Fusion des géants de l'eau : Veolia met la pression, Suez pointe les risques

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Photo d'illustration (AFP)
par Jason Wiels, le Mercredi 23 septembre 2020 à 15:03, mis à jour le Mardi 29 septembre 2020 à 17:55

Devant les députés, les patrons de Veolia et de Suez ont développé mercredi des discours contradictoires sur les conséquences d'une éventuelle fusion. Veolia, qui souhaite racheter son concurrent en s'emparant des parts détenus par Engie, indique que son offre prendra bien fin au 30 septembre.

Vieux serpent de mer, la possible fusion entre les deux géants français des services à l'environnement (traitement de l'eau et gestion des déchets) pourrait se conclure dans les prochains jours. Le grand frère Veolia souhaite avaler son rival Suez une bonne fois pour toute. "Je ne repousserai pas la date de validité de mon offre à Engie", a déclaré le PDG de Veolia, Antoine Frérot, auditionné mercredi par la commission des finances et la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

L'opportunité de ce rachat lui a été donnée au cœur de l'été lorsque Engie a dévoilé son intention de se séparer de ses parts dans Suez (33,5%). Le 31 août, Veolia a proposé 2,9 milliards d'euros pour racheter l'essentiel de ces actions (29,9%) afin, d'abord, de monter au capital de son concurrent pour mieux faire, ensuite, une offre publique d'achat globale aux autres actionnaires de Suez. Cette offre, qui ne sera donc valable que jusqu'au 30 septembre, met la pression sur la direction de Suez, hostile à l'opération, pour trouver un "plan B"

Une fusion acquisition avec l'État en arbitre

Selon Antoine Frérot, il y aurait "urgence" à conclure "le deal" avec Engie, qui étudie actuellement l'offre et sur laquelle l'État a son mot à dire, puisqu'il détient près d'un quart de l'entreprise gazière et un tiers des droits de vote. "Chaque jour qui passe, Suez vend une nouvelle activité. Hier, c'était son activité en Suède, la veille son activité en Allemagne. En août, ils ont vendu une activité en France, que nous avons rachetée en urgence : 3700 personnes, 20% des salariés [dans l'activité eau] de Suez France", a décrit le PDG de Veolia.

Veolia volerait donc au secours de son rival, pour mieux créer un champion "100% français" de l'eau et des déchets au niveau mondial : "Qui sait que le numéro 2 du secteur en Allemagne est Chinois ? Que le numéro 2 en Espagne est Chinois ?", souligne le patron du numéro 1 français, afin de mieux agiter le spectre du démantèlement par des concurrents étrangers :

Aujourd'hui, on a deux champions. Si on ne les regroupe pas, dans vingt ans on en aura zéro car on sera dépassé ! Antoine Frérot aux députés, le 23 septembre 2020

En cas d'absorption de Suez, la nouvelle entité pourrait ainsi peser "un peu moins de 5% des parts de marché au niveau mondial".

4000 emplois en sursis ?

De l'autre côté de la table des négociations, la direction de Suez a une tout autre lecture des événements. "Ce projet stratégique ne m'enthousiasme pas", a euphémisé le président de Suez, Philippe Varin, devant les députés. Pour le patron de Suez, une telle fusion signerait le "démantèlement" des activités du groupe en France. Pour éviter tout monopole, les activités eau en France de Suez seraient revendues à Meridiam, un fonds d'investissement parisien allié à Veolia dans cette opération financière. La plupart des activités déchets de l'entreprise rachetée connaîtraient le même sort.

Le nouveau paysage du traitement de l'eau et des déchets serait alors constitué d'un géant face à une myriade de petits acteurs. Au détriment de la concurrence ? C'est la menace que laisse planer l'état-major de Suez, alors que les clients des deux groupes sont les collectivités locales. Payeront-elles demain plus chers leurs prestataires ? "Nous revendiquons notre engagement dans le bien public. (...) Les équipes de Suez ne changeront pas, le prix de l'eau est décidé par la collectivité, il ne changera pas", a assuré le fondateur et président de Meridiam, Thierry Déau, aux députés.

Autre enjeu, et pas le moins sensible en pleine récession économique, la possibilité d'un plan de licenciements massif est brandi par Suez. "500 millions de réduction de coûts ne se feront pas sans toucher à l'emploi. Nous estimons que plus de 10 000 emplois sont menacés dans le monde dont 4000 en France", a souligné Bertrand Camus, directeur général de Suez. Conscient d'avoir tout à prouver sur ce sujet, Antoine Frérot a qualifié cette estimation de "fantasme mensonger""Il n'y aura pas de licenciements dans ce projet", a-t-il promis.

Les commissions des finances et des affaires économiques ainsi que la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée qui ont auditionné les acteurs de ce dossier mercredi devraient faire de même avec des représentants d'Engie et de l'Agence des participations de l'État dans les prochains jours.