Cabinets de conseil privés : l'Assemblée a adopté le texte après l'avoir largement remanié

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Nicolas Sansu s'exprime à l'Assemblée nationale, le 1er janvier 2024.
Le co-rapporteur Nicolas Sansu (GDR) a fait part de sa "frustration" au moment du vote. LCP
par Maxence Kagni, le Vendredi 2 février 2024 à 13:45, mis à jour le Vendredi 2 février 2024 à 14:55

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 1er février, la proposition d'origine sénatoriale "encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques". Sous l'impulsion du gouvernement, les députés ont intégré à son champ d'application les collectivités locales de plus de 100 000 habitants.

Il s'agit, selon le président du groupe Démocrate Jean-Paul Matteï de "l'aboutissement d'un long processus de polémiques médiatiques et politiques". L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 1er février, la proposition de loi d'origine sénatoriale "encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques", dans une version largement remaniée (66 votes "pour", 5 "contre", 17 abstentions).

Le texte reprend certaines préconisations de la commission d'enquête sénatoriale sur "l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques". Cette commission - qui avait rendu son rapport, préparé par la sénatrice communiste Elianne Assassi, en mars 2022, soit un mois avant le 1er tour de la dernière élection présidentielle - avait notamment critiqué le recours jugé excessif par l’État au cabinet de conseil américain McKinsey. Depuis mercredi soir, la proposition de loi était examinée par les députés dans l'hémicycle de l'Assemblée, quinze mois après son adoption par le Sénat.

"Il était temps, alors même que nos concitoyens doutent, et c'est un euphémisme, de notre capacité collective à assurer et assumer la transparence et des règles déontologiques plus fortes dans tous les domaines de la vie publique", a déclaré le co-rapporteur communiste du texte Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine). Au cours des débats, le député, qui a dénoncé une "véritable addiction" de la "start-up nation" vis-à-vis des cabinets de conseil, a mis en cause le gouvernement et la majorité présidentielle : "Tout a été fait pour torpiller l'arrivée de cette discussion ici, pour amoindrir la portée du texte", a-t-il regretté. Une opinion partagée Philippe Gosselin (Les Républicains) : "Tout a été fait depuis 15 mois pour ralentir la marche des choses."

Le gouvernement veut du "pragmatisme"

C'est la nouvelle ministre chargée des Relations avec le Parlement, Marie Lebec, qui leur a répondu : "Cette proposition de loi porte sur un sujet qui a parfois conduit à l'outrance", a déclaré l'ancienne députée. En juillet, elle-même avait rendu un rapport sur les cabinets de conseil, rédigé avec Nicolas Sansu. "Nous partageons le même objectif, renforcer la puissance publique sans jamais laisser place à l'outrance mais en privilégiant toujours l'intérêt de nos compatriotes", a-t-elle expliqué. Et de rappeler, en prônant une action "pragmatique" et "objective", que les prestations de conseil payées par l’État ont "été divisées par trois entre 2021 et 2023", 

La proposition de loi interdit notamment les prestations de conseil à titre gracieux (pro bono), prohibe le recours aux cabinets de conseil pour la rédaction d'un projet de loi et donne à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) la mission de "s’assurer du respect des règles déontologiques". En commission, les députés avaient resserré le dispositif en n'intégrant, concernant les établissements publics de l’État, que les seuls établissements "dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d'euros". Et ils avaient supprimé l'application du texte aux contrats en cours : seuls ceux conclus après la promulgation de la loi seront donc concernés.

Un texte largement remanié 

Dans l'hémicycle, le texte a une nouvelle fois évolué, sous l'impulsion du gouvernement. Une méthode assez peu appréciée par Nicolas Sansu : "Quand on s'oppose à un texte, il faut aller au bout du chemin", a martelé le député, qui estime que l'exécutif et sa majorité ont tenté de "vider" la proposition de loi "sans le dire". L'une des modifications les plus notables adoptées en séance publique a pourtant été la décision d'appliquer certaines mesures de la proposition de loi aux collectivités et intercommunalités de plus de 100.000 habitants. "Si nous ne mettons pas des garde-fous, nous seront appelés dans quelques années à légiférer sur la question des collectivités", a justifié Marie Lebec.

Une mesure contestée par certains députés, y compris au sein de la majorité, Marie-Agnès Poussier-Winsback (Horizons) dénonçant la création de "nouvelles contraintes administratives". "Il aurait été préférable de prendre du recul", a déclaré Bertrand Pancher (LIOT), qui était plutôt favorable au compromis validé en commission des lois, à savoir la remise d'un rapport sur la question par le gouvernement.

Plusieurs députés ont surtout estimé que l'intégration des collectivités locales avait pour but de ralentir l'adoption définitive du texte, puisque les sénateurs y sont opposés : "Nous y voyons une manœuvre du gouvernement (...) La macronie sait très bien que ça va retarder voire annuler le texte", a notamment commenté Timothée Houssin (Rassemblement national). "Je trouve un peu grossier de la part des sénateurs d'exonérer ceux qui sont leurs électeurs des obligations nouvelles que nous créons", a réagi le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance).

Les députés ont également voté en faveur d'un amendement du gouvernement qui supprime l'interdiction du recours aux cabinets de conseil pour rédiger des études d'impact. Un amendement gouvernemental rappelle, par ailleurs, "que la HATVP est soumise à une obligation de confidentialité en ce qui concerne le secret des affaires", tandis qu'un autre supprime le pouvoir de sanction administrative accordé à la HATVP dans la première version du texte, au bénéfice de "sanctions pénales analogues".

Déclaration d'intérêts

Les députés ont, en revanche, rétabli en séance une "obligation de déclaration des intérêts détenus à date et au cours des cinq dernières années pour les cabinets de conseil, leurs sous-traitants et les consultants avant chaque prestation de conseil et le temps de celle-ci". L'obligation pour les cabinets de conseil de déclarer à la HATVP "toutes leurs actions de démarchage ou de prospection réalisées auprès des administration" a également été rétablie. Ces mesures avaient été limitées en commission. 

"Je crois qu'on a réussi à rétablir un petit peu la barre en fin de match", a salué jeudi Nicolas Sansu. L'élu communiste a toutefois fait part de sa frustration vis-à-vis de choix "pas opportuns" du gouvernement. Fruit d'un compromis, le texte a été largement voté, sans satisfaire pleinement les différents groupes politiques, Jean-Paul Matteï (Démocrate) évoquant une version qui n'est "pas parfaite", Frédéric Mathieu (La France insoumise) parlant d'une "coquille mal remplie".

Raphaël Schellenberger (Les Républicains) et Timothée Houssin (Rassemblement national) ont pour leur part estimé qu'il reviendrait au Sénat de corriger la proposition de loi en deuxième lecture. "Le texte va continuer son voyage parlementaire, il va se retrouver au Sénat, on verra bien ce qu'il en adviendra quand il reviendra chez nous", a conclu l'autre co-rapporteur, le député MoDem Bruno Millienne (Démocrate). Lors du scrutin, seul le groupe Horizons a voté contre, estimant qu'une "ligne rouge" avait été franchie en intégrant, à ce stade, les collectivités locales au champ d'application de la future loi.