Coronavirus : Agnès Buzyn défend sa gestion du début de l'épidémie devant la commission d'enquête de l'Assemblée

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Thomas SAMSON / AFP
par Vincent KranenJason Wiels, Maxence Kagni, le Mardi 30 juin 2020 à 17:06, mis à jour le Mardi 30 juin 2020 à 22:35

Devant les députés de la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale sur la gestion de l'épidémie de Covid-19, mardi après-midi, l'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a expliqué n'avoir pas eu de remontée d'informations sur les stocks stratégiques de masques qui se sont révélés en grande partie périmés après une inspection. Agnès Buzyn se défend de tout attentisme, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a pas immédiatement déclenché l'urgence sanitaire de portée internationale.

Pas informée de tout mais très active dès les prémices de l'épidémie, c'est la ligne tenue par Agnès Buzyn face aux députés de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la gestion de la crise du coronavirus. Sous serment, l'ancienne ministre de la Santé (2017-2020) a confié n'avoir découvert que récemment certaines informations capitales sur les capacités de réaction de la France face à une pandémie.

Pas de connaissance sur l'état des stocks stratégiques

Malgré une réunion de sécurité sanitaire tous les mercredis au ministère de la Santé "où remonte toutes les alertes de sécurité sanitaire", affirme Agnès Buzyn, aucune agence de l'Etat n'aurait signalé à son cabinet les importantes pénuries dans les stocks stratégiques sur les masques et les produits essentiels jusqu'en janvier 2020.

Devant la même commission d'enquête, l'ancien directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, a cependant quant à lui affirmé que Santé publique France et la direction générale de la Santé savaient, dès août 2018, que les stocks de masques étaient en grande partie périmés. Une information qui, selon Agnès Buzyn, n'est donc pas arrivée jusqu'à elle pendant un an et demi.

"Je n'ai pas à savoir la quantité ni disponible ni nécessaire des dizaines voire centaines de produits gérés en réponse au risque sanitaire, parce qu'ils sont extrêmement nombreux", Agnès Buzyn ancienne ministre de la Santé

Des stocks dont pas seulement les masques, mais toute une palette de produits, sont inutilisables, parfois jusqu'à "95%" selon Agnès Buzyn. Or, du fait de la crise grippe H1N1, et des reproches adressés aux gouvernants en 2010 d'en avoir trop fait, elle estime qu'il s'est créé "une forme d'attrition spontanée, parce qu'on a laissé des stocks dormants qui se sont retrouvés non conformes". D'où une frilosité de l'Etat a commandé de larges quantités de masques, surtout qu'il n'y a pas que des masques à acheter mais tout type de matériel. "En 2018, la liste des choses à acheter est importante", explique-t-elle.

Sans en avoir été avertie, selon elle, Santé publique France et la direction générale de la Santé ont alors géré la commande de masques et les dizaines de produits nécessaires dont les stocks d'Etat sont cruellement dépourvus. "Santé publique France rend des comptes au directeur général de la santé", affirme-t-elle. Pour Agnès Buzyn, la commande des 50 millions de masques, avec une option supplémentaire de 50 millions de masques, en réponse à la péremption des 600 millions des stocks stratégiques, "est de la responsabilité de l'agence" Santé publique France.

"Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque"

Tout au long de son audition, l'ancienne ministre de la Santé s'est défendue d'avoir jamais minoré la gravité de la crise. Agnès Buzyn a rappelé, à plusieurs reprises, que l'Organisation mondiale de la Santé n'avait pas immédiatement déclenché l'urgence sanitaire de portée internationale.

L'ancienne ministre est revenue sur sa première conférence de presse du 21 janvier 2020, où elle avait expliqué que pour l'épidémie de Covid-19 en Chine "le risque d'introduction en France de cas liés à cet épisode est faible, mais il ne peut pas être exclu". Aujourd'hui elle argue de sa réactivité "alors qu'il n'y a pas d'alerte de l'OMS". Elle explique que ce n'est que "le lendemain" de sa conférence de presse que la transmission interhumaine a été confirmée par l'OMS.

Le 24 janvier, les premiers cas en France sont détectés. Une prise de conscience avec un niveau "d'alerte qui monte d'un cran", assure l'ancienne ministre. Agnès Buzyn défend alors avoir pris de "multiples décisions", avec notamment un état des lieux général des capacités de l'Etat pour faire face et prendre en charge les futurs malades.

Le ministère de la Santé a alors passé une première commande le 7 février 2020. Une commande composée, selon Agnès Buzyn, de 28 millions de masques FFP2, 3 millions de gants, 200 000 charlottes pour les cheveux, 50 000 lunettes, 200 000 sur-chaussures et 100 000 litres de solutions hydroalcooliques à destination des libéraux et des Ehpad. "Ce n'est pas moi qui décide des chiffres. Moi j'acte globalement la commande. Les chiffres sont proposés par les services", précise-t-elle. Des chiffres qui se sont révélés bien faibles, face à l'intensité future de la crise, mais qui reflètent la situation de l'époque, selon l'ancienne ministre.

Des alertes de la ministre restées lettre morte ?

La candidate à la mairie de Paris pour La République en Marche, après le retrait de Benjamin Griveaux en février dernier, est revenue sur ses déclarations au Monde qui ont suscité la controverse, jusque dans son camp. Celle-ci avait assuré qu'il aurait fallu "tout arrêter" pour le 1er tour des élections municipales, une campagne qui était "une mascarade". Aujourd'hui elle a plaidé la fatigue dans une période éprouvante. 

Même mise au point sur ses déclarations où elle disait "le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein". Face aux députés de la commission d'enquête celle-ci assure désormais que "ce n'était pas une alerte formelle" mais plutôt une "discussion de salon" informelle, alors qu'il n'y avait même pas 1000 cas en Chine. "Je lui ai dit : 'Si ça se trouve, les élections ne pourront pas se tenir'", assure-t-elle. Une présentation toute autre que lorsqu'elle s'était épanchée au quotidien du soir.

D'autres anciens ministres de la Santé bientôt auditionnés

Après plus de 4 heures d'échanges, les députés ont terminé l'audition de l'ancienne ministre de la Santé, tout juste sortie d'une campagne électorale parisienne infructueuse.

Mercredi et jeudi, trois autres anciens ministres de la Santé seront également interrogés par les députés de la commission d'enquête : Marisol Touraine (2012-2017) ministre sous la présidence de François Hollande, Roselyne Bachelot (2007-2010) ministre sous la présidence de Nicolas Sarkozy et Xavier Bertrand ministre de la Santé à la fois sous la présidence de Jacques Chirac (2005-2007) et de Nicolas Sarkozy (2010-2012).

>> Revoir l'intégralité de l'audition à l'Assemblée de l'ancienne ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn