Envahissement du Capitole : et si c'était l'Assemblée nationale ?

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15 mai 1848
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 7 janvier 2021 à 11:11, mis à jour le Jeudi 28 juillet 2022 à 17:15

Le Capitole, qui abrite l'organe législatif américain, a été envahi mercredi 6 janvier par des militants favorables au président en exercice Donald Trump. Et en France ? L'Assemblée nationale a-t-elle déjà été forcée par des manifestants ? Et si cela devait arriver un jour, quelles sont les mesures prévues en cas d'impossibilité d'accès au Palais Bourbon ?

Un envahissement de l'Assemblée par la foule. Cette menace, en tout temps prise au sérieux par le sommet de l'État, n'est pas qu'une hypothèse. Il existe en France des précédents historiques au cours desquels des insurgés sont parvenus à braver l'enceinte du Palais Bourbon. Sans parler de la Révolution, le cas s'est produit à plusieurs reprises depuis un siècle et demi. 

Un peu d'histoire...

Lors des Journées de février 1848, alors que le roi Louis-Philippe perd le contrôle de la situation, le Palais Bourbon est envahi le 24 février par les révolutionnaires. Le même jour, un gouvernement provisoire républicain se substitue à la Monarchie de Juillet.

À peine trois mois plus tard, le 12 mai 1848, l'Assemblée constituante fraîchement élue interdit aux clubs de venir présenter des pétitions à sa barre. Parallèlement, les Républicains parisiens expriment leur colère contre l'immobilisme du ministère des Affaires étrangères, lequel refuse son aide aux révolutionnaires polonais (alors durement réprimés par les troupes prussiennes).

Le 15 mai 1848, une manifestation populaire au départ de la Place de la Bastille et se rendant à la Concorde, décide de porter cette revendication. Les clubs, qui en font partie, contreviennent alors à l'interdiction qui les vise en envahissant la Chambre et en y déclamant une pétition en faveur de la Pologne. L'Assemblée nationale est déclarée dissoute. La manifestation se rend ensuite à l'Hôtel de Ville pour constituer un gouvernement insurrectionnel. Le préfet de police de Paris intime à ses troupes de ne pas intervenir contre le cortège. Cela lui vaudra d'être démis de ses fonctions. Les organisateurs de la manifestation sont eux arrêtés et emprisonnés après le siège de l'Hôtel de Ville par la Garde nationale. Le mouvement républicain progressiste de la Deuxième République, incarné notamment par Louis Blanc, Auguste Blanqui ou encore François-Vincent Raspail, est ainsi balayé. Cette journée du 15 mai 1848, et en particulier les quelques heures où les insurgés occupèrent l'Assemblée, sont restées comme "la moins sanglante et la plus éphémère des révolutions françaises", selon les mots de l'historien Peter H. Amann.

Autre envahissement, deux décennies plus tard, marquant cette fois l'avènement de la IIIe République : le 4 septembre 1870, et suite à la défaite de l'armée française face à l'armée prussienne, qui signe la fin du Second Empire, l'Assemblée nationale est à nouveau assaillie par la foule. La République est proclamée par Léon Gambetta, au nom du peuple qui a envahi la Chambre des députés, avant de se rassembler place de l’Hôtel de Ville.

Au XXe siècle, parmi les épisodes célèbres on retiendra enfin celui du 6 février 1934. Les ligues d'extrême-droite ont alors pour objectif affiché de renverser l'Assemblée. Elles se réunissent pour ce faire devant le Palais Bourbon. Les assaillants ne parviendront cependant pas à pénétrer son enceinte. Alors que la manifestation tourne à l'émeute sur la place de la Concorde, la fusillade des forces de l'ordre fait au moins 15 morts et plus de 2 000 blessés.

Le mouvement des Gilets Jaunes 

Mais l'actualité plus récente a également failli donner le récit d'un envahissement populaire d'un lieu symbolique de la République. C'était en tout cas l'un des mots d'ordre du rassemblement des Gilets Jaunes du 17 novembre 2018, qui visait non pas l'Assemblée nationale et le pouvoir législatif, mais l'exécutif au travers du Palais de l'Élysée. Le quartier est entièrement quadrillé par la police, alors qu'environ 1200 personnes sont regroupées dans le secteur de la Concorde, non loin du Palais Bourbon. Elles seront finalement repoussées par les forces de l'ordre. Les samedis suivants, et particulièrement à l'occasion de l'acte III des Gilets Jaunes – qui donnera lieu à des images spectaculaires sur la Place de l'Étoile – le cordon de sécurité autour de l'Assemblée nationale est considérablement renforcé. Enfin le samedi 9 février, alors que les Gilets Jaunes célèbrent leur acte XIII, des manifestants convergent devant l'Assemblée nationale et tentent d'enfoncer les palissades qui la protègent, sur lesquelles est alors taguée l'inscription : "Où est l'entrée ?". Non sans mal, les forces de l'ordre dispersent les manifestants, blessant grièvement l'un d'entre eux à la main.

Pas d'intrusion dans ses murs depuis plusieurs décennies donc, mais le 23 juin dernier, c'est la statuaire de l'Assemblée nationale qui est visée. Alors que plusieurs grandes manifestations antiracistes sont organisées en réaction à l'assassinat de George Floyd aux États-Unis, et que le débat sur le déboulonnage d'effigies liées à l'esclavage et à la colonisation émerge, l'expression "Négrophobie d'État" est peinte en rouge sang sur le socle de la statue de Colbert érigée devant la façade du Palais Bourbon. Le porte-parole de la "Brigade anti-négrophobie" est alors interpellé par la police.

Et si l'Assemblée était empêchée de siéger ?

La question s'est posée récemment aux députés. Au regard de la situation exceptionnelle générée par la crise sanitaire, ils ont dû se pencher sur des mesures d'urgence à mettre en place en cas d'impossibilité de siéger au sein du Palais Bourbon. L'occasion de travailler sur plusieurs "cas pratiques", dont celui d'une occupation des lieux.

Le groupe de travail transpartisan, mené par le vice-président MoDem de l'Assemblée nationale Sylvain Waserman, a ainsi élaboré une "boîte à outils" afin de garantir que "si d'aventure le site était impraticable", les parlementaires ne soient pas entravés dans leur capacité à légiférer. Il ont identifié un certain nombre de "plans B", afin de pouvoir faire face à l'urgence.

Est notamment envisagée la signature de conventions avec des sites alternatifs. Si la salle du Congrès de Versailles "n'est pas du tout adaptée pour siéger régulièrement" selon Sylvain Waserman, le Palais des Congrès à Paris, mais aussi le Parlement européen à Strasbourg, ont été envisagés.

L'utilisation de l'outil numérique pour les débats et votes à distance est également sur la table – cette option étant à l'heure actuelle inapplicable sans modification du règlement de l'Assemblée et validation du Conseil constitutionnel préalables. Sylvain Waserman précise que les conclusions de son groupe de travail réservent cette possibilité uniquement "en cas de force majeure". Enfin, des actions en lien avec les services de sécurisation des salles informatiques sont préconisées, d'autant plus si l'hypothèse du vote électronique venait à se concrétiser.

Le vice-président de l'Assemblée nationale ne semble cependant pas craindre dans l'immédiat d'événement similaire à l'épisode américain en France, même si "pendant la crise des Gilets Jaunes, la situation a été parfois très tendue".

Image : Violation de l'Assemblée nationale par l'émeute, le 15 mai 1848. Anonyme. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris