Lutte contre les déserts médicaux : des députés présentent une proposition de loi transpartisane

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par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 7 décembre 2022 à 13:42, mis à jour le Vendredi 9 décembre 2022 à 21:21

Fruit d'un groupe de travail transpartisan créé en juillet dernier, une proposition de loi "de lutte contre les déserts médicaux" a été présentée, lors d'une conférence de presse, à l'Assemblée nationale. Les députés à l'origine de cette initiative, issus de tous les groupes politiques du Palais-Bourbon, à l'exclusion du Rassemblement national, souhaitent que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour en début d'année prochaine. 

"Chaque fois que les déserts médicaux avancent, la République recule". Par cette phrase, le député Guillaume Garot (Socialistes), mobilisé sur le sujet depuis plusieurs années, a voulu souligner la gravité et l'ampleur des questions posées par ce phénomène, en matière de santé, mais pas seulement. Lors d'une conférence de presse, mercredi 7 décembre, l'élu de Mayenne, ainsi que des députés issus de tous les groupes de l'Assemblée, sauf le Rassemblement national qui n'a pas été convié, a présenté une proposition de loi destinée à lutter contre les déserts médicaux. Six mois après la création du groupe de travail transpartisan qui a abouti à ce texte, les députés ont souhaité que des "mesures puissantes et efficaces" soient examinées et votées au plus vite. 

La question des "déserts médicaux", conséquence de la répartition inégale, historique et structurelle de l'offre de soins en France, est travaillée depuis plusieurs années par les parlementaires. En mars dernier, le Sénat a rendu un nouveau rapport sur le sujet (voir ici) qui annonçait le risque d'une "décennie noire" face à une "démographie médicale inacceptable" : baisse du nombre de médecins généralistes, insuffisance de personnels de santé formés, érosion de la densité des services de soins dans trois quarts des départements français - autant d'éléments mis en valeur dans un récent documentaire de LCP (voir ).

"Chaque fois qu'un désert médical avance, c'est la République qui recule"

Guillaume Garot (Socialistes) et Yannick Favennec (Horizons) ont introduit les enjeux et les objectifs de cette proposition de loi, résultat de 80 auditions menées depuis juillet. En s'appuyant notamment sur le rapport du Sénat, le député socialiste a rappelé que près de 30% de la population française vit aujourd'hui dans un désert médical. Cette situation plonge non seulement les patients dans la détresse (jusqu'à 189 jours d'attente pour une consultation en ophtalmologie), mais aussi les médecins (45% des médecins généralistes sont en situation de burn out), notamment dans des départements ruraux (Mayenne, Creuse). Yannick Favennec a insisté sur le fait que, sans "réponses concrètes, efficaces et rapides", une "véritable révolte" pouvait survenir face à "l'injustice flagrante d'inégalités territoriales d'accès aux soins".

Réguler l'installation pour "mieux répartir" l'offre de soins

Selon l'exposé des motifs du texte, l'objectif est de "répondre avec efficacité aux inégalités d'accès aux soins", à travers trois chapitres : agir sur l'installation des praticiens de santé, réformer les études de médecine et proposer certaines réorganisations de l'exercice des soins.

La proposition de loi est structurée autour d'une "colonne vertébrale : la régulation de l'installation et de l'exercice médical", a notamment expliqué Guillaume Garot. Si les députés se sont accordés pour ne pas bouleverser complètement le cadre régissant l'exercice de la médecine libérale, la régulation qu'ils proposent représenterait tout de même une évolution sensible du cadre actuel : appliqué, ce principe constituerait une modulation du principe historique de libre installation des médecins sur le territoire national. Cette modulation est considérée comme nécessaire par l'ensemble des membres du groupe de travail, qui estiment que les mesures incitatives ont montré leurs limites, voire leur inefficacité, en la matière. 

Dans le détail, si la proposition de loi était adoptée, médecins libéraux et chirurgiens-dentistes pourraient s'installer "de droit" dans des déserts médicaux. En revanche, ils devraient obtenir une autorisation de l'Agence régionale de santé (ARS) pour s'installer dans une zone bien pourvue. Elle serait accordée d'office s'ils remplacent un praticien de la même spécialité. Pour Loïc Kervran (Horizons), qui a présenté le dispositif, "aucun territoire ne perd avec cette solution". Il a souligné le soutien à ce dispositif des médecins en territoire rural.

Au-delà de la mise en place de ce dispositif, la proposition de loi prévoit de sécuriser les installations et départs d'un territoire faiblement doté en médecins et chirurgiens-dentistes (pré-avis de six mois au lieu de deux actuels, création d'un guichet unique d'information et d'orientation dans chaque département). Le texte propose également d'objectiver les données, afin de réguler finement la question de l'accès aux soins grâce à la création d'un "indicateur territorial de l'offre de soins, élaboré par les services de l’État" pour "orienter véritablement les politiques de santé".

S'agissant des deux autres chapitres, la proposition prévoit de renforcer l'accès aux études de médecine à travers la création d'un "contrat d'engagement de service public", ainsi que de lycées spécialisés intitulés "Écoles normales des métiers de la Santé" qui seraient expérimentés dans "dix départements volontaires". Les étudiants disposeraient de la gratuité de la formation et d'une bourse mensuelle. L'objectif est de permettre la formation d'une génération de "hussards blancs de la République", selon Jean-Louis Bricout (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). Enfin, concernant l'organisation de l'exercice des soins, le texte prévoit le développement des centres de santé par le financement de postes salariés. 

Un examen de la proposition de loi en début d'année ? 

Si, de LFI à LR, les députés du groupe de travail ont indiqué leur souhait de voir la proposition de loi être discutée "dès que possible", la question de son inscription à l'agenda de l'Assemblée nationale reste entière. En effet, il n'existe pas en l'état de journée d'initiative parlementaire transpartisane. Lors de la conférence de presse, Guillaume Garot a cependant indiqué qu'un courrier avait été envoyé à la présidente du Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet, afin que le texte soit inscrit à l'ordre du jour et examiné, en janvier, au cours de la semaine mensuelle dite "de l'Assemblée", à la différence des semaines "du gouvernement". 

Si cette option privilégiée ne se réalisait pas, Guillaume Garot a indiqué que la proposition de loi sera vraisemblablement inscrite au programme d'une des journées d'initiative parlementaire réservées aux différentes groupes de l'Assemblée au cours du premier semestre 2023. Après la niche du Rassemblement national, le 12 janvier, les deux prochaines niches seront celle du groupe Socialistes (le 9 février), et celle du groupe Horizons (le 2 mars). Au-delà de l'Assemblée, les députés ont annoncé un "tour de France des circonscriptions" à partir de la fin du mois de janvier, avec pour objectif de présenter la proposition de loi au plus près des territoires.