Paroles de députés confinés : Aurélien Pradié

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Paroles de députés confinés : Aurélien Pradié
par LCP.fr, le Samedi 18 avril 2020 à 08:42, mis à jour le Vendredi 29 mai 2020 à 15:42

Comment les députés vivent-ils cette période de confinement ? Comment continuent-ils à faire leur travail de parlementaires hors des murs de l’Assemblée nationale ? Quel regard portent-ils sur cette situation et sur l'action du gouvernement ? Entretien avec Aurélien Pradié, député Les Républicains du Lot, secrétaire général des Républicains. 

Aurélien Pradié, comment allez-vous ?

Je vais plutôt bien. C’est une période qui est très étrange car elle nous permet de ralentir notre quotidien et ça fait du bien en politique de pouvoir lire, c’est assez salutaire. Il y a un caractère ressourçant. Et puis on reste en famille. Mais en même temps ce n’est pas confortable. On vit le confinement comme tout le monde dans cette période très dure.

Comment exercez-vous votre rôle de député en étant confiné ?

Nous passons beaucoup de temps au téléphone pour faire un point avec les ministères sur les différentes situations dans le département. J’ai ouvert un numéro de téléphone pour mes concitoyens. On a une trentaine de demandes par jour, qu’on étudie le matin et on répond dans les 48h. Il y a beaucoup de situations particulières et les gens ont besoin d’accompagnement. Tous les deux jours j’ai des rendez-vous avec les administrations de ma circonscription pour évaluer la situation sanitaire. Nous mettons en place des outils au cas où mais il n’y a pas de saturation dans le Lot. Je passe aussi du temps à la mairie pour gérer les sujets quotidiens, l’accueil des enfants pour les personnels soignants, l’approvisionnement par les producteurs locaux. Enfin nous avons les travaux parlementaires en visioconférence, mais c’est difficile pour moi, car je ne considère pas la politique sans la chose humaine.

Quelles sont les principales interrogations sur votre territoire ?

La question récurrente est celle des masques. C’est encore aujourd’hui une vraie question pour les professionnels de santé qui ont du mal à être approvisionnés et pour les particuliers qui me demandent comment ils vont s’équiper à partir du 11 mai. L’autre question récurrente porte sur les dépistages et la façon dont on accompagne nos aînés, car dans le Lot nous avons une population importante en Ehpad. Les petites entreprises, les restaurants et les commerçants nous interrogent quand ils ne rentrent pas dans les dispositifs gouvernementaux pour savoir comment faire pour bénéficier des aides. Enfin les salariés trouvent que les règles ne sont pas claires. Ils ne savent pas s’ils doivent reprendre le travail ou pas. Il y a beaucoup de demandes individuelles.

La droite a laissé entendre qu'elle pourrait demander une commission d'enquête sur la gestion de la crise. Il existe une mission d'information qui se transformera plus tard en commission d'enquête est-ce que ce sera suffisant ?

La mission d’information sur le Covid-19 n’est pas suffisante du tout. Comment voulez-vous lancer la mission d’information alors que les parlementaires ne peuvent pas se réunir à l’Assemblée. Je ne vois pas comment, alors que la crise n’est pas terminée, tirer les conclusions de la crise. J’ai une extrême méfiance vis-à-vis de cette mission. J’espère qu’elle n’est pas faite pour arranger la majorité et pour amuser la galerie. J’attends surtout une commission d’enquête qui ne soit pas dirigée par le président de l’Assemblée nationale. Il faudra tirer les conséquences de la crise dans un autre format, la mission c’est une solution pour endormir tout le monde.

L'heure doit-elle être à la concorde nationale et seriez-vous prêt à participer à un gouvernement d'union nationale ?

