Nucléaire : Nicolas Sarkozy et François Hollande se répondent à distance

Actualité
par Maxence KagniLéonard DERMARKARIAN, le Jeudi 16 mars 2023 à 13:40, mis à jour le Lundi 20 mars 2023 à 12:06

Auditionnés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur "les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France", Nicolas Sarkozy et François Hollande ont défendu leur action et exposé leur vision en matière de politique énergétique et de nucléaire. Des auditions qui ont parfois pris des allures de duel à distance, plus de dix ans après leur affrontement lors du second tour de l'élection présidentielle de 2012. 

Un et même deux anciens présidents de la République auditionnés par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, c'est une première. Jeudi 16 mars, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" a auditionné Nicolas Sarkozy (2007-2012), puis François Hollande (2012-2017). Devant les députés, les deux ex-Présidents ont défendu le bilan de leur quinquennat et leur vision en matière de politique énergétique, en se livrant en un duel par commission d'enquête interposée. 

Auditionné jeudi matin, Nicolas Sarkozy s'est posé en défenseur de l'excellence nucléaire française : "Toute ma vie politique, j'ai pensé que la filière nucléaire était une chance pour la France", a déclaré d'emblée l'ancien chef de l'Etat. "Nous n'avons pas d'énergies fossiles", a justifié Nicolas Sarkozy, ajoutant par ailleurs que le nucléaire était le moyen pour la France de "remplir ses objectifs environnementaux". Il a plaidé pour une énergie qui permet, selon lui, de produire l'électricité "la moins chère" et présente "le moins de nuisances visuelles et sonores".

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Le nucléaire n'est ni de droite, ni de gauche, il est l'intérêt supérieur de la France. Nicolas Sarkozy

Défendant son bilan, Nicolas Sarkozy a ironisé sur ceux qui "font des doubles salto, des triples salto arrière" sur le dossier énergétique : "Maintenant c'est facile d'être pour le nucléaire." L'ancien président de la République estime en effet que, par le passé, la filière a "fait l'objet d'une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen Âge, irrationnelle, mensongère".

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"Ceux qui disent que le renouvelable peut être une substitution mentent, ils mentent, ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible", a encore martelé Nicolas Sarkozy, estimant que le nucléaire avait besoin du renouvelable "en complément".

Sarkozy cible Hollande

Selon lui, "le nucléaire est un sujet de président de la République". Tout au long de son audition, Nicolas Sarkozy a visé son successeur François Hollande. Avec, en ligne de mire, l'accord électoral conclu en novembre 2011 entre le Parti socialiste (PS) et Europe Ecologie-Les Verts : "Il prévoyait, les mots ont un sens, 24 fermetures sur 58 réacteurs pour réduire de 74 à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française."

A cela s'ajoutait, explique Nicolas Sarkozy, la "fermeture de l'installation de retraitement de La Hague" et la "fermeture de la production de combustible de Marcoule" : "On voulait tuer la filière !"

 

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L'ancien chef de l'Etat a critiqué François Hollande et sa ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, qui ont "été dans le mur en klaxonnant" en prenant la décision de fermer la centrale de Fessenheim. Nicolas Sarkozy a mis en cause son successeur : "Si le nucléaire est dangereux, ferme tout ! Pourquoi ? Il ne faut sauver que les Alsaciens ?" Les critiques ont également pris un tour plus personnel : "Pompidou a démodé De Gaulle, Giscard a démodé Pompidou, Chirac a démodé [Mitterrand], moi j'ai un petit peu démodé Chirac, on ne peut pas dire à François Hollande qu'il ait démodé qui que ce soit."

Nicolas Sarkozy a également dénoncé l'abandon par François Hollande du projet d'EPR à Penly : "Nous avons perdu douze ans", a-t-il jugé.  

François Hollande entre défense et riposte

Auditionné dans l'après-midi, François Hollande a profité de ses échanges avec les députés pour défendre son bilan. Selon lui, les difficultés rencontrées par la filière nucléaire française ne sont "en aucune manière la conséquence d'une décision politique ou d'un arrangement électoral remontant à plus de 10 ans".

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Revenant sur l'accord de 2011 entre le PS et les Verts, François Hollande rappelle que celui-ci a été conclu dans un contexte de crainte vis-à-vis du nucléaire, quelques mois après la catastrophe de Fukushima. Récusant tout "accord de coin de table", expression employée devant cette même commission d'enquête par Arnaud Montebourg, François Hollande affirme s'être en partie affranchi de son contenu car il estimait alors que "le nucléaire [devait] rester un élément majeur dans notre mix énergétique". L'ancien Président a résumé sa position de l'époque : "50% [de nucléaire dans le mix énergétique], une centrale qui devait fermer [Fessenheim], Flamaville qui devait se poursuivre."

François Hollande a, par ailleurs, relié la baisse actuelle de la production électrique française à l'indisponibilité d'une partie du parc nucléaire à cause du "phénomène des corrosions et des fissures". Loin d'être liée aux objectifs politiques de baisse du nucléaire dans le mix électrique, François Hollande a pointé "la conception même des centrales historiques" et des "travaux de réparation qui ont été effectués il y a bien longtemps sur des tuyauteries et qui révèlent de possibles défaillances".

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François Hollande a également rappelé que la centrale de Fessenheim, désormais fermée, n'aurait pu couvrir qu'"un dixième" des manquements dus aux récents arrêts de centrales causés par le phénomène de corrosion sous contrainte. L'ancien président de la République a affirmé avoir, "tout au long de [son] mandat", "défendu la filière nucléaire tout en travaillant pour qu'elle puisse être complétée par une montée des énergies renouvelables".

L'ex-chef de l'Etat est également revenu sur la "loi de transition énergétique pour la croissance verte" de 2015 : "Si l'objectif de 50% [de nucléaire dans le mix énergétique] à l'horizon 2025 est rappelé, il n'a pas de force obligatoire", a-t-il déclaré. En outre, selon lui, le plafonnement de la capacité de production nucléaire "n'a jamais été pour EDF une gêne ou une limite".

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Fait inédit dans l'histoire des commissions d'enquête parlementaire sous la Vème République, les auditions des deux anciens chefs de l'Etat constituaient le point d'orgue et la clôture de six mois d'auditions de la commission d'enquête présidée par le député Les Républicains Raphaël Schellenberger. Le rapport, rédigé par le député Renaissance Antoine Armand, est attendu pour le début du mois d'avril.

Arenh : "C'est pas l'Union soviétique ici"

Au cours de son audition, Nicolas Sarkozy a pris la défense du controversé mécanisme de l'Arenh, entré en vigueur le 1er juillet 2011, après l'adoption de la loi "portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome). "On ne peut pas garder un modèle avec EDF assis sur toutes les centrales nucléaires françaises qui ne vend pas son énergie aux autres (...) c'est pas l'Union soviétique ici", a commenté l'ancien chef de l'Etat, qui s'est dit "pour l'ouverture à la concurrence".

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François Hollande a été plus critique à l'égard du dispositif, estimant que sans "correction", EDF "va être confronté à de nouveaux résultats négatifs sur le plan financier". L'ancien Président a mis en cause la loi Nome : "S'il y a une décision qui a été contraire à la filière nucléaire, c'est bien la loi Nome de 2010", a-t-il estimé. Selon lui, l'Arenh crée une "concurrence faussée" et a "privé EDF de ressources substantielles".

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François Hollande a toutefois reconnu avoir abandonné en 2015 une tentative de négociation avec la Commission européenne pour "relever de quelques euros le prix de cession" : "Il s'est trouvé que les prix de l'électricité ont été tellement faibles que cette négociation n'avait plus de sens."