit".

Les députés communistes veulent régulariser les travailleurs sans-papiers

Le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), au sein duquel siègent les députés communistes, souhaite autoriser l’accès au marché du travail à tous les demandeurs d’asile dès l’introduction de leur demande, et régulariser les travailleurs sans-papiers. La députée communiste Elsa Faucillon est la première signataire d'un amendement commun aux groupes de gauche de l'ex-Nupes visant à interdire le placement d’enfants dans tous les lieux de rétention. Plusieurs amendements du groupe présidé par André Chassaigne sont d'ailleurs tirés de la proposition de loi transpartisane "visant à protéger les droits fondamentaux des mineurs non accompagnés" d'Elsa Faucillon. C'est notamment le cas de l'amendement instaurant une présomption de minorité ou encore celui généralisant "l’obtention de cartes de séjour 'vie privée et familiale' pour tous les mineurs non accompagnés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance".

Le groupe Liot veut "départementaliser" la liste des métiers en tension

Le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (Liot) n'est pas toujours unanime sur les différents points du projets de loi. Ainsi, six députés Liot proposent simplement d'aménager les "quotas" fixés par le Parlement instaurés par le Sénat, alors que d'un autre côté, Benjamin Saint-Huile souhaite "supprimer la mise en place de quotas en matière d’immigration". Autre différence : six députés du groupe souhaitent renforcer le niveau de langue exigé pour l'obtention de cartes de séjour, de résident ou de la nationalité française, contrairement à Benjamin Saint-Huile. 

Sur la question des travailleurs sans-papiers, les membres du groupe Liot sont, en revanche, d'accord pour rétablir l'article initial du texte. Ils souhaitent aussi "départementaliser la liste des métiers en tension tout en y associant les parlementaires et les élus locaux". Le groupe est également unanime dans sa volonté de supprimer l'AMU des sénateurs LR pour rétablir l'AME. Six députés proposent en revanche de supprimer des "interventions strictement esthétiques". 

Après s'être farouchement opposé à la réforme des retraites, le groupe présidé par Bertrand Pancher a montré sa volonté de dialogue sur le projet de loi relatif à l'immigration en acceptant que l'un de ses députés, Olivier Serva, soit l'un des cinq rapporteurs thématiques du texte.