Réforme des retraites : la bataille des amendements commence à l'Assemblée

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Assemblée de nuit
par Maxence KagniStéphanie Depierre, Elsa Mondin-Gava, Soizic BONVARLET, le Jeudi 26 janvier 2023 à 11:03, mis à jour le Vendredi 27 janvier 2023 à 11:50

Environ 7.000 amendements ont été déposés sur le projet de réforme des retraites avant l'examen du texte en commission des affaires sociales en début de semaine prochaine. De nombreux amendements portent sur l'article 7 qui prévoit le report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. 

Le chiffre est tombé jeudi à 17h. Environ 7.000 amendements ont été déposés sur le projet de réforme des retraites, avant son examen par la commission des affaires sociales en début de semaine prochaine.

Un nombre d'amendements qui rendra difficile l'examen de l'ensemble du texte par la commission dans le temps imparti : les débats, qui commenceront lundi matin, doivent s'achever mercredi soir. Toutefois, ce chiffre est bien moins important que celui constaté lors de la précédente tentative de réforme des retraites : en 2020, environ 22.000 amendements avaient été déposés à l'étape de la commission. 

Et ce chiffre de 7.000 est pour l'instant provisoire. Certains amendements peuvent en effet être retirés et d'autres déclarés irrecevables.

Pas d'obstruction massive ?

Le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 (PLFRSS), véhicule législatif de la réforme, ne fait donc pas, à ce stade, l'objet d'un véritable mur d'amendements de la part de certains groupes d'opposition, comme cela était attendu il y a encore quelques semaines. 

La France insoumise, qui avait déposé près de 19.000 amendements en 2020 (environ 16.000 avaient été retenus), n'en a par exemple déposé que 3345. Un chiffre qui reste tout de même élevé, puisque les Insoumis ont déposé à eux seuls prêts de la moitié des amendements.

"On a un contre-projet qui sera décliné par voie d'amendements", avait prévenu mardi sur LCP le député LFI Hadrien Clouet. "Ce sera projet contre projet tout au long de la discussion parlementaire", affirme l'élu. Avant d'ajouter : "La question [est de savoir] combien seront retenus, donc on préfère trop que pas assez", puisque certains peuvent être jugés irrecevables. 

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La Nupes : gérer le rythme des débats

Les députés d'opposition sont en effet limités par une règle intangible : les parlementaires ne peuvent pas présenter d'amendements qui auraient "pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique".

"Non seulement le débat est contraint dans le temps, mais en plus le jeu du débat budgétaire est contraignant", regrette Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine). Le député communiste ne veut toutefois pas se laisser "enfermer dans le débat du gouvernement" sur une éventuelle obstruction parlementaire : son groupe, qui demande le retrait pur et simple du texte, "fera en sorte d'avoir le temps de déployer [ses] arguments". Les élus communistes ont déposé 272 amendements.

Les députés socialistes ont déposé 1053 amendements. Ils veulent, selon Arthur Delaporte, avoir une "influence directe sur la gestion du temps des débats". Afin que le gouvernement "ne soit pas le seul à décider du rythme", les socialistes pourraient décider de retirer de nombreux amendements pour accélérer la discussion ou, au contraire, de les défendre un à un pour ralentir les débats.

Leur but et, globalement, celui de la Nupes : parvenir à un vote sur l'article 7, qui repousse de deux ans l'âge légal de départ à la retraite. 68% des 1000 amendements socialistes portent sur cet article. Les députés socialistes ont déposé 800 amendements "vies brisées" qui ont pour objet de sortir près de 500 catégories professionnelles du dispositif.

Les députés écologistes ont, pour leur part, déposé 1282 amendements : "Il n'y a que des amendements de fond", promet la vice-présidente du groupe Ecologiste à l'Assemblée nationale, Sandra Regol. Les élus EELV, qui souhaitent "faire tomber la loi quel que soit le levier", s'adapteront à la réponse apportée en commission et en séance par la majorité présidentielle. "Nous utiliserons toutes les stratégies de repli possibles et imaginables", explique encore Sandra Regol.

Les quatre groupes de la Nupes avaient prévu de déposer environ 70 amendements communs, dont de nombreuses suppressions d'articles et de nouvelles pistes de financement. En tout, ils ont déposé 86% des amendements.

Le RN en "garde sous le pied"

De leur côte, les députés du Rassemblement national "ne feront pas d'obstruction", explique à LCP Thomas Ménagé. Le groupe RN a déposé 75 amendements.

Les députés du Rassemblement national ne dévoileront d'ailleurs pas toutes leurs cartes en commission : ils souhaitent en "garder sous le pied pour la séance". Par ailleurs, Thomas Ménagé reconnaît lui aussi une "difficulté à transformer le programme de Marine Le Pen en amendements" en raison des règles de recevabilité.

Les députés du groupe LIOT, eux, restent sur leur ligne : ils veulent "faire reculer le gouvernement sur l'âge légal". Ce groupe d'opposition, composés d'élus issus de plusieurs sensibilités politiques différentes, a déposé des amendements communs. Mais chacun de ses membres en a aussi déposé en son nom propre : c'est le cas de Charles de Courson, qui en a rédigé plus, à lui seul, que les 19 autres membres de son groupe. Les députés du groupe LIOT souhaitent, comme la Nupes, porter le débat sur la recherche de "nouvelles ressources". Ils ont déposé 115 amendements.

