Paroles de députés confinés : Carole Bureau-Bonnard

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Paroles de députés confinés : Carole Bureau-Bonnard
par Ludovic FAU, le Vendredi 10 avril 2020 à 13:56, mis à jour le Vendredi 29 mai 2020 à 15:43

Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Carole Bureau-Bonnard, députée La République en Marche de l’Oise. 

Carole Bureau-Bonnard, vous avez contracté le coronavirus. Comment allez-vous ?

Je vais très bien maintenant, car je l’ai attrapé il y a déjà quatre semaines. Les premiers signes ont été détectés le 11 mars. Cela a commencé par une toux sèche. Le deuxième jour, j’avais mal à la tête, mais pas ou peu de fièvre. Ensuite, j’ai perdu le goût et l’odorat et j’ai ressenti, pendant au moins cinq ou six jours, une fatigue extrême, une sorte d’étau au niveau de la poitrine et la sensation de ne pas pouvoir respirer à fond. C’est cela qui m’a inquiétée. Je ne sais pas si j’ai été contaminée à la commission des affaires culturelles pendant l’examen du projet de loi audiovisuel ou dans l’Oise. Aujourd’hui, je suis guérie et en forme pour aller sur le terrain dans la mesure du possible mais l’essentiel de mon travail se fait à domicile.

Vous êtes de l’Oise, un des premiers clusters en France, pouvez-vous nous décrire la situation dans votre département ?

C’est assez catastrophique au niveau des entreprises et des petits commerces. Comme le coronavirus s’est d’abord déclaré dans l’Oise nous avons eu deux semaines d’avance sur le confinement qui a ensuite été total, pour nous, à partir du 7 mars. Nous avons été ostracisés très tôt. Les entreprises ne pouvaient plus aller travailler en dehors du département, les élèves et les étudiants n’allaient plus en classe une semaine avant. Les marchés publics ont aussi été arrêtés, les cinémas ont fermé ou étaient ouverts une rangée sur deux. La problématique des sociétés est la perte de chiffre d’affaires. Certaines se sont mises en sauvegarde et ne s’en relèveront pas. Dans l’Oise, nous sommes à un plateau. Il ne faut pas dire « ça va mieux » et ressortir, mais nous sommes plus positifs avec une moindre progression du nombre de cas graves. Cependant, nous nous inquiétons au niveau des Ehpad. Les personnels de santé restent sous tension. Nous manquons de matériel essentiellement des surblouses jetables et des masques FFP2. Heureusement, j’ai eu un don de 12 000 masques chirurgicaux de la Chine, la semaine dernière, grâce à mes relations internationales, pour les professions libérales de santé, les structures médico-sociales, les ambulanciers, infirmiers…

Comment exercez-vous votre mandat de députée en télétravail ?

L’information locale et au niveau du département se fait avec le préfet chaque semaine ainsi qu’avec le directeur de l’Agence régionale de santé et le sous-préfet. Nous parlons des problématiques sanitaires, de sécurité et de la situation des entreprises. Les autorités préfectorales sont notre principale source d’information. Le deuxième canal c’est le groupe parlementaire, La République en Marche, et l’ensemble des conférences téléphoniques avec les responsables du groupe et les députés qui coordonnent nos échanges avec le gouvernement, Mickaël Nogal et Michèle Peyron. Et puis, nous communiquons aussi beaucoup via et les boucles de messageries comme Telegram. Au niveau du gouvernement nous avons des visioconférences. Le président de l’Assemblée nationale et notre président de groupe, Gilles Le Gendre, nous écrivent également par mails. Tous ces canaux nous permettent de poser les questions et d’être inforés au mieux de la situation. Enfin, la troisième source provient du travail que je fais avec mon équipe. Nous avons contacté toutes les entreprises médico-sociales et toutes les entreprises susceptibles de nous aider pour fabriquer des masques et du gel hydroalcoolique. J’ai déposé des masques en sous-préfecture, qui ont été répartis entre les professions libérales de santé. On s’entraide entre territoires. J’ai aussi un rôle de conseil. Si je peux aider je le fais.

Et les habitants, comment communiquez-vous avec eux ?

