L'Assemblée nationale vote en faveur d'une "meilleure rémunération" des agriculteurs

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Grégory Besson-Moreau, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 24 juin 2021.
par Maxence Kagni, le Jeudi 24 juin 2021 à 10:28, mis à jour le Jeudi 24 juin 2021 à 22:45

Les députés ont voté à l'unanimité, jeudi 24 juin en première lecture, une proposition de loi rédigée par le député "La République en Marche" Grégory Besson-Moreau qui vise à protéger les agriculteurs dans leurs relations commerciales avec les industriels et la grande distribution.

L'Assemblée nationale a adopté jeudi, à l'unanimité (56 pour, 0 contre), la proposition de loi "visant à protéger la rémunération des agriculteurs". Le texte, étudié en première lecture, a pour objectif de protéger les agriculteurs dans leurs relations commerciales avec les industriels et la grande distribution. Il corrige certaines lacunes de la loi Egalim de 2018 en imposant notamment le recours à des contrats écrits pluriannuels et en rendant "non-négociable" le coût de la matière première agricole.

"Dans l'histoire, la victime du jeu de dupes entre le maillon industriel et la distribution est d'abord l'agriculteur", a résumé jeudi le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie, qui souhaite "réguler pour protéger sans étouffer" afin "stopper la déflation".

Au-delà de cet enjeu de "justice sociale et de dignité de la personne humaine", le texte revêt également un enjeu "stratégique car il en va de notre souveraineté alimentaire", a déclaré jeudi l'auteur du texte, le député "La République en marche" Grégory Besson-Moreau.

La juste rémunération des agriculteurs est l'enjeu le plus important aujourd'hui en matière d'agriculture, elle sous-tend tout le reste. Grégory Besson-MoreaU

Le "fiasco" Egalim

Cette proposition de loi marque, selon l'opposition, "l'échec" de la loi Egalim de 2018 : "La montagne Egalim a accouché d'une souris pour l'agriculture française", a ainsi déploré le député "Les Républicains" Julien Dive.

"L'échec est patent", a de son côté commenté Paul Molac (Libertés et Territoires), tandis que le communiste André Chassaigne a évoqué des "avancées insuffisantes" et que Dominique Potier (Socialistes) a raillé la proposition de loi étudiée ce jeudi, qualifiée de "loi Egalim un et demi, loi Egalim deux".

Le plus virulent a été l'élu "La France insoumise" François Ruffin, qui estime que la politique mise en oeuvre depuis 2018 est "un fiasco, une usine à gaz législative". A plusieurs reprises, le député LFI a tenté, sans succès, d'imposer des "prix planchers". 

Des contrats écrits

La proposition de loi de Grégory Besson-Moreau fait des contrats "écrits et pluriannuels" la "norme" en matière "de contrats de vente de produits agricoles entre un producteur et son premier acheteur". Ces contrats devront avoir une durée minimale de trois ans : ils donneront de la "visibilité à moyen terme" aux agriculteurs, s'est félicitée Michèle Crouzet (MoDem).

L'article 1er, qui contient ce dispositif, a été adopté à l'unanimité, malgré les réserves de François Ruffin (La France insoumise) : "C'est quelque chose qui existe déjà dans le lait", a analysé le député LFI, qui a ajouté que, malgré cela, la "situation des éleveurs laitiers est catastrophique".

Le texte fixe aussi des mécanismes de révision des prix à l'intérieur même des contrats, afin de permettre aux éleveurs de répercuter d'éventuelles hausses des coûts de production (énergie, essence, eau, alimentation des animaux...). Ces indicateurs seront élaborés par les interprofessions ou, à défaut, par "les instituts techniques agricoles ou agro-industriels".

Les députés ont également adopté un amendement qui interdit les pénalités financières visant un producteur en cas d'aléa climatique ayant une conséquence sur son rendement. Par ailleurs, les contrats ne pourront comporter de clauses faisant baisser automatiquement les prix au régard des tarifs pratiqués par la concurrence.

L'Assemblée nationale est allée plus loin en votant l'expérimentation du "tunnel de prix" afin, comme a pu l'expliquer le président des députés communistes André Chassaigne, de "garantir un revenu qui ne soit pas soumis à des fluctuations". Ainsi, la formule permettant de fixer la révision du prix dans le contrat pourra contenir des "bornes minimales et maximales à l'intérieur desquelles pourra varier le prix convenu". Cette expérimentation sera notamment mise en place pour la filière bovine.

