Nucléaire : que contient le projet de loi examiné à l'Assemblée ?

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La centrale nucléaire de Chooz (Ardennes)
La centrale nucléaire de Chooz (Ardennes)
par Raphaël Marchal, le Vendredi 3 mars 2023 à 15:32, mis à jour le Mardi 7 mars 2023 à 00:14

Les députés examinent en commission un projet de loi visant à favoriser la relance du nucléaire en France. Le texte procède notamment à des simplifications administratives afin d'accélérer la construction de 6 nouvelles centrales. Une loi disputée, malgré sa technicité, tant elle oppose les "pro" et "anti" atome.

C'est la première pierre législative concrétisant le discours de Belfort, prononcé par Emmanuel Macron le 10 février 2022. Ce jour-là, le président annonçait la relance du nucléaire français, avec notamment la construction de 6 centrales EPR2. Depuis mardi, un projet de loi sur le sujet est examiné en commission à l'Assemblée. Ce texte "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes" est singulièrement technique. Il a déjà été adopté en première lecture le 24 janvier dernier par le Sénat, qui l'a en partie enrichi.

Simplifier

La loi a pour but de simplifier les démarches administratives pour la construction de nouveaux réacteurs. Elle permet notamment d'octroyer des dérogations, uniquement dans des périmètres restreints, pour de nouvelles constructions sur des sites nucléaires déjà existants ou à proximité. L'objectif : gagner du temps, alors que le chef de l'État n'a pas caché sa volonté de voir les premiers EPR2 opérationnels dès 2035. "Les procédures existantes sont très difficiles à mettre en œuvre ", a fait valoir Agnès Pannier-Runacher devant les députés de la commission des affaires économiques. " [Ce texte] va permettre de ne pas ajouter un délai de deux à trois années à la construction d'un réacteur", a expliqué la ministre de la Transition énergétique.

Le second volet du texte concerne les installations déjà existantes. La prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels fait aussi partie des options voulues par l'exécutif. "Nous prolongeons autant que c'est possible, au regard des enjeux de sûreté nucléaire, les réacteurs, d'abord au-delà de 40 ans, puis au-delà de 50 ans", a réaffirmé hier la Première ministre, Élisabeth Borne, devant la commission d'enquête sur l'indépendance énergétique de la France. Le projet de loi comporte en outre diverses dispositions relatives à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il prévoit aussi de ne plus systématiser le caractère définitif de l’arrêt d’une installation nucléaire ayant cessé de fonctionner pendant deux ans consécutifs.

La fin d'un totem

En commission, les députés ont approuvé l'un des ajouts du Sénat : la suppression de l'objectif de réduction à 50 % de la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique français d'ici à 2035. Cette disposition, introduite sous la présidence de François Hollande en 2015, est critiquée par les pro-nucléaire, qui y voient la matérialisation d'un renoncement à l'atome.

"Il est temps de ne pas avoir le nucléaire honteux", a fait valoir la rapporteure Maud Bregeon (Renaissance), qui a mis en avant les bénéfices de la technologie nucléaire en matière de neutralité carbone. La suppression de ce "verrou" est toutefois contestée par une partie des élus de la Nupes, notamment les Écologistes, qui voient d'un mauvais œil le retour en grâce d'une technologie qu'ils jugent dangereuse et dont la gestion des déchets pose question.

Une fusion qui passe mal

Un autre point clivant des débats concerne une disposition en apparence technique : la fusion entre l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). L'IRSN est chargé de l’expertise et de la recherche, tandis que l'ASN, souvent qualifiée de "gendarme du nucléaire", est responsable des contrôles et décerne les autorisations d'exploitation des centrales. Annoncée début février par le gouvernement, cette volonté de fusion a pris de court les 1 800 experts, chercheurs ou ingénieurs de l'IRSN, qui ont manifesté à plusieurs reprises pour exprimer leur désaccord, craignant pour leur indépendance et pour la crédibilité de leurs travaux.

L'exécutif a déposé deux amendements au projet de loi afin d'étendre le champ des missions de l'ASN et de permettre le transfert des agents de l'IRSN. Ils devraient être examinés dans la soirée de lundi ou mardi après-midi en commission. Consciente des oppositions à cette fusion, Agnès Pannier-Runacher s'est faite pédagogue devant la commission. "Cette évolution est une source d'opportunités nouvelles pour les salariés de l'IRSN", a notamment revendiqué la ministre. "Non seulement ils ont la garantie de ne rien perdre, mais pourront faire des parcours croisés."

Des arguments qui n'ont pas convaincu tous les députés de l'opposition. "C'est une connerie", a tranché Sébastien Jumel (PCF), pourtant pas opposé au fond du texte, mais pour qui ce point précis représente une "ligne rouge". "Le démantèlement de l'IRSN se fait contre les salariés", a renchéri Maxime Laisney (LFI). "Le groupe Liot était largement favorable au texte mais doute de la pertinence de cette intégration", a noté pour sa part Benjamin Saint-Huile. Sur ce point, les débats s'annoncent âpres. La loi atterrira dans l'hémicycle la semaine du 13 mars.