VTC, livraisons : une loi pour "encadrer" les relations entre travailleurs et plateformes

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Arnaud Paillard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Vendredi 24 septembre 2021 à 11:48, mis à jour le Vendredi 24 septembre 2021 à 12:08

L'Assemblée nationale étudie en première lecture un projet de loi visant à "favoriser le dialogue social" entre les travailleurs et les plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo. La droite dénonce une "étatisation" du dialogue, tandis que la gauche redoute la création d'un "précariat massif".

Comment mieux protéger les personnes qui travaillent pour des plateformes comme Uber et Deliveroo ? Les députés examineront mardi 28 septembre, en séance publique, le projet de loi ratifiant "l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes". 

Le texte a pour but, selon la ministre du Travail, Elisabeth Borne, "de renforcer les droits et d'améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes" de transport et de livraison, comme Uber, Deliveroo ou encore Uber Eats. 

Lors de l'examen du projet de loi par la commission des affaires sociales, mardi 21 septembre, la ministre a précisé que son objectif était de "poser une brique de plus pour la construction d'un dialogue social" entre les acteurs d'un secteur encore "trop souvent" marqué par des relations "déséquilibrées". Loin de condamner le "fort développement des plateformes numériques", Elisabeth Borne a salué devant les députés "une véritable opportunité économique créatrice d'emplois".

"Par la négociation collective, nous souhaitons mettre les travailleurs concernés en situation de définir les situations les plus adaptées à un univers de travail très spécifique et encore en pleine mutation", a complété Elisabeth Borne. Même si aucune statistique officielle n'existe actuellement, le texte concerne potentiellement "plusieurs centaines de milliers" de personnes, a expliqué la rapporteure du texte Carole Grandjean (La République en marche).

Une élection de "représentants"

Le texte ratifie une ordonnance d'avril 2021. Il prévoit que des représentants des travailleurs seront désignés lors d'une élection nationale à tour unique, par voie électronique. L'élection aura lieu tous les quatre ans et sera contrôlée par une nouvelle structure, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE).

Les représentants des travailleurs auront un droit à une formation, à des heures de délégation, mais aussi à une "indemnisation forfaitaire destinée à compenser leurs pertes pendant ces périodes". La première élection sera organisée "au début de l'année 2022", a précisé Elisabeth Borne.

Les futurs représentants des travailleurs seront protégés : la rupture de leur contrat les liant à une plateforme sera "soumise à l'autorisation administrative préalable" de l'ARPE.

"Renforcer les obligations"

Le projet de loi habilite également, dans un délai de douze mois, le gouvernement à prendre "par ordonnance toutes les mesures [supplémentaires] nécessaires à l’organisation du dialogue social entre ces représentants et ceux des plateformes".

Il pourra notamment "fixer les règles encadrant la négociation entre les organisations" ou encore "renforcer les obligations applicables aux plateformes". "Demain, les travailleurs indépendants et les plateformes pourront conclure des accords notamment sur une rémunération minimale, sur la formation professionnelle, sur la santé au travail", a également affirmé Elisabeth Borne.

Le gouvernement pourra aussi compléter les missions de l'ARPE afin de lui confier le rôle de "fixer la liste des organisations représentatives des plateformes et d’homologuer des accords de secteur". La nouvelle autorité aura aussi "un rôle de médiation". Elisabeth Borne espère que "ce cadre de dialogue social" sera finalisé avant le début de l'année 2022.

Le gouvernement défendra par ailleurs un encadrement européen du secteur, un sujet qu'il entend pousser lors de la présidence française de l'Union européenne, qui doit débuter le 1er janvier 2022.

"Institutionnaliser l'ubérisation"

Elisabeth Borne a précisé que le projet de loi correspondait à "l'état d'esprit du gouvernement vis-à-vis" des plateformes numériques : "Renforcer la protection des travailleurs des plateformes sans chercher leur requalification automatique en salariés, ce que beaucoup ne souhaitent pas."

"Vous êtes en train d'être du côté des plateformes et pas du côté des travailleurs", a réagi Boris Vallaud (Socialistes), qui a dénoncé "l'optimisation sociale et fiscale" opéré par les plateformes. L'élu a fustigé la "curieuse" attitude du gouvernement : "Encore récemment, la justice française a accordé la requalification des [travailleurs] en salariés en constatant [que] leur indépendance [était] fictive", a ajouté Boris Vallaud, qui a évoqué des décisions similaires provenant des tribunaux "en Californie, en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas".

"En construisant ici un cadre spécifique à cette activité, le gouvernement entérine le fonctionnement actuel de ces plateformes et institutionnalise l'ubérisation", a pour sa part regretté Adrien Quatennens (La France insoumise), qui a dénoncé "un pas de plus vers la création d'un précariat massif" et d'un "statut tiers d'indépendant" à "rebours du modèle de salariat stable".

Stéphane Viry (Les Républicains) a exprimé un point de vue totalement différent : "Être un travailleur indépendant c'est un choix, c'est une conviction", a déclaré le député, qui s'interroge sur la nécessité "d'assujettir" les personnes concernées "à des stigmates rappelant le contrat de travail". Il a également dénoncé "une forme d'étatisation du dialogue social".