Prix d'achat

L'article 2 vise à "accroître la transparence du coût d'achat de la matière première agricole" et à en "consacrer le caractère non négociable". Le but : empêcher la grande distribution d'acheter à la baisse aux industriels de l'agroalimentaire pour protéger, en début de chaîne, l'agriculteur. Le texte prévoit donc que les matières premières agricoles utilisées et leur prix d'achat doivent figurer dans les conditions générales de vente des produits alimentaires. Ces éléments seront "exclus de la négociation commerciale" : la grande distribution n'aura d'autre choix que d'accepter le prix fixé entre l'industriel et l'agriculteur.

Le dispositif contient plusieurs exceptions ainsi que plusieurs seuils limitant son application : ainsi, par exemple, pour entrer dans le champ d'application de la loi, un ingrédient doit composer, en volume, au moins 25% de la composition du produit final.

Comme l'a rappelé le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Julien Denormandie, cet article ne s'appliquera pas à certains produits "en raison des spécificités de leurs filières de production" : il s'agira notamment des vins, des eaux de vie ou encore des fruits et légumes frais. 

Non-discrimination

Les députés ont par ailleurs adopté un amendement visant à imposer un principe de rémunération dit "ligne à ligne". Ce dispositif doit permettre de mettre fin aux méthodes des centrales qui consistent à négocier à la baisse le tarif d'un produit en maquillant ensuite cette baisse par la fourniture d'un catalogue de contreparties (placement en tête de gondole, en allée centrale etc) : le prix de ces contreparties n'est en réalité pas fixe mais adapté en fonction du résultat de la négociation.

Afin d'en finir avec cette pratique, la méthode dite "de ligne à ligne" oblige à indiquer dans le contrat chaque contrepartie "de manière unitaire" ainsi que son prix : il ne sera plus possible de donner un prix unique pour tout un catalogue de mesures. Cette énumération limitera ainsi les risques de fraudes ou de surfacturation : la disposition "va donner un pouvoir supplémentaire aux agents de la DGCCRF pour contrôler le caractère disproportionnel d'un service qui serait demandé par la grande distribution". 

Les députés ont également adopté un amendement sur la "non-discrimination tarifaire". "Auparavant, un industriel pour une commande donnée, avec un même volume d'un même produit, avait la capacité de ne pas proposer le même prix à l'ensemble des grands distributeurs, a expliqué le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie. Ceci a entraîné un phénomène que les économistes appellent la théorie des jeux, c'est-à-dire que quand vous êtes un grand distributeur, vous vous dites 'je vais négocier pour cette commande un prix meilleur parce que je suppose que c'est ce qu'a obtenu mon concurrent'." En optant pour la "non-discrimination", les députés entendent limiter la "guerre des prix".

Rémunéra-score

L'Assemblée nationale a adopté l'expérimentation d'un "rémunéra-score" sur un principe analogue au "nutri-score". "C'est au consommateur de se réapproprier l'acte d'achat mais aussi l'acte de rémunérer", a commenté jeudi le député Les Républicains Julien Dive, qui soutient la mesure. Celle-ci prévoit "un affichage destiné à apporter au consommateur une information relative aux conditions de rémunération des producteurs de produits agricoles". 

La proposition de loi interdit par ailleurs l'apposition d'un drapeau français, d'une carte de France ou de tout symbole représentatif de la France sur les emballages alimentaires quand ses ingrédients primaires ne sont pas "d'origine France". Selon le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, cette disposition risque toutefois de contrevenir au droit européen. Le texte prévoit également que les "Dark kitchen" (restaurants sans salle, dédiés à la livraison) devront afficher la provenance des viandes qu'ils vendent.

Un autre article instaure le principe selon lequel l’indication du pays d’origine est obligatoire pour les produits "pour lesquels il existe un lien avéré entre certaines de leurs propriétés, notamment en termes de protection de la santé publique et de protection des consommateurs, et leur origine". 

Enfin, le texte crée un comité de règlement des différends commerciaux agricoles chargé de régler les "litiges pour lesquels la médiation devant le médiateur des relations commerciales agricoles s’est soldée par un échec". Ce comité pourra prononcer des injonctions et des astreintes.