L'Assemblée vote un retour temporaire des néonicotinoïdes pour la betterave sucrière

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Emeric Fohlen / NurPhoto / NurPhoto via AFP
par Maxence Kagni, le Lundi 5 octobre 2020 à 15:41, mis à jour le Mardi 5 janvier 2021 à 17:44

Les députés ont adopté mardi le projet de loi permettant d'instaurer des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes pour la filière de la betterave sucrière par 313 voix contre 158. Le texte n'a cependant pas fait l'unanimité au sein du groupe La République en Marche puisque si 175 députés LaREM ont voté pour, 32 ont voté contre et 36 se sont abstenus. 

313 voix pour, 158 voix contre. L'Assemblée nationale a adopté mardi le projet de loi "relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire" pour les betteraves sucrières.

Ce texte, qui a été étudié en détail par les députés lundi dans l'hémicycle, rend possible des dérogations à l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes pour préserver la filière de la betterave. 

LaREM divisée

Si une grande partie des députés La République en marche qui ont participé au vote se sont prononcés pour le texte (175 voix), il faut noter que 36 d'entre-eux se sont abstenus, 32 allant même jusqu'à voter contre. En tout, 68 députés issus du groupe majoritaire n'ont pas soutenu le projet de loi du gouvernement. Un record depuis le début du quinquennat. 

Du côté du MoDem, qui a lui aussi largement voté pour le texte (38 pour), 9 députés ont voté contre et 4 se sont abstenus. Les députés Les Républicains ont eux aussi voté pour (67 voix) même si 21 d'entre-eux se sont opposés au texte et 9 se sont abstenus.

Seuls deux députés socialistes ont voté en faveur du projet de loi (28 voix contre), alors que l'ensemble des députés La France insoumise, communistes et des membres d'"Ecologie Démocratie Solidarité" ont voté contre.

Les positions des autres groupes sont plus nuancées : 13 pour, 4 contre, 1 abstention dans le groupe Agir ensemble, 7 pour, 5 contre, 3 abstentions dans le groupe UDI et indépendants, 3 pour, 10 contre, 1 abstention dans le groupe Libertés et Territoires.

"Tueur d'abeilles" ?

Le projet de loi, contesté par certains défenseurs de l'environnement comme Nicolas Hulot, crée des dérogations à l'interdiction de l'usage des néonicotinoïdes, un type de pesticide interdit depuis 2018. Accusés de tuer les abeilles, ils permettent de lutter contre la prolifération du puceron vert, qui transmet aux betteraves une "jaunisse" mettant en danger le rendement des récoltes.

La réintroduction temporaire des néonicotinoïdes, autorisée jusqu'au 1er juillet 2023 "au maximum", doit permettre selon le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Julien Denormandie de ne pas "tuer" la filière française de la betterave sucrière, une "filière d'excellence" qui emploie 46.000 personnes.

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L'exécutif, qui ne veut pas importer "du sucre polonais, allemand ou belge", cultivé dans des conditions "moins-disantes environnementalement", préfère réaliser la "transition agroécologique avec la filière française".

"Aucune alternative"

Pour tenter de rassurer les opposants, Julien Denormandie a affirmé lundi que seule la filière de la betterave sera concernée par les dérogations rendues possibles par le projet de loi.

Grâce à l'adoption d'un amendement de Jean-Charles Colas-Roy (La République en marche), ces dérogations seront prises non seulement par arrêtés conjoints des ministres de l'Agriculture, de l'Environnement, mais aussi par arrêté du ministre de la Santé.

Le texte s'appuie sur un règlement européen qui permet la réintroduction de ce pesticide en cas de "danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables". Or il n'y a pour l'instant, selon Julien Denormandie, aucune "alternative crédible" à l'utilisation de ce pesticide dans le cadre de la culture betteravière.

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Le ministre de l'Agriculture a aussi écarté l'hypothèse d'une mise "sous perfusion économique de la filière" sucrière, une méthode rendue impossible par "l'encadrement européen".

"Une faute" selon Mélenchon

"Plus qu'une erreur, c'est une faute qui va se commettre", a affirmé lundi après-midi Jean-Luc Mélenchon, qui a mis en cause une décision "dangereuse". Le président du groupe La France insoumise a même, à la fin de la défense de sa motion de rejet préalable, menacé de saisir la "Haute cour de justice" (la Cour de justice de la République, ndlr). Une menace réitérée dans la nuit par Ugo Bernalicis (LFI).

C'est de sang-froid que des gens vont être mis en péril par cette décision. Jean-Luc Mélenchon

"80% de ce qui sera mis sur cette plante ira directement dans le sol et le 20% qui ira dans la plante finira par se retrouver dans les produits que vous consommerez", a expliqué Jean-Luc Mélenchon, qui juge "la betterave française malade du libre-échange" et de l'arrêt en 2017 des quotas encadrant le secteur.

