Fin de vie : le sermon des responsables religieux devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale

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Cultes religieux LCP 24/04/2024
Les responsables religieux se sont frontalement opposés au projet de loi sur la fin de vie (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 24 avril 2024 à 19:57, mis à jour le Vendredi 26 avril 2024 à 12:35

Lors d'une table ronde organisée par la commission spéciale de l'Assemblée nationale ce mercredi 24 avril, les responsables religieux ont fait front commun contre le projet de loi sur la fin de vie, jugeant la réforme, "inopportune" et pouvant potentiellement entraîner des "dérives". Le grand rabbin de France n'ayant pas pu être présent, Haïm Korsia adressera une contribution écrite à la commission spéciale. 

Une loi "inopportune", une "rupture de civilisation", un "basculement anthropologique majeur", une "profanation de l'acte de soin"... Entendus par la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée de mener les travaux sur le projet de loi relatif à "l’accompagnement des malades et de la fin de vie", ce mercredi 24 avril, les représentants des cultes religieux ont affiché une parfaite unanimité contre la réforme.

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En l'absence du grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui n'a pas pu être présent et qui fournira une contribution écrite, les responsables religieux ont méthodiquement dénoncé l'esprit et le contenu du texte, fermement et sans concession opposés "l'aide à mourir", une appellation qu'ils jugent d'ailleurs dissimulatrice, lui préférant "euthanasie" ou "suicide assisté". "Ce qui est humain, me semble-t-il, c'est la vérité", a blâmé l'archevêque de Rennes, Pierre d'Ornellas.

"Un modèle qui rompt une digue essentielle"

Tous les intervenants ont alerté contre ce qu'ils identifient comme une transformation sociétale radicale, allant à l'encontre des valeurs de leurs cultes. Ce projet de loi "nous fait basculer dans un modèle qui rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société, voire de notre civilisation : celui de l'interdit de tuer", s'est inquiété le vice-président de la Conférence des évêques de France et archevêque de Tours, Vincent Jordy.

"L'euthanasie ou le suicide assisté, dont l'intention est de directement tuer, de faire mourir, constitue une rupture absolue de l'éthique médicale", a complété Sadek Beloucif, représentant de la grande Mosquée de Paris. Pas moins sévère, l'envoyé de  l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Carol Saba, a mis en garde contre un "dérapage éthique" et une "forme de rupture de civilisation".

La liberté est illusoire quand l'esprit est captif d'un processus morbide. Pierre Jova, auteur, cité par l'archevêque de Tours, Vincent Jordy

Au-delà du geste même de donner la mort, qu'ils condamnent, les représentants des cultes religieux craignent l'impact de la loi et ses conséquences qui toucheront, selon eux, certaines populations en particulier. "Comment éviter la banalisation, une pression sociale qui pourrait pousser les personnes précaires et fragiles à penser qu'elles sont de trop ?", a questionné Vincent Jordy, qui redoute que les strictes conditions d'accès à l'aide à mourir finissent par s'affaiblir. "L'offre crée la demande."

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Les responsables religieux ont fait part de leur volonté de privilégier l'accompagnement des patients, en mettant l'accent sur les soins palliatifs, insuffisamment développés et que le gouvernement s'est engagé à renforcer via une stratégie décennale en parallèle de la mise en place d'une aide à mourir. Ils ont également regretté la réforme dont l'examen s'engage au Parlement, alors que la loi Claeys-Leonetti n'est pas pleinement mise en œuvre. "Actuellement le cadre posé n'est pas exploité dans ses pleines potentialités", a souligné le président de la Fédération protestante de France, Christian Krieger. Exprimant une philosophie particulière, le co-président de l'Union bouddhiste de France, Antony Boussemart, a pour sa part plaidé pour une meilleure éducation à la mort, l'assimilant à un "moment de vie".

La sédation, "ce n'est pas la mort"

Plusieurs députés se sont étonnés de cette défense de la loi Claeys-Leonetti qui permet et clarifie pourtant l'usage de la "sédation profonde". "Ce n'est pas une aide à mourir ?", a demandé la co-rapporteure du projet de loi, Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance). "Avec la sédation, l'intention est le soulagement, ce n'est pas la mort", lui a rétorqué Sadek Beloucif. Un point de vue appuyé par Philippe Juvin (Les Républicains), qui a expliqué avoir pratiqué la sédation profonde sur son père. "Et je ne l'ai pas tué, je l'ai aidé. La différence est fondamentale. Ceux qui n'ont pas compris ça, n'ont pas compris la loi Claeys-Leonetti."

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Jérôme Guedj (Socialistes), "heurté" par des propos tenus par Carol Saba, a pour sa part tenu à réaffirmer le droit de légiférer du Parlement "sur tous les sujets". "Nous dire que nous n'avons pas le droit de légiférer [sur la mort] choque dans cette enceinte", a déclaré le député. "Entendre la parole des représentants des cultes est utile et légitime dans le débat public", mais "la foi ne dicte pas la loi", a-t-il ajouté sur X. 

Un autre témoignage a marqué les échanges de l'après-midi, celui de Sandrine Rousseau (Ecologiste). "Ce qui me choque, ce qui est absent de vos mots, ce sont les souffrances de ces personnes", s'est émue la députée, qui a confié avoir accompagné sa mère dans sa décision de mourir. "Elle s'est suicidée, et j'étais présente. [...] Qui étais-je pour juger de son état à ce moment-là ?"

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La commission spéciale sur le projet de loi relatif à la fin de vie poursuivra ses auditions préparatoires à l'examen du texte jusqu'à la semaine prochaine. A partir du 13 mai, les députés de la commission étudieront les articles du projet gouvernemental et les amendements déposés sur celui-ci. Puis, le texte sera débattu, en première lecture, à partir du 27 mai dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.