Crise sanitaire : la jeunesse plus impactée qu'il n'y paraît

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Com d'enquête Covid Jeunesse
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 16 décembre 2020 à 13:10, mis à jour le Jeudi 15 avril 2021 à 16:48

La commission d’enquête de l'Assemblée nationale "pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse" a remis son rapport, adopté à l'unanimité, ce mercredi 16 décembre. La députée communiste Marie-George Buffet, qui en est la rapporteure, évoque un manque criant de prise en compte de la parole de cette partie de la population dans le contexte des derniers mois.

S’appliquant à mesurer l’impact de la crise sanitaire sur les plus jeunes, la commission d’enquête présidée par Sandrine Mörch (La République en marche) avait amorcé ses travaux le 8 septembre dernier. Elle a procédé à de nombreuses auditions, dont celles des acteurs de la protection de l’enfance, de pédopsychiatres, de syndicats étudiants, d’enseignants, de la Défenseure des enfants ou encore, du ministre de l’Education nationale.

Des conséquences sanitaires peu connues mais bien réelles

S’il a souvent été dit, et vérifié, que la jeunesse était relativement épargnée par l’épidémie de Covid-19, la commission d’enquête note que ses conséquences indirectes sur la santé de cette tranche de la population ne sont pas négligeables. En effet, si les infections sont rares et qu’elles sont peu susceptibles de générer des formes graves de la maladie, le rapport évoque en revanche "les effets négatifs du recul de l’activité physique et de déséquilibres alimentaires", ainsi que des retards "dans la prévention et les traitements", de pathologies autres que le coronavirus. Des conséquences aux effets funestes, et plus marquées dans les milieux populaires.

En outre, le rapport évoque les implications de la crise sur la santé mentale des enfants et des jeunes adultes, liées à l’enfermement, à "un sentiment d’insécurité" en raison du risque épidémique, et à "des capacités de socialisation altérées". Le "discours culpabilisant" à l’endroit d’une jeunesse réputée indemne de la maladie, mais susceptible de la propager à grande échelle, aurait également pesé sur son moral. Enfin, le risque de dépendance lié à l’usage accru des écrans est également mis en exergue.

Pour remédier à la fois au manque de prise en charge et à la dégradation de la santé psychique des plus jeunes, figurent parmi les préconisations de la commission d’enquête l’investissement dans la médecine scolaire et les dispositifs de santé universitaire, ainsi qu’une association plus conséquente de leurs personnels. Le rapport recommande également de "modifier les campagnes de communication, aujourd’hui trop axées sur la peur et la stigmatisation". La rapporteure, Marie-George Buffet, a ainsi déploré "des erreurs dramatiques comme ces campagnes anxiogènes qui ont été développées où l'on voyait des jeunes s'embrasser, puis la grand-mère qui mourait... On a dit aux jeunes : 'vous êtes coupables !'".

Lors de la conférence de presse de présentation du rapport, Sandrine Mörch a, quant à elle, évoqué la nécessité de "faire très attention à cette parole publique qui a pu parler de génération sacrifiée", précipitant la jeunesse dans un état d'abattement moral, et de "trouver les canaux pour parler aux jeunes et se faire entendre d'eux".

Un accès à l’éducation maintenu mais des disparités mises en évidence

Pour ce qui est de l’année scolaire 2019-2020, le rapport évoque "une césure sans précédent pour les élèves" et le fait que "pour la première fois depuis la loi dite Ferry du 28 mars 1882, la scolarisation, même si le lien pédagogique avec l’extérieur était théoriquement maintenu dans tous les cas de figure, est apparue comme non obligatoire entre les mois de mai et juillet 2020". Un événement inédit qui n’a pas été sans conséquence pour les élèves, qui, à la faveur du confinement, ont dû se confronter à de nouvelles manières d’apprendre. Les familles ont été déboussolées par "la classe à la maison", et là encore, les disparités sociales se sont faites jour, notamment au regard de la fracture numérique. Si la continuité pédagogique a pu globalement être assurée, le rapport insiste sur le creusement des inégalités en la matière, sociales et territoriales, et sur un phénomène de décrochage scolaire à ne pas négliger.

Pour la première fois depuis la loi dite Ferry du 28 mars 1882, la scolarisation, même si le lien pédagogique avec l’extérieur était théoriquement maintenu, est apparue comme non obligatoire entre les mois de mai et juillet 2020. Rapport issu de la commission d'enquête

La commission d’enquête pointe par ailleurs "l’absence de rite de passage pour les jeunes de terminale", l’examen du baccalauréat n’ayant pas pu se tenir dans les conditions habituelles, et une vie universitaire entravée pour les étudiants.