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La filière est "très largement excédentaire", a affirmé Jean-Luc Mélenchon, dénonçant au passage une "addiction morbide au sucre".

"Contresens historique"

Plusieurs groupes ont exprimé leur opposition au texte, comme les "Socialistes", les communistes (GDR) ou encore les groupes "Ecologie Démocratie Solidarité" ainsi que "Libertés et Territoires". "Un jour, l'environnement réclamera son dû et l'addition sera phénoménale", a ainsi déclaré Cédric Villani (EDS), tandis que sa collègue Delphine Batho a dénoncé un "contresens historique".

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D'autres députés, comme Olivier Falorni (Libertés et Territoires) ou Dominique Potier (PS) ont également critiqué le texte. "Les néonicotinoïdes sont responsables de l'effondrement de 80% de la population d'insectes et d'un tiers des oiseaux des champs en quelques années dans notre pays", a pour sa part expliqué Régis Juanico (apparenté "Socialistes").

Nous sommes ici en train d'abdiquer. Cédric Villani

Le président des députés communistes André Chassaigne a interpellé les élus de La République en Marche, les invitant à "se libérer des contraintes d'une majorité quand on touche à l'essentiel".

Le député LaREM Jean-Charles Colas-Roy a d'ailleurs pris la parole lundi pour s'opposer au texte, qui selon lui "ouvre la boîte de Pandore". Une autre élue de la majorité, Sandrine Le Feur (LaREM), a également pris position en séance publique contre le projet : "Je ne suis pas d'accord pour que l'on réautorise ces substances qui ont été déclarées nocives", a expliqué l'élue.

"Sens des réalités"

Autant d'opposants vivement mis en cause par Claire O'Petit (La République en marche), qui les a jugés "déconnectés de tout sens des réalités" et les a accusé de vouloir "sacrifier nos salariés français et notre souveraineté alimentaire".

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"Il n'est pas possible de faire évoluer les pratiques d'une filière si elle n'existe plus dans deux ans", a ajouté Nicolas Turquois (MoDem). L'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Travert (La République en marche) a, lui aussi, pris la défense du projet de loi, estimant que face aux pertes de rendement, les agriculteurs feront le "choix rationnel" de ne pas replanter. Il s'agit, selon Lise Magnier (Agir ensemble), de "reculer pour mieux avancer". 

90% des usages resteront interdits. Jean-Baptiste Moreau (La République en Marche)

Soucieuse, notamment, de l'avenir des 46.000 emplois de la filière, la droite a soutenu le texte : "Non, ce n'est pas une faute (de le voter)", a affirmé Rémi Delatte (Les Républicains), tandis que son collègue Julien Dive a évoqué un "moindre mal", Maxime Minot prônant une "dérogation limitée".

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Conversion au bio insuffisante

A l'instar de Jean-Luc Mélenchon, Ugo Bernalicis et de Loïc Prud'homme (LFI), le député UDI et indépendants Thierry Benoit a critiqué l'absence au banc de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui avait porté en 2016 la loi interdisant l'utilisation des néonicotinoïdes. 

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L'élu UDI a par ailleurs mis en cause les acteurs de la filière qui n'ont pas fait "suffisamment de progrès en un an". Une critique qui rejoint celle d'Olivier Falorni (Libertés et Territoires) ou encore celle de Julien Dive (LR), qui a dénoncé une "conversion au bio largement insuffisante".

Des garde-fous

Face à la contestation, la majorité avait mis en place plusieurs garde-fous lors du passage du texte en commission. Ils ont été confirmés en séance publique. Les députés ont ainsi créé un article 2 spécifiant que les dérogations ne peuvent être accordées que pour "l'emploi de semences de betteraves sucrières".

Selon Olivier Falorni (Libertés et Territoires), qui a évoqué lundi un risque de censure constitutionnelle, cette garantie risque cependant d'être insuffisante. Matthieu Orphelin (EDS) craint, quant à lui, que les fabricants de pesticides ne "s'engouffrent dans la brèche" et demandent "des dérogations pour d'autres types de culture".

Autre garantie : la création d'un "conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques". Celui-ci sera notamment composé de quatre députés et de quatre sénateurs. Parmi les députés, au moins un sera membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Les groupes de la majorité et de l'opposition de l'Assemblée y seront représentés "proportionnellement". 

En séance, les députés ont adopté un amendement visant à préciser les compétences du conseil : il aura notamment pour mission de rendre des avis sur les arrêtés de dérogation proposés par les ministres.

"Ce conseil de surveillance va servir à reporter, encore, aux calendes grecques les discussions et à enterrer le problème", a toutefois estimé Loïc Prud'homme (Le France Insoumise).

Enfin, "le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs" sera "temporairement interdits après l’emploi" de néonicotinoïdes sur une parcelle.