Emploi : l'Assemblée vote en faveur de la poursuite de l'expérimentation du "CDI aux fins d’employabilité"

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Nicolas Turquois, le 18 janvier 2024. LCP
Nicolas Turquois, le 18 janvier 2024. LCP
par Maxence Kagni, le Jeudi 18 janvier 2024 à 13:40

Sur la proposition du groupe Démocrate, les députés ont fait un premier pas vers la prolongation d'un dispositif expérimental destiné aux personnes les plus "éloignées de l'emploi". Ce dispositif leur permet de signer un "contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité" (CDIE) avec une entreprise qui, dans un second temps, peut détacher ces salariés auprès d'autres entreprises pour des missions temporaires. 

Le groupe Démocrate veut "favoriser l’employabilité durable d’un public confronté à la précarité professionnelle". Les députés ont adopté en première lecture, jeudi 18 janvier, la proposition de loi "visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité" (101 pour, 17 contre). Le texte, examiné dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire des députés MoDem, vise à prolonger au-delà du 31 décembre 2023 l'expérimentation du contrat de travail à temps partagé.

Ce dispositif, inscrit dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, est, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, "une nouvelle forme de mise à disposition temporaire de salariés entre deux entreprises". Concrètement, une entreprise de travail à temps partagé embauche un salarié et le met ponctuellement à disposition d'autres entreprises pour pallier leurs besoins de recrutement. 

Contrairement à l'intérim, ce dispositif visant les personnes "éloignées d'un emploi" leur permet de signer un CDI avec l'entreprise de travail à temps partagé, ce qui leur offre "une rémunération minimale garantie entre les missions", facilite l'accès au logement et ouvre des "possibilités élargies de formation". Le salarié bénéficie en effet d'un abondement spécifique de son compte personnel de formation par son employeur.

"Plus le chômage diminue, plus il devient difficile de le réduire, non pas parce que les emplois sont pourvus (...) mais parce que les personnes en recherche d'emploi sont particulièrement éloignées de l'emploi", a expliqué le rapporteur du texte Nicolas Turquois (Démocrate), qui a également évoqué "la réticence" des employeurs "à faire confiance" à de tels profils. Jeudi, les députés ont resserré la liste des bénéficiaires potentiels du dispositif en adoptant un amendement du rapporteur.

Le CDI aux fins d’employabilité (CDIE) pourra être conclu par : 

  • les personnes inscrites à France travail (anciennement Pôle emploi) depuis au moins un an,
  • les personnes de 55 ans et plus inscrites à France travail depuis au moins six mois,
  • les personnes de moins de 26 ans ayant une formation inférieure au bac inscrites à Pôle emploi depuis au moins six mois,
  • les bénéficiaires de minima sociaux,
  • les personnes handicapées.

Une "rémunération minimale garantie"

Devant les députés, Nicolas Turquois a rappelé que "le travail à temps partagé aux fins d'employabilité obéit à des règles juridiques peu contraignantes" : "Il peut y être recouru en l'absence de motif particulier, ce qui limite le risque de requalification du contrat", a précisé le député Démocrate. Par ailleurs, "la durée des missions accomplies pour le compte de l'entreprise utilisatrice n'est pas limité par la loi, pas plus que le nombre de leur renouvellement".

Selon les conclusions de la mission flash menée en juillet 2023 par Fanta Berete (Renaissance) et Stéphane Viry (Les Républicains), plus de 7 000 contrats ont été conclus depuis le début de l'expérimentation. Au 1er juillet 2023, 2 500 contrats étaient en cours d'exécution. "45% des titulaires d'un CDI à des fins d’employabilité seraient embauchés en CDI à l'issue de leur mission", a ajouté Nicolas Turquois.

L'élu souhaitait initialement inscrire dans la loi le dispositif de façon pérenne. Lors de son passage en commission des affaires sociales, le 20 décembre 2023, les députés ont plutôt choisi de relancer l'expérimentation pendant quatre ans en adoptant un amendement de Fanta Berete et Stéphane Viry. Les deux élus estimant que l'expérimentation, qui a été perturbée par les "deux années 2020 et 2021 marquées par la crise de la Covid-19" n'a "pas permis de mesurer de manière adéquate les effets du CDI à des fins d’employabilité".

Dans l'hémicycle, les députés ont adopté un autre amendement de Fanta Berete et Stéphane Viry, qui prévoit de dispenser de préavis un salarié "à l’initiative de la rupture du contrat de travail" qui "a accepté de conclure un CDI 'classique' avec l’entreprise utilisatrice". Aucune indemnité compensatrice ne sera due ni par l'employeur, ni par le salarié. L'amendement précise également les conditions de reprise de l'ancienneté d'un salarié en CDIE définitivement recruté.

La proposition de loi a été soutenue par la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités Catherine Vautrin : "Je suis une élue locale et je suis particulièrement sensible aux solutions concrètes, éprouvées aux réalités de terrain qui répondent aux attentes de nos concitoyens", a-t-elle expliqué.

Un "nouveau contrat précaire" selon LFI

Le prolongement de l'expérimentation a été soutenue par les groupes Horizons, Démocrate, Renaissance, Les Républicains, LIOT, ainsi que par les groupes Socialistes et Ecologiste. Les groupes de gauche qui ont soutenu le texte l'ont toutefois fait avec prudence, voire une certaine réticence.

"Nous pensons aussi que le chômage est une calamité qui abîme de nombreuses vies mais l'emploi dégradé, sous-payé, sous-qualifié, sous pression est aussi une calamité qui abîme les travailleurs", a pour sa part expliqué le président du groupe Gauche démocrate et républicaine, André Chassaigne, opposé à une expérimentation aussi longue dans la durée. Le député communiste a regretté le manque de données disponibles sur l'expérimentation : "Nous ignorons beaucoup et même l'essentiel et le peu que nous savons n'est guère rassurant.

"Nous sommes le 18 janvier, vous aurez donc tenu à peu près 15 jours en 2024 avant d'essayer de nous vendre un nouveau contrat précaire", a pour sa part critiqué Hadrien Clouet (La France insoumise). Le député LFI a regretté le fait que le salarié signant un CDIE n'aura accès ni aux "avantages du CSE" (comme les tickets-restaurant), ni au bénéfice de l'intéressement ou de la participation. "Le droit qui, par exemple, peut relever des congés, de la protection des postes, des choses qui se jouent au niveau des accords de branche, ne sera pas appliqué à ces salariés", a-t-il également dénoncé , qui craint que les entreprises n'en profitent pour "s'affranchir" de leurs accords de branche.

Si ça ne marche pas pendant cinq ans, ce n'est pas parce qu'on essaie quatre ans de plus que ça marchera mieux. Hadrien Clouet (LFI)

"Il ne faut pas oublier de voir les mauvais penchants de ce nouveau contrat", a déclaré Victor Catteau pour le groupe Rassemblement national, qui s'est abstenu au moment du vote. "Les professionnels du monde intérimaire et les organisations syndicales nous ont clairement explicité que ce contrat pouvait amener à situation de concurrence déloyale et inutile avec le contrat de travail intermittent (CDII) du fait de son moindre coût et de sa simplicité", a expliqué le député RN, qui a mis en garde d'un "contrat précarisant".

Adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, la proposition de loi doit maintenant être débattue au Sénat pour poursuivre son parcours législatif.