J’ai bien sûr des échanges avec des habitants de ma circonscription via Facebook. Nous postons toujours la conférence du ministre de la Santé, Olivier Véran, et du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. Nous relayons ainsi toutes les informations et les actions concernant le territoire. Depuis quinze jours, nous avons un supermarché qui offre un petit-déjeuner devant les hôpitaux, c’est le genre d’actions que je relaie et que je mets en valeur. Tout le monde à son niveau peut avoir un acte solidaire et aider. Ce sont des journées bien remplies. Comme j’ai eu le Covid-19, j’ai la chance d’être immunisée, donc je peux sortir en cas de besoin pour aider des gens tout en respectant les gestes barrières et la distanciation sociale. Une personne m’a interpellée pour me dire que je ne portais pas de masque mais, comme j’ai été testée positive, je ne suis plus porteuse, je ne peux donc plus transmettre le virus. Il faudra faire de la pédagogie. Etant kinésithérapeute de profession, j’ai proposé de participer à la réserve sanitaire et mon aide dans les hôpitaux, mais jusque-là, ils n’ont pas de besoin. En revanche, on a mis en place la visioconférence pour les consultations de personnes en rééducation. Le principal est de garder le contact et d’avoir un rôle de pédagogie. On se doit d’être présent pour la population.

Le habitants vous questionnent-ils sur les masques ?

Ils ne savent pas trop s’ils doivent en porter. Certains m’envoient un message pour me le demander. Il faut réserver les masques chirurgicaux aux soignants et à ceux qui sont en contact direct avec des patients. Mais le masque alternatif, si on peut en fabriquer un, je dis: « pourquoi pas ». On nous dit, « c’est préférable » d’en avoir un alors faisons-le. Et puis ça habitue les gens à se dire qu’on peut porter un masque et continuer à vivre normalement. Mais attention, même avec un masque, il est impératif de continuer à respecter le confinement, les gestes barrières et la distanciation sociale !

Vous aviez tweeté: « Dimanche 15 mars je vote, je ne laisse pas un virus choisir mon maire » avec le recul n’était-ce pas une erreur de maintenir ces élections municipales ?

Je ne peux pas vous dire ça. Je respecte les décisions qui ont été prises par l’ensemble des responsables politiques qui souhaitaient que le premier tour soit organisé et des organisations médicales qui ont approuvé. Si le président de la République avait dit « On annule le premier tour », qu’aurait-on entendu ? Il y a eu une organisation particulière et contraignante pour éviter que le virus ne s’installe dans le pays avec de la distanciation, du gel hydroalccolique dans tous les bureaux de vote, des stylos uniques, des circuits pour ne pas se croiser… Les consignes données par le préfet ont été respectées. Après coup, la commission d’enquête, pourra évaluer de ce qui a pu se passer. Il faudra reprendre toutes les déclarations. Peut-être que certains ont pu être contaminés à ce moment-là mais il n’y avait pas de confinement total à l’époque donc, ils ont aussi pu être infectés ailleurs. C’est une crise sanitaire inédite. Les décisions se prennent au jour le jour, c’est facile de dire maintenant « il aurait fallu ».

Avez-vous prévu de retourner à l’Assemblée prochainement ?

Pas encore. Il y a une organisation particulière pour les questions au gouvernement. Si j’ai la possibilité d’en poser une ce sera avec plaisir que je retournerai à l’Assemblée. En tout cas, ça me manque de ne pas voir mes collègues. On a tous envie de retrouver une organisation plus normale, mais ce ne sera pas avant un certain nombre de semaines. On doit aussi montrer l’exemple. Je travaille bien ici avec mes attachés parlementaires en télétravail. Nous avons des réunions à la préfecture par visioconférence, comme elle est à Beauvais, c’est assez pratique finalement. A l’avenir on pourra peut-être faire plus de réunions en étant chacun dans notre permanence.

Comment envisagez-vous le monde d’après ?

Ce qui changera c’est l’anticipation de nouvelles crises. Plus personne ne dira, vous en faites trop ou vous n’en avez pas fait assez. Avec la récession, j’espère que les solidarités qui sont mises en place et que je ressens localement, pourront s’améliorer. Nous avions un déficit dans l’engagement, j’espère qu’il pourra se poursuivre. Je pense qu’il y aura un changement au niveau économique. Le libéralisme c’est bien pour certaines choses mais peut-être pas pour tout. Il faut savoir construire notre indépendance au niveau de la fabrication des médicaments et des appareils respiratoires. Il faut de l’autonomie sans être protectionniste. Je suis également pour une meilleure coordination au niveau européen en construisant une politique sanitaire globale qui puisse se mettre en place tout de suite quand il y a une crise, un virus ou une canicule, par exemple. Dans notre vie personnelle on aura redécouvert le plaisir de prendre des nouvelles plus souvent de nos proches, de nos aînés. J’ai des SMS un peu plus fréquent de mes grands enfants, j’espère que ça va évoluer de ce côté-là. Le train-train quotidien peut nous faire prendre de mauvaises habitudes…

Propos recueillis par Brigitte Boucher