Participer à un gouvernement d’union nationale, non ! Pour deux raisons, je ne suis pas à vendre et ce n’est pas le moment de lancer les enchères. Il faudrait deux conditions, d’abord réunir tout le monde dans un gouvernement d’union nationale et je ne suis pas sûr qu’Emmanuel Macron ait envie d’associer tous les partis. Ensuite, il faudrait que celui qui dirige ce gouvernement, et indirectement le Président, ait la force politique de faire l’unité. A la sortie de la guerre, personne ne contestait la force politique du Général de Gaulle. La situation est différente pour Emmanuel Macron. La manière dont le gouvernement laisse entendre qu’il pourrait débaucher les gens, c’est une façon de faire de la politique que je trouve détestable.

Le groupe Les Républicains demande un vote à l’issue du débat qui aura lieu à l’Assemblée sur le "tracking". En ce qui vous concerne, pourquoi et êtes-vous opposé à une application qui permettrait de savoir si on a été en contact avec un malade du Covid-19 ?

J’y suis opposé pour une question de principe. Certains diront qu’il faut être pragmatique, mais c’est dans les moments de tempête qu’on voit les principes républicains, c’est dans les crises qu’on teste nos grands principes et le « tracking » touche à nos libertés individuelles. J’y suis opposé, car personne n’a pu démontrer l’utilité de ce dispositif. Aujourd’hui, c’est un gadget. Il faudrait que tout le monde bénéficie de cette application mais les aînés n’ont pas de smartphone et il n’y a pas de niveau d’adhésion suffisant dans la population pour être efficace. J’y suis opposé, car ce n’est pas le sujet. Le gouvernement détourne l’attention. Le sujet ce sont des masques pour tout le monde et des tests le jour où on sortira du confinement. Quand tout cela sera généralisé, on pourra parler du reste. C’est une manière d’occuper les esprits qui n’a pas lieu d’être à ce moment de la crise. Enfin, je demande un vote, car la vie parlementaire ne doit pas s’arrêter avec une gestion de crise. La République en Marche craint de ne pas avoir de majorité, c’est pour ça qu’ils ne veulent pas de vote. Le rôle du député de la Nation est de débattre et de voter. Débattre sans voter est une manière de nous rendre inutile et je n’ai pas envie d’être inutile.

La mondialisation, le libéralisme, tels qu'on les a connus semblent avoir vécus. Est-ce que ça oblige la droite à se réinventer ?

Je pense qu’il faut être fou pour ne pas accepter de se poser de véritables questions sur notre modèle économique, social et budgétaire. La droite doit s’interroger et se remettre en question. L’ADN de la droite et du gaullisme est cette capacité à renverser la table et à faire preuve d’audace. Il faut renouer avec l’ADN du gaullisme. Le libéralisme est affaibli et nous avons un sujet sur la financiarisation de l’industrie et de l’agriculture. Le blé est devenu, d’abord, une matière boursière… C’est le moment de se reposer ces questions et d’avoir la force de renouer avec la droite. Je crois au rôle de l’Etat et je suis pour la liberté d’entreprise. Je ne veux pas plus d’Etat, ou moins d’Etat, mais mieux d’Etat. Il faut analyser quatre ou cinq secteurs où l’Etat aurait un rôle puissant, où il y aurait des règles budgétaires différentes et où on concentrerait la finance publique. Je veux revenir à un Etat stratège.

Comment envisagez-vous le monde d'après ?

Je l’espère différent. C’est plein de naïveté me diront certains, mais je me suis engagé en politique pour croire en quelques utopies. On n’en sortira pas avec une simple béquille. Les relations humaines peuvent changer, notre vision de la politique peut changer, notre alimentation aussi avec un approvisionnement plus direct auprès des producteurs. La période de confinement a donné un coup d’arrêt à une consommation permanente et écœurante. Cela doit être un déclic pour l’humanité. Certains ricaneront, mais c’est aussi pour ça qu’on fait de la politique. Des grandes crises peuvent sortir de grandes solutions, si on ne croît plus en cela ce n’est pas la peine de faire de la politique.

Propos recueillis par Brigitte Boucher