Affaire Fillon : la procureure générale assure n'avoir reçu "aucune instruction" du pouvoir

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par Jason Wiels, le Jeudi 2 juillet 2020 à 12:07, mis à jour le Jeudi 2 juillet 2020 à 18:13

Trois semaines après que l'ancienne patronne du parquet national financier chargée de l'enquête sur les époux Fillon a laissé entendre avoir subi des "pressions" de sa hiérarchie, la procureure générale de Paris Catherine Champrenault récuse toute instruction venue d'en haut. Elle reconnaît toutefois avoir recommandé l'ouverture d'une information judiciaire. 

L'enquête sur l'affaire des emplois fictifs de la famille Fillon s'est-elle déroulée en toute impartialité ? Il y a quelques semaines, avant que les juges ne condamnent en première instance le couple pour détournement de fonds publics et abus de biens sociaux, Éliane Houlette, l'ancienne procureure du parquet national financier (PNF), a livré le 10 juin un témoignage troublant devant la commission d'enquête parlementaire sur l'indépendance de la Justice.

Cette figure de la lutte contre la fraude fiscale, reconnue pour ses excellents résultats et partie à la retraite en 2019, a évoqué la "pression du parquet général [de Paris]" dont dépend hiérarchiquement le PNF, lors de ses investigations sur les époux Fillon.

La magistrate a dressé une liste des "demandes de précisions", "de chronologie générale", "d'éléments sur les auditions", de "notes des conseils des mis en cause", "tout ça à deux ou trois jours d'intervalle" de la part de ses supérieurs, et cela pendant toute la phase de l'enquête préliminaire sur ce dossier sensible, en pleine campagne présidentielle.

Avant de terminer son intervention par cette phrase qui laissait place à toutes les interprétations :

Vous voyez, on ne peut que se poser des questions. Éliane Houlette, le 10 juin 2020 à l'Assemblée nationale

Les propos d'Éliane Houlette ont déclenché une telle polémique que celle-ci a dû faire préciser par son avocat le 19 juin que "l’enregistrement de [cette] audition montre que les pressions qu’elle a mentionnées ne portent pas sur les faits reprochés à M. Fillon ni sur le bien-fondé des poursuites diligentées contre lui".

Trop tard cependant pour éteindre l'incendie : "Ces propos ont distillé le doute à tort ou à raison sur l'indépendance de la Justice", a ainsi admis le 23 juin Nicole Belloubet qui a annoncé la saisine par Emmanuel Macron du Conseil supérieur de la magistrature pour faire la lumière sur d'éventuelles interférences.

"Aucune instruction" venue d'en haut

C'est dans ce contexte que Catherine Champrenault, procureure générale de Paris depuis cinq ans et en poste lors de l'affaire Fillon, a été entendue une deuxième fois, jeudi, par les députés, après une première audition le 6 février. 

Le président de la commission d'enquête Ugo Bernalicis (LFI) lui a donc directement demandé si elle avait subi ou exercé des pressions sur les magistrats chargés de l'enquête (voir vidéo en une), ce qu'a réfuté en bloc l'intéressée :

Je n'ai reçu dans l'affaire Fillon, comme dans tous les autres dossiers relevant de mon contrôle hiérarchique, aucune instruction de la direction des affaires criminelles et des grâces [DACG] ou du pouvoir exécutif Catherine Champrenault, le 2 juillet 2020 à l'Assemblée nationale

Un courrier incitant à la saisie d'un juge d'instruction

Qu'en est-il, en revanche, de la "pression" qu'aurait pu exercer le parquet général contre le PNF ? À ce sujet, Catherine Champrenault a indiqué par communiqué le 19 juin avoir organisé une "réunion de travail" le 15 février 2017 avec les équipes du PNF. La même réunion qu'évoque Éliane Houlette, où elle se dit "convoquée" par sa supérieur car "le choix procédural ne convenait pas".

À ce moment de l'affaire, la tête du PNF mène encore ses investigations à travers une enquête préliminaire. Cette phase de la procédure, comme le reconnaît Catherine Champrenault elle-même, est la marque de fabrique de sa consœur, qui essaye de faire monter par ses équipes des dossiers - souvent techniques - de la manière la plus solide possible avant de les transmettre à un juge d'instruction pour ouverture d'une information judiciaire. 

Confrontées à un désaccord de procédure sur ce point, les deux magistrates ne parviennent pas à s'accorder lors de la réunion du 15 février. La procureure générale envoie donc, deux jours plus tard, une "note" à sa subordonnée. Ce document, lu et transmis à la commission d'enquête (voir vidéo ci-dessous), insiste sur la "sécurité juridique" qu'apporterait l'ouverture d'une information judiciaire.

Catherine Champrenault a rappelé aux députés que les affaires d'emplois fictifs du monde politique étaient jusque-là traitées par le parquet de Paris pour abus de confiance. Or, le PNF a ouvert une enquête pour détournement de fonds publics, une qualification attaquée à l'époque par les avocats du couple Fillon, qui ont dès lors cherché à annuler la procédure.

C'est donc pour un motif purement juridique, pour contrer tout risque de "nullité" du dossier, selon Catherine Champrenault, que la demande de recourir "à brève échéance" à l'ouverture d'une enquête a été formulée.

"J'ai quand même l'impression que ça ressemble à une instruction sans en être une...", a ironisé Ugo Bernalicis devant la révélation de cette note, qui n'a pas été versée au dossier des prévenus. Or, les "instructions écrites" doivent être retracées dans le dossier selon le Code de procédure pénale. C'est d'ailleurs en arguant qu'un tel courrier pouvait s'apparenter à une instruction officielle que les avocats du couple Fillon ont tenté d'obtenir, en vain, le report du jugement de leurs clients le lundi 29 juin.

"Je sens bien qu'on voudrait me faire dire qu'on a ouvert une information pour faire démissionner M. Fillon...", a déploré Catherine Champrenault, répétant que le choix de procédure "posait une vraie difficulté juridique".

Finalement, une information judiciaire sera ouverte le 24 février 2017 par le PNF, avant tout pour des raisons de "prescription des peines", a assuré Éliane Houlette. Une nouvelle loi tout juste entrée en vigueur venait en effet de fixer à douze ans le délai de prescription des faits reprochés au candidat de la droite à l'Elysée, certains de ces faits remontant à 1998. François Fillon sera ensuite mis en examen le 14 mars 2017, un peu plus d'un mois avant le 1er tour de l'élection présidentielle.