Risques climatiques : vers un nouveau mode d'indemnisation des pertes de récoltes

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ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
par Maxence Kagni, le Mercredi 12 janvier 2022 à 14:02, mis à jour le Mercredi 12 janvier 2022 à 21:39

Les députés ont adopté, mercredi 12 janvier, un projet de loi qui donne, selon le gouvernement, "toute sa place à la solidarité nationale". L'opposition de gauche dénonce un texte qui "renforce les inégalités". 

L'Assemblée nationale a adopté mercredi en première lecture le projet de loi "portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture" (94 pour, 3 contre). Le texte a pour but de "réformer les modalités d’indemnisation des pertes de récolte en agriculture résultant d’aléas climatiques". Dans son exposé des motifs, la loi prévoit de faire "toute sa place à la solidarité nationale" et de "partager le risque de façon équitable entre l’État, les agriculteurs et les entreprises d’assurances."

"Le changement climatique est une réalité et les agriculteurs sont les premiers à en subir les conséquences", a expliqué le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie, qui a notamment fait référence au "terrible épisode de gel" du printemps dernier. "Le statu quo n'est plus possible", a-t-il ajouté, précisant que "le système actuel [d'indemnisation] ne fonctionne pas".

Actuellement, les pertes de récolte sont indemnisées par deux systèmes différents. Le premier est cofinancé par l'Etat et les agriculteurs : il exclut certains pans de l'agriculture (viticulture et grandes cultures) et est critiqué pour ses délais trop longs. Le second est le système assurantiel privé : il est peu souscrit par les agriculteurs, subventionné à 65% par l'Etat et déficitaire. Ce système, explique Julien Denormandie, "n'est pas assez accessible, il n'est pas assez avantageux, il est trop complexe, il peut parfois être injuste et il est beaucoup trop long en ce qui concerne les calamités agricoles".

L'architecture du nouveau système d'indemnisation, inscrite dans le projet de loi, est composée de trois niveaux : 

  • les risques de "faible intensité", "absorbés à l'échelle individuelle de l'exploitation agricole",
  • les risques d'"intensité moyenne", qui bénéficieront "d’une mutualisation entre les territoires et les filières par le biais de l’assurance multirisque climatique dont les primes sont éligibles à subvention",
  • les risques "catastrophiques", qui feront l'objet d'un soutien direct de l'Etat.

Cette gradation doit permettre de limiter les risques pour les compagnies d'assurances, puisqu'au-delà d'un certain seuil, c'est l'Etat qui prendra en charge l'indemnisation.

Le gouvernement "portera à 600 millions d'euros le financement de la couverture des risques climatiques dès le prochain projet de loi de finances". L'objectif est de créer une "couverture universelle", a encore précisé Julien Denormandie. Cette réforme doit aussi "viser à rendre plus accessible l'assurance multuriques climatique qui ne couvre [aujourd'hui] que 18% des surfaces agricoles utiles". "Il s'agit d'une refonte historique", a conclut le ministre. Le texte doit entrer en vigueur au 1er janvier 2023. 

Assurance multirisques climatiques

Autre modification apportée par la loi : le taux d'aide publique à la souscription d'un contrat d'assurance sera plafonné à 70%, contre 65% aujourd'hui. Mais malgré cela, "certains ne pourront pas s'assurer car leur revenu ne leur permettra pas", a regretté le président des députés communistes, André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine).

Le projet de loi prévoit un malus pour les exploitants agricoles qui n'ont pas souscrit à un contrat d'assurance multirisques climatiques : ils ne toucheront que 50% de l'indemnisation prévue par la solidarité nationale, contrairement aux agriculteurs bénéficiant d'un tel contrat, qui toucheront, eux, l'intégralité de la somme. "C'est un copié-collé de la réglementation européenne et cela existe déjà", a réagi Julien Denormandie, répondant aux critiques venant de l'opposition de gauche.

"Vos dispositifs ne font que renforcer les inégalités entre les paysans assurés et les paysans non assurés", a regretté Jean-Hugues Ratenon (La France insoumise). Selon lui, le texte "jette les agriculteurs dans les bras des assurances privées".

"On a une privatisation des gains et une socialisation des pertes", a pour sa part estimé André Chassaigne, qui a dénonce un "copié-collé du système américain". Son collègue Jean-Paul Dufrègne (Gauche démocrate et républicaine) a regretté l'absence de précisions quant aux différents seuils délimitant les trois niveaux d'indemnisation. Ceux-ci seront définis par décret : "Comment le législateur peut-il se prononcer sur un système dont il ne connaît en réalité pas les mécanismes réels ?"

Julien Dive (Les Républicains) a émis un doute similaire : "Tout reposera sur les discussions budgétaires post élections législatives." Dominique Potier (Socialistes et apparentés) a expliqué pendant la discussion générale que son groupe était "dans une logique d'abstention". Sylvia Pinel (apparentée Libertés et Territoires), qui "souscrit aux grandes orientations du nouveau dispositif", a regretté le calendrier de la réforme : les "nombreux renvois à des ordonnances ou à des décrets" font que "ce sera à un nouveau gouvernement de mettre en place une partie du texte".

Le texte a été soutenu par Antoine Herth (Agir ensemble), Nicolas Turquois (MoDem), Hervé Pellois (La République en marche) ou encore par Thierry Benoit (UDI et indépendants), qui a jugé que celui-ci "ouvre le chemin" même s'il "n'est pas la panacée".

Parmi les autres mesures notables, figure la création d'"une formation spécifique au sein du Comité national de gestion des risques en agriculture, chargée de l’orientation et du développement de l’assurance récolte". Avec ce dispositif, "aucun assureur" ne "pourra jouer de la sélection des risques au détriment des agriculteurs", a précisé le rapporteur Frédéric Descrozaille (La République en marche). Enfin, l'article 7 du texte crée un "groupement d’entreprises d’assurance ou de réassurance" : les entreprises souhaitant mettre en vente des assurances subventionnées contre les risques climatiques en agriculture devront obligatoirement y adhérer.