Le MoDem souhaite une "clause de revoyure"

Alors que Renaissance a déposé une centaine d'amendements, pour ce qui est de l’allié MoDem, les députés avaient déjà donné quelques précisions sur les mesures qu’ils souhaitaient porter lors du point presse du groupe, le 24 janvier. "Nous allons déposer quelques amendements, pas très nombreux, pour améliorer le texte sur un sujet qui est pour nous majeur, qui est la clause de revoyure", avait ainsi indiqué Philippe Vigier (Démocrate).

Constituant "un rendez-vous majeur avec les partenaires sociaux", il sera proposé que cette clause de revoyure puisse s’exercer au 1er octobre 2027. "C’est le rôle du Parlement de savoir où on en est dans l’application d’une réforme", avait justifié Philippe Vigier, avant de citer deux autres problématiques sur lesquelles son groupe souhaite amender la réforme : "le taux d’emploi des seniors" et "les carrières hachées".

Le MoDem, qui a finalement déposé un peu moins de 40 amendements, propose un bonus-malus adossé à l’index seniors prévu par le gouvernement. Les modalités de ce bonus-malus seraient définies par les partenaires sociaux, dans l’idée "d’adapter le taux de cotisations des entreprises en fonction du nombre de salariés de plus de 55 ans dans leurs effectifs".

Autre proposition qui avait été un temps avancée par les députés du MoDem, mais qui a finalement été écartée : l'augmentation de la durée hebdomadaire de travail d'une demi-heure, afin de faire rentrer davantage de cotisations sociales visant à financer le système par répartition. Il faut dire que lors de ses vœux à la presse, lundi 23 janvier, Elisabeth Borne avait assuré que le gouvernement n’avait "aucune intention d’ouvrir un débat sur les 35 heures".

Retraite des femmes : des députés de la majorité tentent de rectifier le tir

Le groupe MoDem propose également "d’abaisser de deux trimestres l’âge légal de départ en retraite par enfant" pour les femmes, dont certaines risquent d’être proportionnellement plus pénalisées que les hommes par le report de cet âge de 62 à 64 ans.

Du côté de l'autre allié du parti présidentiel, Horizons a aussi déposé une quarantaine d'amendements, dont certains concernent également la retraite des femmes ayant eu des enfants. Parmi ceux-ci, l'un prévoit une demande de rapport au gouvernement quant à l'opportunité de l'instauration d'une surcote pour les femmes qui ont bénéficié de trimestres liés à la maternité, et dépassent par le report de l'âge légal la durée de 43 années de cotisations.

En outre, toujours pour ne pas attaquer le bénéfice des trimestres acquis par les femmes dans le cadre des maternités, un amendement Renaissance, porté notamment par Barbara Pompili et Stella Dupont, vise à permettre un droit anticipé à la retraite, c'est-à-dire avant l'âge légal de départ, lorsque le nombre de trimestres validés est supérieur à 172. Huit trimestres au-delà des 43 ans donneraient ainsi la possibilité de partir à 63 ans, quand seize trimestres au delà des 43 ans permettraient de partir à 62 ans.

Au total, les trois groupes de la coalition présidentielle ont déposé un peu moins de 180 amendements.

Les Républicains en position de force

Les députés Les Républicains, sur lesquels le gouvernement espère pouvoir compter afin de faire émerger une majorité de projet sur la réforme, font monter les enchères. Le sort réservé aux femmes, pénalisées par un décalage de l’âge légal de départ, l’entrée en vigueur de la réforme repoussée de septembre 2023 à janvier 2024, ou encore une meilleure prise en compte de la pénibilité, s’avèrent des points sur lesquels le groupe de droite souhaite être entendu afin de soutenir la réforme.

Thibault Bazin (LR), qui a indiqué qu'il "arrêterai[t] sa position en fonction du texte final", considère que derrière le calendrier d'application de la réforme "il y a un sujet en termes d’acceptabilité sociale, et un autre de fiabilité opérationnelle". Auprès de LCP, il évoque d'une part le "besoin de visibilité", "pour des gens qui ont prévu de partir cette année à la retraite", et d'autre part, le délai de mise en conformité des systèmes d'information.

Autre sujet de préoccupation sur lequel le député a déposé un amendement, la possibilité pour les indépendants en particulier, d'être éligible à une pension minimale à hauteur de 85% du SMIC. Cette mesure prévue par la réforme du gouvernement concernant ceux qui ont cotisé à "un revenu équivalent au SMIC", il se pourrait qu'elle crée des laissés-pour-compte. Thibault Bazin évoque "un énorme trou dans la raquette" mais confie cependant à LCP s'être heurté dans sa rédaction au principe de non-aggravation d'une charge publique : "J’ai dû réécrire au moins trois fois les choses."

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À 17h, Les Républicains avaient déposé environ 630 amendements. L'une des mesures majeures qui conditionnera sans doute le soutien au texte d'une partie du groupe, emmenée par Aurélien Pradié, sera l'adaptation de l'âge légal de départ pour les carrières longues.

"L’injustice qui s’annonce pour ceux qui ont débuté avant 21 ans est une bataille centrale", avait tweeté Aurélien Pradié le 19 janvier. Le député du Lot souhaite que pour ces derniers, le calcul des 43 annuités de cotisations prime sur l'âge légal de départ à la retraite. Deux députés LR, Ian Boucard et Pierre Cordier, ont quant à eux déposé un amendement de suppression pure et simple de l'article 7 du texte, relatif au recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.