Sarah Halimi : une mission parlementaire propose des dérogations à l'irresponsabilité pénale

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Nicolas Portnoi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Mercredi 30 juin 2021 à 09:48, mis à jour le Mercredi 30 juin 2021 à 15:02

Alors qu'un projet de loi sera examiné à la rentrée sur ce sujet, Naïma Moutchou (La République en marche) et Antoine Savignat (Les Républicains) proposent de créer des dérogations aux dispositions qui régissent l'irresponsabilité pénale. Les deux députés préconisent aussi la création d'une "infraction autonome d'intoxication délibérée".

L'émotion suscitée par le meurtre de Sarah Halimi en avril 2017 va-t-elle entraîner un changement en profondeur de notre droit pénal ? Les députés de la commission des lois ont examiné mercredi 30 juin les conclusions d'une "mission flash" sur "l'application de l'article 122-1 du code pénal.

C'est sur la base de cet article que le meurtrier de Sarah Halimi (née Lucie Attal), a été jugé irresponsable pénalement. Une décision confirmée par la Cour de cassation en avril 2021 : gros consommateur de cannabis, l'auteur du crime, dont le caractère antisémite a été reconnu, ne peut être jugé car "pris d'une bouffée délirante" ayant abouti à l'abolition de son discernement lors des faits. 

Les deux auteurs du rapport de la mission, Naïma Moutchou (La République en marche) et Antoine Savignat (Les Républicains), proposent de conserver en l'état l'article 122-1 du code pénal, tout en introduisant de nouvelles dérogations à son application. Ils souhaitent aussi créer une "infraction autonome d'intoxication délibérée". Plusieurs députés, qui ont souligné la nécessité de ne "pas légiférer sous le coup de l'émotion", ont exprimé certaines réserves, liées au caractère extrêmement "subtil" du sujet.

Bientôt un projet de loi

L'affaire Sarah Halimi a créé une "émotion particulièrement vive dans le pays et d'une ampleur tout à fait inhabituelle", a commenté mercredi matin la co-rapporteure Naïma Moutchou. "La décision de déclarer l'auteur des faits irresponsable pénalement et donc de ne pas tenir de procès n'a pas été comprise", a ajouté la députée La République en marche.

Quelques jours après la décision de la Cour de cassation, le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, avait demandé publiquement un "changement de la loi" au Garde des sceaux Eric Dupond-Moretti. Celui-ci devrait présenter son texte au Conseil des ministres "à la fin du mois de juillet", a précisé la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet (LaREM). Les travaux de la mission flash ont donc eu pour but de préparer l'examen de la future loi, qui devrait débuter à la rentrée.

"La solution n'est pas aussi évidente que cela pourrait paraître", a d'emblée expliqué le co-rapporteur Antoine Savignat. Car "en travaillant sur l'article 122-1 du code pénal, on s'attaque à un principe fondamental du droit, celui de la responsabilité pénale qui suppose que la conscience de ses actes, l'intention d'agir" est "nécessaire pour caractériser l'élément moral de l'infraction".

Cette condition, qui exempte les enfants comme les aliénés, remonte à l'empire romain. Antoine Savignat

Les décisions d'irresponsabilité pénale restent "marginales en proportion quoique non négligeables en volume" : "Le nombre annuel de personnes pour lesquelles les troubles psychologiques ont justifié l'absence de poursuites est estimé en 2019 à moins de 10.000 soit 0.5% des quelque deux millions de personnes suivies chaque année par la justice pénale."

"On ne juge pas les fous"

Dans leur rapport, Naïma Moutchou et Antoine Savignat proposent de "ne pas toucher au dispositif de l'article 122-1 du code pénal". "Bien évidemment, dans une société civilisée, on ne juge pas les fous (mais) nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude non plus", a tempéré la députée La République en marche.

Les deux élus proposent donc plusieurs pistes de réflexions. La première consiste à "sanctionner la faute antérieure" : "Cela veut dire exclure l'irresponsabilité pénale en cas d'intoxication délibérée dans le cadre d'un projet criminel préalable", a précisé Antoine Savignat. Le but est de sanctionner les criminels qui prennent des drogues pour "faciliter la commission de l'infraction" comme le captagon, "une drogue qu'utiliserait volontiers les djihadistes pour subjuguer leurs émotions".

Autre proposition, qui répond davantage aux problématiques liées à l'affaire Halimi : créer une "infraction autonome d'intoxication délibérée". Elle viendrait punir "le fait de s'intoxiquer délibérément et de commettre, dans un état de trouble mental qui aurait aboli temporairement le discernement le temps de l'intoxication, une atteinte à la vie ou à l'intégrité d'une personne". 

"Nul n'est censé ignorer que les effets du cannabis, même si c'est à la marge, peuvent aussi engendrer des bouffées délirantes aiguës", a commenté Naïma Moutchou. Aujourd'hui, précise l'élue, "la loi ne distingue pas selon l'origine du trouble" : "Cet état du droit, nous considérons qu'il n'est pas satisfaisant." La Cour de cassation "a tranché [dans l'affaire Halimi] en fonction de ce qui était le droit", a précisé la députée : pour cette raison, les rapporteurs veulent modifier le droit.

La prise de stupéfiants ainsi que la consommation "excessive" de médicaments accessibles sur prescription médicale entreraient dans le champ du texte. "Les effets durables, voire définitifs" en seraient exclus, tout comme "le défaut de prise de médicament et l'arrêt unilatéral d'un traitement médicamenteux".

L'infraction s'appliquerait aux homicides et aux violences. Les experts désignés pour évaluer l'état mental de l'auteur des faits devraient dans ce cadre "se prononcer sur le moment des faits, mais également sur celui de la prise de substance ayant aboli le discernement". Il reviendrait ensuite au juge, en fonction des éléments du dossier, de prononcer ou non l'irresponsabilité pénale. La peine applicable devrait être inférieure à la peine encourue en cas de meurtre ou de violences volontaires.

Les deux rapporteurs proposent par ailleurs une revalorisation du rôle des experts psychiatriques, dont le nombre est passé de 800 en 2002 à 369 en 2018.

"Extrêmement difficile à juger"

Les propositions de Naïma Moutchou et Antoine Savignat n'ont pas totalement convaincu certains de leurs collègues comme Didier Paris (La République en marche). Selon lui, il reste difficile de prouver que la prise de stupéfiants a été faite "dans un but criminel précis". L'élu craint également que les juridictions ne se retrouvent devant "des cas extrêmement difficiles à gérer". "Un certain nombre de prises de produits stupéfiants procèdent eux-mêmes d'une maladie et d'une addiction dont la plupart des auteurs ont du mal à sortir", estime-t-il. Une position partagée par Cécile Untermaier (Socialistes et apparentés).

Plusieurs députés, comme Erwan Balanant (MoDem) ou Philippe Gosselin (Les Républicains) ont pour leur part souligné l'importance de "ne pas légiférer sous le coup de l'émotion".

Dans la foulée de l'examen des conclusions de cette mission flash, la commission des lois a validé la création d'une commission d'enquête, sollicitée par le groupe UDI et indépendants. Celle-ci aura pour mission de "rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi".