Trafic d'organes : une proposition de loi visant la Chine débattue et rejetée

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Frédérique Dumas
par Soizic BONVARLET, le Vendredi 4 février 2022 à 11:22, mis à jour le Vendredi 4 février 2022 à 19:11

Deux semaines après l'adoption d'une proposition de résolution reconnaissant et condamnant le génocide des Ouïghours, les députés se sont penchés, vendredi 4 février, sur un texte relatif aux prélèvements forcés d'organes que la Chine en particulier est accusée de pratiquer. Présenté dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire réservée au groupe "Libertés et Territoires", la majorité a jugé le texte "inopérant".

Alors que s'est déroulée, vendredi 4 février, la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, que certains pays, à l'instar des États-Unis, ont choisi de boycotter en raison "du génocide et des crimes contre l’Humanité en cours au Xinjiang", les députés ont examiné, ce même jour, un texte touchant aux exactions de la Chine vis-à-vis de certaines minorités et de ses prisonniers politiques.

En effet, si la proposition de loi "visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens" ne fait jamais mention de la Chine dans aucun de ses articles, son exposé des motifs y est presque entièrement consacré. Car Frédérique Dumas (Libertés et Territoires) l'a rappelé : "le 14 juin 2021, des experts de l'ONU ont reconnu être très alarmés par les rapports 'crédibles', selon leurs termes, qu'ils ont reçus sur la pratique de prélèvements forcés d'organes en Chine sur des prisonniers issus de minorités ethniques, linguistiques et religieuses". Parmi les populations concernées figureraient les Ouïghours, les Kazakhs, ou encore les Tibétains.

Le cas particulier de la Chine

Si le trafic d'organes n'est pas propre à la Chine, Frédérique Dumas souligne le caractère singulier du phénomène dans ce pays, qui n'est pas "principalement le fait d'organisations mafieuses et criminelles". Ces actes seraient en effet "organisés, institutionnalisés, encouragés directement par l’État", et ce alors que "la Chine est l'un de nos principaux partenaires dans le domaine médical, de la santé et de la recherche".

Sa proposition de loi visait à instaurer un "devoir de vigilance effectif et concret" dans le cadre des conventions de coopération internationale conclues par les établissements de santé français avec des institutions étrangères. Il s'agirait en l'occurrence de procéder à des vérifications a priori et a posteriori de la conformité de leurs pratiques avec les principes éthiques français, en édictant des garanties opposables.

Une préoccupation partagée par plusieurs instances, Frédérique Dumas ayant rappelé que "le 31 janvier, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a voté une résolution qui recommande notamment que les États parties fassent preuve d'une grande prudence en ce qui concerne la coopération avec le China Organ Transplant Response System et la Croix Rouge chinoise."

La députée des Hauts-de-Seine a, par ailleurs, souhaité éclairer ses collègues sur l'ampleur du phénomène et le faisceau d'indices qui mettent en cause la Chine. Selon plusieurs enquêtes internationales qu'elle a relayées, ce sont entre 60 000 et 100 000 greffes qui y seraient réalisées chaque année, contre 19 000 selon les chiffres officiels. Les délais pour les obtenir seraient très courts : en moyenne quatorze jours, contre deux à trois ans en France. La plupart seraient réalisées sans que ne soient tracés la source ou le consentement préalable de la personne prélevée. Par ailleurs, des examens médicaux, des scanners d'organes réguliers seraient pratiqués sur les détenus, selon les témoignages des rescapés des camps eux-mêmes.

Les oppositions coalisées en faveur du texte, le gouvernement sceptique

"Le gouvernement tient à rappeler qu'il partage évidemment la préoccupation de Madame la rapporteure, quant au respect des principes éthiques afférents au don, au prélèvement et à la greffe d'organes par nos partenaires internationaux non européens" a déclaré le secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé, Adrien Taquet. Le gouvernement n'a cependant pas accordé son soutien au texte, évoquant à propos de sa visée principale un pouvoir d'investigation et d'inspection dont les établissements français ne disposeraient pas. "Aucune filière de trafic d'organes impliquant des ressortissants français en Chine n'est répertoriée à ce jour", a souligné le secrétaire d’État ajoutant : "il existe encore moins de tourisme de la transplantation depuis la France vers la Chine".

"Je ne vous parle pas de filières dans lesquelles seraient impliquées des Français, je ne vous parle pas de Français qui se rendraient en Chine", a répondu Frédérique Dumas à Adrien Taquet. "Je vous parle de nous rendre indirectement complices de ce qu'il se passe en Chine via nos conventions bilatérales".

Le secrétaire d’État a, par ailleurs, rappelé que l'Assemblée avait adopté la semaine dernière le projet de loi de ratification de la Convention européenne dite de "Compostelle", contre le trafic d'organes. Il a ensuite bénéficié du soutien de plusieurs membres de la majorité, dont Michèle de Vaucouleurs (MoDem), qui a considéré que le texte "pourrait paralyser les processus de partenariats internationaux en matière de santé et de recherche, sans pour autant permettre d'atteindre l'objectif fixé, la cessation des activités de prélèvements forcés d'organes". Elle a ainsi qualifié le procédé de contrôle accru proposé par le texte de "plus inopérant qu'impactant". Jean François Mbaye (La République en marche) a quant à lui estimé que "seule une approche multilatérale, concertée (...) permettra de mettre un terme aux pratiques dénoncées", avant de présenter des amendements de suppression à chaque article de la proposition de loi.

"Le principe de précaution doit l'emporter", a pour sa part considéré Eric Coquerel (La France insoumise), dont le groupe s'était abstenu lors du vote sur la proposition de résolution relative au génocide des Ouïghours. Le député de Seine-Saint-Denis a loué un texte "concret", ne se contentant pas d'édicter de grands principes, avant de souligner la "contradiction" de la majorité, en lien justement avec le vote de la résolution, contradiction qui selon lui, "pourrait même s'appeler démagogie".

Le soutien au texte de l'ensemble des groupes d'opposition n'a pas suffi à le faire adopter, les amendements de suppression de La République en marche ayant tous bénéficié d'une majorité, rejetant de fait la proposition de loi.