L'impôt sur les successions doit être un "instrument de redistribution", selon Olivier Blanchard

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par Jason Wiels, le Jeudi 1 juillet 2021 à 12:37, mis à jour le Jeudi 1 juillet 2021 à 15:46

Auteurs d'un rapport sur le changement climatique, les inégalités et le vieillissement de la population, Olivier Blanchard et Jean Tirole ont livré jeudi leurs solutions à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Les économistes prônent une réforme de la fiscalité des héritages au bénéfice des plus modestes et un système de retraite à points, sans décote, mais avec des pensions plus basses et/ou un recul de l'âge de départ.

Vingt-six économistes peuvent-ils aider à réformer le pays ? Invités à se pencher sur les "grands défis économiques" par Emmanuel Macron, Olivier Blanchard (ancien chef économiste du Fonds monétaire international) et Jean Tirole (Prix Nobel d'économie 2014), avec leurs collègues Français et étrangers, ont rendu leurs conclusions au président de la République le 23 juin. Auditionnés jeudi 1er juillet par les députés spécialistes des affaires économiques, le duo a précisé sa vision des réformes à mettre en place dans les mois ou les années à venir.

Deux sujets inflammables politiquement ont notamment été traités par le collectif d'économistes : l'impôt sur les successions et la réforme des retraites.

L'imposition des successions, "un bordel total"

"Il faut re-réfléchir à l'impôt sur les successions", insiste Olivier Blanchard. "Mal ficelé", avec des "niches dans tous les sens" l'impôt sur les successions est "un bordel total" selon lui, et ce alors que "beaucoup de gosses partent dans la vie sans rien du tout" (voir vidéo en une).

Selon les experts, la part de l'héritage dans le patrimoine des Français devraient continuer à augmenter. De 19% aujourd'hui, elle pourrait atteindre en 25 et 32% en 2050, avec un ratio encore plus élevé chez les hauts revenus.

Pour repenser la fiscalité au sein de la famille, les auteurs préconisent de ne plus taxer le donateur mais le bénéficiaire, à la manière du système irlandais, seul pays européen à avoir adopté ce système. "Ce qui est important, c'est combien reçoit quelqu'un au cours de la vie, pas combien quelqu'un donne", précise Olivier Blanchard.

Le seuil de taxation retenu pourrait être "élevé", et ce "afin de tenir compte du souhait légitime de pouvoir transmettre un patrimoine 'durement gagné'", proposent les auteurs. Il ne s'agit pas tant de "taxer davantage" (les droits sur les successions représentent 1,2% des recettes fiscales) que de "taxer mieux". In fine, les recettes de cet impôt repensé devrait ainsi devenir "un instrument de redistribution" selon l'économiste français. Notamment au bénéfice des enfants de familles modestes :

Les recettes pourraient servir à créer des comptes individuels auxquels les jeunes les moins favorisés pourraient recourir pour éviter de devoir travailler trop lorsqu’ils étudient ou se forment, ou des comptes financiers auxquels les enfants défavorisés pourraient avoir accès lorsqu’ils deviennent adultes. Rapport Tirole-Blanchard

Ces préconisations ont-elles une chance d'être reprises ? En septembre 2018, Christophe Castaner, alors à la tête de La République en marche, avait proposé de rouvrir "sans tabou" le dossier des successions. Mais le sujet, jugé trop inflammable politiquement, a été aussitôt accueilli par une fin de non recevoir au sommet de l'État. 

Des retraites plus transparentes... et moins généreuses ?

Deuxième sujet non moins épineux, l'avenir du système de retraite par répartition. Rédigées par l'universitaire allemand Axel Börsch-Supan, les mesures évoquées sont proches de celles votées à l'Assemblée nationale en février 2020, avec quelques différences notables.

Tout d'abord, un système unique à points, considéré comme plus juste et plus transparent, est la solution recommandée par le rapport. "Par exemple, 100 points pour les salaires égaux au salaire moyen qui a cours au même moment, 200 points s’il est égal à deux fois le salaire moyen", peut-on lire. 

Le système prôné aurait un âge minimal de départ, qui pourrait d'abord être le même qu'aujourd'hui, à 62 ans. Il n'y aurait en revanche pas d'âge pivot ou d'âge d'équilibre, donc pas de décote, pour équilibrer le système. Les travailleurs qui souhaiteraient continuer à faire carrière le pourraient, avec un bonus à la clé : "Non seulement ils cotisent plus longtemps, mais aussi parce qu'ils seront à la retraite moins longtemps", justifie Olivier Blanchard.

Les économistes plaident pour une valeur du point unique, qui serait indexée sur les salaires et non sur les prix, ce qui permettrait d'y intégrer les gains de productivité. Des points bonus seraient attribués aux plus bas salaires, pour leur permettre de partir avec des pensions plus élevées.

En revanche, pour garder le système à l'équilibre alors que les comptes sont menacés à long terme par un taux de fécondité en baisse et le vieillissement de la population, les économistes formulent aussi "des idées qui fâchent". Ils estiment qu'il ne faut pas toucher au taux de cotisation, déjà élevé, mais décider d'un recul de l'âge de départ ou d'une baisse du niveau de pension, ou d'une conjugaison des deux pistes. "C'est là qu'il y a une décision fondamentale à prendre, qui doit refléter un choix de société", juge Olivier Blanchard, sans trancher sur des ordres de grandeur précis.

Pour Jean Tirole, la réforme des retraites ne peut se faire sans le concours des entreprises et l'adhésion des travailleurs. Les premières doivent faire des efforts pour maintenir les seniors en activité, tandis qu'il faut donner envie aux seconds de travailler plus longtemps, par exemple, à travers une meilleure formation professionnelle. "Les gens en ont marre de faire tout le temps la même chose", remarque l'universitaire.

Il récuse également l'idée selon laquelle partir à la retraite plus tard bouche le marché du travail. "Des gens qui prennent leur retraite plus tard, c'est bon pour la société, ils ne ne prennent pas les jobs des plus jeunes", assure-t-il.