Déclin du fret ferroviaire : le rapport de la commission d'enquête fait 28 propositions, dont l'instauration d'une écotaxe

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Chargement de contenaires en gare de Perpignan, 2021. © ARNAUD LE VU / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP
par Léonard DERMARKARIAN, le Jeudi 21 décembre 2023 à 17:50, mis à jour le Jeudi 21 décembre 2023 à 18:05

Après son adoption le 13 décembre, le rapport de la commission d'enquête sur "la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir" a été présenté lors d'une conférence de presse, mercredi 20 décembre, par le rapporteur de la commission, Hubert Wulfranc (Gauche démocrate et républicaine), et son président, David Valence (apparenté Renaissance). Le rapport formule 28 recommandations, dont l'instauration d'une écotaxe sur les poids lourds. 

Alors que l'avenir de l'opérateur historique du transport de marchandises Fret SNCF suscite l'inquiétude, le rapport de la commission d'enquête sur "la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir" - un secteur connaissant un déclin structurel depuis les années 1980, accru depuis le milieu des années 2000 - fait un état des lieux de la situation et trace des perspectives. 

Créée dans le cadre du droit de tirage du groupe Gauche démocrate et républicaine, en juillet dernier, la commission d'enquête avait le député communiste Hubert Wulfranc (GDR) pour rapporteur et le député David Valence (apparenté Renaissance) pour président. A l'issue de ses travaux, la commission fait 28 recommandations visant à relancer le fret ferroviaire, qualifié de "parent pauvre de la SNCF". Au cours de la conférence de presse, David Valence a cependant précisé que le rapport et sa publication avait certes été approuvés, mais par les seuls représentants des groupes de gauche au sein de la commission, les autres groupes ayant jugé le ton du rapport "engagé".

Le rôle de l'ouverture à la concurrence en débat

Un des enjeux au cœur de la commission d'enquête concernait notamment la responsabilité, avérée ou non, des politiques européennes de libéralisation ayant mené à l'ouverture progressive à la concurrence du secteur ferroviaire depuis le milieu des années 1990 afin de parvenir à un cadre harmonisé au sein de l'Union européenne.

Un sujet sur lequel le rapporteur et le président de la commission ont fait part d'avis divergents. Ainsi, pour David Valence, "la libéralisation du fret ferroviaire n’est pas la cause du déclin de la part modale du ferroviaire en France", celle-ci s'expliquant davantage, selon lui, par les conséquences de la désindustrialisation, la "concurrence dissymétrique avec la route" et le "problème de qualité de service de transport proposé".

Hubert Wulfranc s'est, quant à lui, montré beaucoup plus critique à l'égard de l'ouverture à la concurrence estimant que - "très mal préparée" et "mal accompagnée" - celle-ci eu un "effet délétère" sur le fret ferroviaire.

Même dans l’hypothèse où la libéralisation aurait permis d’enrayer le déclin déjà entamé, les objectifs de développement massif du fret via l’ouverture à la concurrence n’ont pas été atteints. Hubert Wulfranc (GDR)

"Compétitivité artificielle" et "pratiques inéquitables" du transport routier

En dépit de ces divergences, les travaux de la commission établissent un lien entre le déclin du fret ferroviaire et le développement parallèle du transport routier depuis le début des années 2000 : cette "massification", correspondant mieux à l'évolution du transport de marchandises, s'explique notamment par une "compétitivité artificielle", nourrie par du "dumping social" et des "nuisances" prises en charge par la collectivité (pollution, dégradation du réseau).

Selon le rapporteur, cette évolution s'explique, en outre, par des "pratiques inéquitables", fondées sur deux évitements : évitement des péages, en privilégiant des itinéraires contournant les autoroutes payantes via des routes gratuites (comme la route Centre-Europe-Atlantique) ; évitement de la fiscalité liée au carburant, plus importante en France que dans des pays situés à sa frontière. Celle-ci amène, selon le rapport, à éviter de faire le plein en France (notamment lors de trajets Espagne-Allemagne), à tel point que les transporteurs étrangers "achètent en France moins de 23% du carburant qu'ils y consomment".

Préserver Fret SNCF et retour de l'écotaxe

Face à ce constat, le rapport porte 28 recommandations pour "rétablir l’équité avec le transport routier et mieux prendre en compte le fret ferroviaire dans les politiques publiques".

Afin de favoriser le report modal de la route vers le ferroviaire, le rapport plaide pour employer deux outils : une "écotaxe nationale sur les poids lours" (voir encadré ci-dessous), défendue comme le "seul moyen de rétablir structurellement la compétitivité du train" en mettant à contribution les acteurs du transport routier. Si le projet d'écotaxe avait nourri de vives contestations menant à son abandon en 2016, "le contexte est totalement différent", juge aujourd'hui le rapporteur, évoquant une convergence des acteurs de la route et du rail pour une meilleure coordination entre les deux modes de transports. Hubert Wulfranc préconise également une réglementation renforcée envers les poids lourds, afin d'inciter au transport combiné, associant différents modes (route et ferroviaire, fluvial et ferroviaire, fluvial et route, etc.). Est notamment proposé d'"interdire le transport routier la nuit, sauf pour le transport combiné, et permettre en outre aux camions faisant du transport combiné d'exercer le dimanche" et d'"interdire la circulation des poids lourds de 44 tonnes, sauf transport combiné et véhicules zéro émission". 

Plus largement, le rapport appelle à une "revue" du fret ferroviaire pour mieux favoriser son insertion au sein des réseaux existants ou futurs (notamment via les projets France 2030 et les services express régionaux métropolitains). Face au plan, controversé, de "discontinuité" de Fret SNCF proposé par le gouvernement pour garantir la survie de l'opérateur, et critiqué par le rapporteur qui y voit un "démantèlement", le rapport recommande de garantir l'évolution des agents SNCF au sein de la structure appelée à naître, d'examiner l'éventualité de services additionnels ("durée de parcours garantie", "sillons rapides", heure de départ et d'arrivée garanties) pour majorer la redevance de base. S'opposant frontalement à la cession de flux stratégiques de Fret SNCF actuellement en cours, le rapport appelle enfin à "consolider les flux stratégiques existants" de Fret SNCF.

Recommandation n°14 : "Ecotaxe nationale sur les poids lourds" 

"Instaurer une écotaxe nationale sur les poids lourds, applicable sur les routes nationales non concédées ni mises à disposition des régions. Le tarif de l’écotaxe, de l’ordre de 3 centimes d’euro par tonne et par kilomètre, serait modulé en fonction des performances environnementales et du poids du véhicule et son produit serait affecté à l’entretien et à la modernisation des infrastructures de transport. Le processus de mise à disposition des voies concernées au profit des régions serait facilité pour les régions qui en feraient la demande. Le cas échéant, élargir cette écotaxe au réseau routier géré par les départements, sur décision du conseil départemental."