Le rapport préconise la création d’un "Observatoire national du décrochage scolaire", un renforcement "des programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectif le développement des compétences numériques" et, plus globalement, de "renforcer le rôle des ressources humaines au sein de l’Éducation nationale afin d’améliorer la prise en compte de la parole de la communauté éducative". Concernant l’enseignement supérieur, il s’agirait de "pérenniser et développer les dispositifs de tutorat et de mentorat" entre pairs, afin de maintenir un lien devenu ténu au sein de la communauté estudiantine.

Des violences intra-familiales invisibilisées par le confinement

Les auditions de la commission d’enquête ont mis en lumière des situations de violence sur mineurs "beaucoup plus complexes à détecter dans le contexte du confinement, notamment à raison de la fermeture des écoles". Des faits dont la gravité, parfois exacerbée par l’incapacité de réagir suffisamment tôt, a pu atteindre des niveaux particulièrement inquiétants. Pour faciliter les signalements en période exceptionnelle telle que le confinement, le rapport préconise notamment de "compléter les dispositifs des numéros verts par la mise en place d’applications téléchargeables".

La commission d’enquête a par ailleurs été alertée sur "l’augmentation des cyberviolences, notamment via les réseaux sociaux, pendant le confinement", ainsi que sur la situation, déjà fragile, des jeunes LGBT+, plus sujets à l’isolement et à la dépression. Le rapport préconise un accompagnement plus soutenu de ce public, au travers de référents spécifiques.

La situation des mineurs non-accompagnés davantage dégradée par la crise sanitaire

Les effets de la crise sanitaire ayant été particulièrement délétères sur les catégories de population les plus vulnérables, les mineurs non-accompagnés n'ont pas été épargnés. Le confinement aurait en effet généré "la disparition d’une partie du soutien fourni par les associations." Par ailleurs, "la crise sanitaire semble avoir contribué dans de nombreux cas à une certaine paralysie de la procédure relative à la reconnaissance du statut de mineur non-accompagné pendant le premier confinement", ne permettant pas une mise à l'abri systématique de ces jeunes.

"De manière plus générale", note le rapport "beaucoup de jeunes mineurs non-accompagnés ont été cantonnés dans des hôtels sociaux ou des dispositifs dits de semi-autonomie". Ces mineurs ont alors été confrontés à des conditions de vie extrêmement précaires, sans accès au soin et esseulés dans des établissements parfois insalubres, "ne favorisant pas un accompagnement conforme aux exigences de la protection de l’enfance".

Une jeunesse particulièrement touchée par la hausse de la précarité

Si la crise a eu pour effet de creuser les inégalités sociales, les publics jeunes sont particulièrement touchés par ce phénomène. Le rapport rappelle que "les moins de 30 ans représentent près de la moitié des personnes en situation de pauvreté dans notre pays, alors qu’ils réunissent 35 % de la population dans son ensemble".

L'accès au marché du travail, déjà compliqué, s'est raréfié durant le confinement notamment en raison de la fermeture de nombreux commerces pourvoyeurs de "jobs étudiants". Par ailleurs, outre les jeunes adultes, figurent parmi les profils particulièrement touchés par la crise les familles monoparentales, dont certaines ont dû pour la première fois se résoudre à faire appel aux associations d'aide alimentaire. En outre, le rapport indique que "compte tenu des conditions d’hébergement très dégradées des personnes précaires, le confinement et l’assignation à résidence qui en découlaient ont été particulièrement éprouvants". Là-aussi, pour les familles ne disposant pas de logement, le quotidien dans les hôtels sociaux est un sujet de préoccupation réelle, non seulement au regard de conditions de vie dignes, mais aussi en matière de suivi scolaire, certains de ces hôtels ne bénéficiant pas d'une connexion Internet adaptée.

Dans ce contexte, la commission d'enquête préconise d'interdire l'expulsion des familles vivant avec des enfants mineurs. Pour les jeunes, elle souhaite ouvrir le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans. Marie-George Buffet évoque également "une aide pérenne, matérielle pour tous les étudiants", allant au-delà du système des bourses et qui s'apparenterait à une "garantie de ressource".

Plus globalement, la commission d'enquête plaide pour une prise en compte plus grande de la parole des enfants et des jeunes au sein, par exemple, d'une structure telle que le Conseil économique, social et environnemental (CESE), et pour la création d'une délégation aux droits des enfants à l'Assemblée nationale, à l'image de celle qui est dédiée aux droits des femmes.